Depuis l’apparition de l’infliximab (Remicade et ses biosimilaires Remsima, Inflectra, Flixabi), qui a révolutionné la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI), 3 autres anti-TNF ont été commercialisés : l’adalimumab (Humira et ses biosimilaires Amgevita, Hulio, Imraldi, Hyrimoz, Idacio, Hefiya, Solymbic) et le golimumab (Simponi) en France, ainsi que le certolizumab (Cimzia) aux États-Unis et dans d’autres pays d’Europe (Suisse ; tableau).
En France, jusqu’en 2014, les anti-TNF étaient les seules biothérapies disponibles dans les MICI. Depuis, le védolizumab (Entyvio), anticorps monoclonal anti-intégrine α-4/β-7, censé avoir une action ciblée sur l’intestin, a obtenu une AMM en Europe pour la maladie de Crohn et la RCH.
L’ustékinumab (Stelara), visant à inhiber la sous-unité p40 commune aux interleukines IL-12 et IL-23, a également eu l’AMM dans la maladie de Crohn en novembre 2016 et dans la RCH en septembre 2019 (tableau).
Ces 2 molécules, globalement mieux tolérées que les anti-TNF, sont indiquées après échec des traitements conventionnels mais ne sont remboursées en France qu’en cas d’inefficacité ou de contre-indication des anti-TNF.
Toutes les biothérapies sont administrées par voie intraveineuse ou sous-cutanée, et sont immunogéniques (d’où une perte d’efficacité). Théoriquement, on doit leur associer un immunosuppresseur (thiopurine ou méthotrexate).
En octobre 2018, le tofacitinib (Xeljanz), médicament oral anti-Janus kinase (JAK), a également été autorisé dans la RCH (tableau). Il a l’avantage, en plus de celui (non négligeable) d’une administration orale, de ne pas induire d’immunogénicité, ce qui permet le plus souvent un retraitement efficace et bien toléré en cas d’arrêt (par le patient lui-même, grossesse, rémission profonde prolongée, infection sévère…). Sa demi-­vie courte diminue le risque d’immunosuppression à 2 jours après son arrêt.
En cas d’échec, la thérapie cellulaire est très prometteuse, notamment pour les fistules anopérinéales compliquant la maladie de Crohn.

Nouvelles biothérapies

Elles sont actuellement réservées aux patients avec une MICI active modérée à sévère, résistante ou intolérante aux dérivés salicylés (pour la RCH), corticoïdes et/ou immunosuppresseurs.
Le védolizumab (Entyvio) bloque la migration des lymphocytes dans le tube digestif. Contrairement au natalizumab (Tysabri), anti-intégrine utilisée dans la SEP en France mais aussi dans les MICI aux États-Unis, il n’inhibe que les lymphocytes à destinée digestive et ORL mais pas ceux se dirigeant vers le cerveau, évitant théoriquement le risque de leuco-encéphalite multifocale progressive (LEMP).
Deux essais randomisés contrôlés contre placebo lui ont permis d’obtenir l’AMM en 2014 pour la RCH (GEMINI I) et la maladie de Crohn (GEMINI II). Les résultats sont moins bons en cas d’exposition préalable aux anti-TNF. La posologie recommandée est de 300 mg, quel que soit le poids du patient, administrée en IV, suivie de perfusions supplémentaires à 2 et 6 semaines, puis toutes les 8 semaines (ou 4 semaines en fonction de la réponse). Ce traitement est en général bien toléré. En revanche, du fait de son action digestive sélective et contrairement aux anti-TNF, il n’agit pas sur certaines manifestations extra-intestinales associées aux MICI.1
Une augmentation des infections digestives (Clostridium difficile notamment) ou des lésions néoplasiques gastro-intestinales pourrait être crainte, mais pour l’instant les données sont rassurantes.2
L’ustékinumab (Stelara) est un anti­corps monoclonal capable d’inhiber la sous-unité p40 commune aux inter­leukines 12 et 23 (essais UNITI I et II). Il a une AMM dans la maladie de Crohn réfractaire, avec là encore des résultats moins bons si exposition préalable aux anti-TNF. Par ailleurs, ces études ont montré la supériorité d’une induction par voie IV adaptée au poids suivie d’une phase de maintenance avec des injections sous-cutanées de 90 mg toutes les 8 semaines.3 En septembre 2019 : AMM dans la RCH (essai UNIFI).
D’après les données rapportées dans le psoriasis et le rhumatisme psoriasique où l’ustékinumab est utilisé depuis 2009, cette biothérapie a un excellent profil de tolérance. C’est pourquoi, contrairement aux anti-TNF, il n’est pas contre-indiqué en cas d’insuffisance cardiaque, de SEP ou de lupus. C’est également un traitement de choix en cas de psoriasis sévère induit par les anti-TNF ou de maladies inflammatoires coexistantes, notamment rhumatismales (spondylarthropathies et rhumatisme psoriasique).
En pratique, la première injection est faite par voie IV en hôpital de jour puis les suivantes, toutes les 8 à 12 semaines, le sont par voie SC à domicile en auto- injection. En France, il est surtout utilisé en cas de forme sévère, réfractaire aux anti-TNF, en traitement d’entretien, toutes les 8 semaines. Il est parfois utile d’optimiser la posologie en l’administrant toutes les 6, voire 4 semaines (hors AMM). Il est à l’étude dans le Crohn compliqué de lésions anopérinéales.
Les anti-JAK ont d’abord été testés dans la polyarthrite rhumatoïde. Le tofacitinib, le filgotinib et l’upadacitinib sont au stade de développement le plus avancé dans les MICI.
Le tofacitinib (Xeljanz) est actuellement la seule nouvelle petite molécule orale ayant une AMM dans cette indication.
Cet anti-JAK non sélectif inhibe à la fois JAK 1 et JAK 3 et n’a quasiment pas d’effet sur JAK 2. Administré en deux prises quotidiennes de 10 mg, dans la RCH modérée à sévère, il a permis une rémission à la semaine 8 dans OCTAVE I et II.4 Ainsi, il a récemment obtenu l’AMM dans la RCH active modérée à sévère après réponse inadéquate ou perte de réponse ou intolérance aux anti-TNF.
Principaux effets indésirables : dys­lipidémies et élévations modérées de la créatinine sans conséquences cliniques ; zonas par réactivation virale de VZV (en prévention, un nouveau vaccin inactif, Shingrix, est en développement).
Dose recommandée : 10 mg, 2 x/j en induction pendant 8 semaines (pouvant être prolongée jusqu’à 16 semaines en cas de réponse non satisfaisante), 5 mg 2 x/j en entretien (jusqu’à 10 mg 2 x/j).
Attention : les études suggèrent un risque accru d’embolie pulmonaire avec cette posologie en traitement prolongé (plus de 6 mois) chez les patients ayant des facteurs de risque de maladie thrombo-embolique. En juin 2019, l’Ansm recommande, dans l’attente de résultats complémentaires, de ne plus utiliser cette dose en cas de : insuffisance cardiaque, trouble héréditaire de la coagulation, risque thrombo-embolique, contraceptif oral ou traitement hormonal de substitution, cancer, chirurgie lourde programmée. En novembre 2019, l’agence européenne des médicaments proscrit cette dose d’entretien (10 mg 2 x/j) chez les patients atteints d’une RCH qui ont un risque élevé de thrombose et chez les plus de 65 ans, sauf en l’absence d’alternative thérapeutique.
Dans la maladie de Crohn, pas de bénéfice du tofacitinib en traitement d’attaque, peut-être en raison du schéma de l’étude qui était celui en vigueur il y a près d’une décennie alors que les critères de jugement ont évolué au cours des dernières années.
Deux autres inhibiteurs sélectifs de JAK 1, le filgotinib et l’upadacitinib, étaient efficaces à la fois dans la RCH et dans la maladie de Crohn dans des essais de phase II.5 Ils auraient l’avantage de diminuer le risque de zona, même si cela reste à démontrer.

Thérapie cellulaire

Cette stratégie est en plein essor, notamment depuis la découverte de cellules souches chez l’adulte, permettant de minimiser les problèmes éthiques et réglementaires liés à l’utilisation de celles embryonnaires.
En effet, des cellules souches mésenchymateuses, multipotentes et capables de s’autorenouveler, ont d’abord été mises en évidence dans la moelle osseuse puis plus récemment dans le tissu adipeux (faciles à obtenir après simple lipo-aspiration).
La thérapie cellulaire a été évaluée depuis une dizaine d’années dans l’atteinte anopérinéale de la maladie de Crohn : lésions persistantes et/ou récidivantes altérant considérablement la qualité de vie des patients malgré un traitement médicochirurgical optimal.
L’injection locale dans les trajets fistuleux de cellules souches mésenchymateuses est très prometteuse, traitement sans risque et efficace comme l’ont montré près d’une quinzaine d’essais. Chez les 400 patients qui en ont bénéficié, aucun effet indésirable grave n’a été observé.
Dans la dernière grande étude randomisée (ADMIRE) incluant plus de 200 patients,6 on note 50 % de cicatrisation complète à la semaine 20 après une injection unique de cellules souches allogéniques dérivés du tissu adipeux (darvadstrocel, Alofisel) versus 34 % dans le bras placebo, avec un maintien soutenu de la rémission évaluée à la semaine 52 (pas de récidive chez 75 % des patients en rémission à la semaine 24).
Alofisel a l’AMM depuis février 2019 pour traiter les fistules péri-anales complexes chez l’adulte atteint de maladie de Crohn luminale non ou légèrement active, en échec après au moins un traitement conventionnel ou une biothérapie. Le prix est estimé à environ 50 000 euros l’injection (pas de remboursement).
D’autres méthodes utilisant des cellules souches autologues, disponibles plus facilement et à moindre coût, sont actuellement en cours d’étude.

Quelles perspectives ?

De nouvelles molécules ciblant l’IL-23 (risankizumab, mirikizumab, gusel­kumab, brazikumab) sont développées dans la RCH et la maladie de Crohn ainsi que d’autres anti-intégrines (notamment l’étrolizumab).
Pour les biothérapies, la voie IV devrait être réservée aux phases d’induction, avec l’arrivée prochaine des formes sc de l’infliximab et du védolizumab.
En dehors des nombreux anti-JAK, testés en phase I ou II dans les MICI, sont étudiées d’autres molécules orales telles que l’ABX464 (Abivax, modulant l’expression de miR-124), en développement dans la RCH et l’infection par le VIH, ou encore les modulateurs sélectifs de la sphingosine 1 phosphate (S1P : ozanimod et etrasimod) en phase III ; leur ancêtre, le fingolimod, qui est un modulateur non sélectif de la S1P utilisé dans la SEP, n’a pas été développé dans les MICI en raison du risque de LEMP.

Encadre

MICI : grands principes de la prise en charge

Elle doit être adaptée au cas par cas. On recommande aujourd’hui une surveillance rapprochée des symptômes et des signes d’inflammation (CRP, calprotectine fécale, échographie, IRM et/ou endoscopies) et on privilégie une stratégie « treat to target » (afin de prévenir : hospitalisations, recours à la chirurgie, destruction de la paroi intestinale, handicap fonctionnel).

On dispose de 5 catégories de médicaments :

• Aminosalicylés (locaux ou topiques) : indiqués uniquement dans la RCH en 1re intention en traitement d’attaque et d’entretien ; association de forme orale et locale en cas de localisation colique gauche ou pancolique.

Corticoïdes locaux ou systémiques : à réserver aux poussées (inefficaces en entretien) ; à limiter en raison des effets secondaires.

• Immunosuppresseurs (azathioprine et méthotrexate) : en monothérapie ou surtout associés aux biothérapies afin de diminuer leur immunogénicité (notamment avec l’infliximab). Privilégier le méthotrexate chez les jeunes patients ayant une maladie de Crohn (surtout hommes < 35 ans) ou chez les plus de 65 ans (risque accru de lymphome sous anti-TNF + thiopurine).

Biothérapies : anti-TNF ; védolizumab, ustékinumab (remboursés si échec ou contre-indication aux anti-TNF). Les anti-TNF sont utilisés de plus en plus précocement (forme sévère et/ou compliquée et/ou persistance de signes objectifs d’inflammation intestinale malgré un traitement conventionnel).

Tofacitinib : uniquement dans la RCH.

Références

1. Chateau T, Bonovas S, Le Berre C, et al. Vedolizumab Treatment in Extra-Intestinal Manifestations in Inflammatory Bowel Disease: A Systematic Review. J Crohns Colitis 2019;13:1569-77.
2. Colombel JF, Sands BE, Rutgeerts P, et al. The safety of vedolizumab for ulcerative colitis and Crohn’s disease. Gut 2017;66:839-51.
3. Feagan BG, Sandborn WJ, Gasink C, et al. Ustekinumab as Induction and Maintenance Therapy for Crohn’s Disease. N Engl J Med 2016;375:1946-60.
4. Sandborn WJ, Su X, Sands BE, et al, Tofacitinib as Induction and Maintenance Therapy for Ulcerative Colitis, N Engl J Med 2017;376:1723-36.
5. Olivera P, Danese S, Peyrin-Biroulet L, Next generation of small molecules in inflammatory bowel disease. Gut 2017;66:199-209.
6. Panés J, García-Olmo D, Van Assche G, et al. Expanded allogeneic adipose-derived mesenchymal stem cells (Cx601) for complex perianal fistulas in Crohn’s disease: a phase 3 randomised, double-blind controlled trial. Lancet 2016;388:1281-90.

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essentiel

Les anti-TNF ont révolutionné le traitement mais sont « challengés » par les nouvelles biothérapies.

Védolizumab, ustékinumab et tofacitinib sont depuis peu autorisés dans les MICI.

Ils ne sont remboursés en France qu’en cas d’échec ou de contre-indication aux anti-TNF.

La thérapie cellulaire est prometteuse pour traiter les fistules anopérinéales réfractaires.