Bien qu’en 2023 le nombre de médecins en activité ait atteint le chiffre record de 234 000, la population française est confrontée à une pénurie intense dans certains territoires. Même sans avoir institué de numerus clausus, d’autres pays d’Europe se trouvent dans une situation similaire ; ils se sont engagés, parfois depuis plusieurs dizaines d’années, pour une augmentation du recrutement de médecins formés à l’étranger. En 2020, cette proportion pouvait atteindre 40 % en Irlande ou en Norvège, et au Royaume-Uni un tiers des médecins étaient issus d’Inde, d’Afrique du Sud et du Pakistan.1 En Allemagne, où plusieurs dizaines de milliers de postes sont vacants, plus d’un médecin sur cinq, en 2021, n’avait pas la nationalité allemande, et certains estiment que leur système de santé se serait effondré sans les médecins venus de Syrie. Le gouvernement souverainiste italien, qui affiche son hostilité à l’immigration, vient pourtant de recruter 500 médecins cubains.
En France, on estime que près de 15 % des médecins possèdent un diplôme obtenu à l’étranger. Les deux tiers ont un diplôme hors UE (Padhue) et ils doivent, suivre un parcours complexe avant de pouvoir exercer : un concours d’épreuves de vérification des connaissances (EVC) et un contrôle de niveau de langue française ; puis les candidats admis doivent effectuer un stage ; l’ultime étape est le passage devant la Commission nationale de procédure d’autorisation d’exercice, qui se prononce pour un plein exercice de la spécialité ou pour une formation complémentaire. Les lauréats ne peuvent candidater sur le poste hospitalier de leur choix que si leur rang de classement le permet.
Malgré l’augmentation considérable du nombre de postes de Padhue ouverts (280 en 2013, 2 700 en 2023), le recrutement et l’intégration restent complexes et ne satisfont ni les autorités sanitaires ni les candidats, reçus ou non. Depuis décembre 2023, des interventions au plus haut niveau de l’État ont tenté de résoudre des situations hospitalières fragilisées et d’assurer aux recalés une position plus stable avec une prolongation temporaire de leurs fonctions. Ces médecins bénéficieraient alors pendant quatre ans d’une carte de séjour « talent-professions médicales » prévue dans la nouvelle loi immigration. Ces annonces , sous pression des instances régionales sanitaires et politiques, ne clarifient pas la garantie d’un recrutement de médecins compétents, et il existe un risque d’accepter la qualification, sans évaluation externe, de praticiens qui occupent depuis plusieurs années des postes sans avoir acquis de légitimité à une pratique pleinement autonome.
L’Académie nationale de médecine considère qu’il faudrait plutôt renforcer la procédure actuelle de recrutement des Padhue :2 maintien d’un concours sélectif avec le souci de renforcer les spécialités en déficit, modalités adaptées à l’antériorité médicale ou chirurgicale des candidats et renforcement du contrôle du niveau de langue française ; encadrement, sous la responsabilité de l’université, de la période de compétence dont la durée peut être modulée selon le pays d’origine des diplômes ; possibilité, pour les lauréats qui ne peuvent plus être considérés comme étudiants, de postuler dans le service de leur choix. Les recalés pourraient être orientés vers de nombreux métiers nécessitant des connaissances médicales : infirmiers en pratique avancée, techniciens en radiologie ou biologie. Le mode de recrutement de médecins étrangers sur le territoire doit être simplifié, avec une évaluation rigoureuse.
Un engagement dans des établissements ayant une mission de service public pourrait être considéré. Ces mesures ne doivent néanmoins pas retarder la nécessaire augmentation du nombre de places dans les facultés de sciences médicales avec le retour des étudiants français partis apprendre la médecine à l’étranger.
Références
1. Les dépenses de santé en 2022. Comparaisons internationales des médecins et infirmiers. DREES 2023. P. 187-92.
2. Bertrand D, Tillement JP, Cailler S, Collet L, Dubois G, Folliguet M, et al. Conditions d’accès au plein exercice en France des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens et des médecins à diplômes européens ou à diplômes hors Union européenne. Bulletin de l’Académie nationale de médecine 2023;207(5):534-45.