Fréquente, sous-estimée et souvent mal diagnostiquée, la migraine est la première cause de céphalées chroniques récurrentes de l’enfant avec une prévalence de 3 à 10 %. Comment faire le diagnostic ? Quelle prise en charge en MG ? Quand passer la main ?
L’impact de la migraine peut être sévère chez l’enfant, se traduisant par un absentéisme scolaire important (7 jours par an), mais son évolution est spontanément favorable dans environ 50 % des cas.
Faire le diagnostic
Le diagnostic est clinique, fondé sur les critères de l’International Headache Society (IHS).
L’interrogatoire doit être poussé et l’examen complet (en particulier prise de la PA et testing neurologique minutieux). Par rapport à l’adulte, les crises migraineuses de l’enfant sont le plus souvent frontales ou bilatérales, de type compressif plutôt que pulsatile et de durée plus courte. Les céphalées sont généralement intenses avec une pâleur et des signes digestifs volontiers au premier plan. Les crises diffèrent selon l’âge de l’enfant. Plus il est jeune, plus elles sont courtes, avec un sommeil réparateur.
L’interrogatoire recherche :
- des symptômes prémonitoires : modifications du visage (pâleur ou cernes sous les yeux), fatigue, irritabilité ;
- des facteurs déclenchants : stimuli émotionnels (stress : 75,5 %), modification des rythmes de vie (manque de sommeil : 68,6 %), stimuli sensoriels (chaleur : 68,6 % et jeux vidéo : 64,7 %). Les facteurs alimentaires sont rares ;
- une aura.
On doit également évaluer le retentissement au quotidien – qui peut se traduire par des troubles du sommeil ou de l’appétit – mais aussi sur la vie familiale, sociale et scolaire (absentéisme).
Les crises avec aura sont fréquentes, de prévalence variable. Les auras sont dominées par les manifestations visuelles à types de phosphènes, scotomes scintillants, taches colorées, flou visuel. Mais il peut s’agir de troubles sensitifs (paresthésies des membres ou du visage), auditifs (sifflement, bourdonnement ou hallucinations auditives) ou moteurs (baisse de la force musculaire). Les auras peuvent précéder la céphalée, comme classiquement chez l’adulte, mais elles peuvent aussi être concomitantes.
En pratique, le diagnostic n’est pas si simple car chez de nombreux enfants, migraines et céphalées de tension sont associées. Ces dernières, d’intensité plus faible, surviennent essentiellement le soir au retour de l’école, n’empêchent pas la poursuite des activités, ne sont pas accompagnées de troubles digestifs ni de photophobie et ont le plus souvent une résolution spontanée. L’examen recherche de manière systématique des contractures musculaires en particulier cervicales.
Pas d’explorations si les critères diagnostiques sont présents et l’examen neurologique normal. L’imagerie a des indications très précises (encadré ci-dessous).
Prise en charge
Expliquer ce qu’est la maladie migraineuse est un préalable indispensable : fréquence, caractère bénin, évolution, différence sémiologique avec les céphalées de tension.
Une fois le diagnostic posé, la prise en charge vise à arrêter la crise de migraine lorsqu’elle débute et prévenir les récidives. Cette prise en charge repose sur des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Initialement, elle peut tout à fait être instaurée par le médecin traitant. Quand les crises se font plus fréquentes et/ou difficiles à contrôler, le recours à une structure spécialisée dans la douleur pédiatrique est alors indiqué.
Traitement de la crise
Cette mise en place de traitement de crise est initiée dès le diagnostic de migraine posé. Le repos dans l’obscurité est souvent adopté spontanément. Il peut être une thérapie à part entière, notamment pour les très jeunes enfants qui vomissent, se couchent, s’endorment rapidement et se réveillent « guéris » quelques heures plus tard. Aucun médicament n’est nécessaire.
Dans les autres cas, la prise de médicaments est impérative, à bonne posologie, dès le début de la crise migraineuse, et ce, y compris en milieu scolaire ; le médecin établit alors un certificat pour la mise en place d’un projet d’accueil individualisé (PAI). L’enfant doit pouvoir disposer de son traitement en permanence. Les AINS sont plus efficaces que le paracétamol. Selon la SFEMC, l’ibuprofène, à 10 mg/kg, est indiqué en première intention. Autres molécules possibles : diclofénac (poids > 16 kg), naproxène (enfant > 6 ans ou poids > 25 kg), aspirine (15 mg/kg/prise) ; paracétamol (15 mg/kg). Le sumatriptan nasal (10 et 20 mg) est à utiliser en deuxième intention à partir de 12 ans ou si le poids dépasse 35 kg. Certains effets secondaires mineurs tels que mauvais goût dans la bouche, paresthésies, bouffées de chaleur, dysesthésie au niveau du pharynx, sensation d’oppression, sont fréquents avec les triptans. La caféine peut induire des céphalées par abus médicamenteux : son utilisation n’est donc pas recommandée.
Quelques règles à respecter :
- La monothérapie est la règle en première intention, mais l’association de deux classes médicamenteuses peut être possible à un intervalle de 15 à 30 minutes entres les deux prises ou d’emblée en fonction du contexte.
- La prise d’antalgiques doit être limitée, pas plus de deux prises par semaine, afin de prévenir les céphalées par abus médicamenteux. Une réévaluation doit être rapidement proposée en cas de consommation supérieure ou égale à 8 à 10 prises sur un mois.
- La voie d’administration orale est à privilégier. En cas de nausées/vomissements, les voies sublinguale ou intranasale sont une bonne alternative.
- Il faut essayer le traitement de crise sur plusieurs crises pour juger de son efficacité.
Prévention et traitement de fond
Pour prévenir les crises, il faut identifier les facteurs déclenchants. Il est également judicieux de s’appuyer sur un agenda des crises de migraine, qui permet d’évaluer leur nombre, intensité, durée, les circonstances déclenchantes, les jours et horaires de survenue, l’efficacité du traitement et de dépister une surconsommation médicamenteuse.
Une hygiène de vie correcte doit toujours être recommandée : sommeil suffisant, alimentation équilibrée, réduction du stress, activité physique régulière, utilisation « raisonnable » des écrans. Il est important que les patients et leurs parents reconnaissent les prodromes pour agir en conséquence. Les méthodes psychocorporelles (relaxation, thérapies cognitives et comportementales, hypnose…) sont recommandées en première intention. Mais elles sont difficilement accessibles en raison du faible nombre de praticiens expérimentés.
En cas d’échec, un traitement de fond médicamenteux est envisageable après une évaluation pluriprofessionnelle dans une structure spécialisée dans la prise en charge des douleurs de l’enfant chez des enfants souffrant de plus de 3 à 4 crises par mois.
Différentes molécules sont utilisées, mais leur niveau de preuve est faible, voire inexistant :
- amitriptyline (Laroxyl) en gouttes (1 goutte = 1 mg), intéressant si céphalées de tension associées ou en cas de céphalée chronique quotidienne ; la posologie est à fixer de manière individuelle, en débutant par des doses minimes : 0,3 à 0,5 mg/kg/j, à augmenter très progressivement, et en restant toujours très en-dessous des posologies antidépressives ;
- métoprolol (Lopressor, 25 à 50 mg/j) ;
- propranolol (Avlocardyl, 2 à 4 mg/kg/j) ;
- flunarizine (Sibelium cp, 10 mg) à 5 mg/j, AMM à partir de 10 ans ;
- topiramate (Epitomax), à dose inférieure aux posologies antiépileptiques (au maximum 50 mg/j) ;
- pizotifène (Sanmigran, 0,5 à 1 mg/j) après 12 ans ;
- oxétorone (Nocertone cp, 60 mg), 15 à 30 mg/jour.
On attend 3 mois pour juger de son efficacité ; la durée de prescription est variable en fonction des enfants. Les vacances d’été peuvent être une occasion pour tenter de l’arrêter progressivement.
Quand faire un bilan ?
Une imagerie cérébrale est recommandée si :
- anomalies à l’examen clinique, signes d’hypertension intracrânienne, torticolis, convulsions ;
- aura atypique : début brutal, prolongée au-delà de 1 heure, survenant toujours du même côté et/ou sans symptômes visuels.
En cas d’examen neurologique normal, on pratique une neuro-imagerie si :
- céphalées datant de moins de 6 mois, d’intensité croissante et ne répondant pas aux traitements ;
- céphalées survenant toujours du même côté ;
- modification récente des caractéristiques des céphalées ;
- âge inférieur à 6 ans.
Chez l’enfant, l’IRM cérébrale avec angio-IRM est privilégiée par rapport au scanner cérébral, du fait de l’absence d’irradiation et de sa meilleure sensibilité pour détecter certaines tumeurs et malformations vasculaires.
Donnet A, Mareau C. Migraine de l’enfant. Rev Prat Med Gen 2017;31(991):826-7.
Berciaud S. Migraine de l’enfant : stratégie thérapeutique, du pédiatre aux centres spécialisés. Réalités pédiatriques 30 novembre 2022.
Richer L, Billinghurt L, Linsdell MA, et al. Drugs for the acute treatment of migraine in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2016;4(4):CD005220.