Les médecins généralistes sont confrontés au quotidien aux arrêts de travail répétés ou de longue durée, aux situations de handicap, aux maladies professionnelles, aux maladies chroniques ou encore aux troubles psychosociaux. Autant de situations qui justifient d’échanger précocement avec le médecin du travail, dans le respect du cadre réglementaire, dont le secret médical.
Un tiers du temps sur le terrain
Les missions du médecin du travail sont définies par la réglementation, qui prévoit en particulier que « le médecin du travail consacre à ses missions en milieu de travail le tiers de son temps de travail ».1
Ces actions en milieu de travail, qui recouvrent notamment les études de postes, les visites d’entreprises, la construction et la mise à jour de la fiche d’entreprise – sur laquelle figurent, notamment, les risques professionnels et les effectifs de salariés qui y sont exposés –, permettent au médecin du travail de connaître la réalité du terrain et des expositions professionnelles. Ainsi, il peut étayer les conseils qu’il délivre et les avis qu’il rédige à l’issue des visites médicales.
« Le médecin du travail est le conseiller de l’employeur, des travailleurs, des représentants du personnel et des services sociaux. Dans le champ de ses missions, il participe à la prévention des risques professionnels et à la protection de la santé des travailleurs, notamment par :
- l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’entreprise ;
- l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la santé physique et mentale, notamment en vue de préserver le maintien dans l’emploi des salariés ;
- la protection des travailleurs contre l’ensemble des nuisances, notamment contre les risques d’accidents du travail ou d’exposition à des agents chimiques dangereux (…) ».2
Les services de santé au travail ont pour « mission principale d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail »3 (prévention primaire).
En pratique, le médecin du travail est susceptible d’agir en prévention primaire, secondaire ou tertiaire. Si l’on prend l’exemple des troubles musculosquelettiques (TMS), la prévention primaire revient à éviter leur survenue ; la prévention secondaire consiste à les dépister et à les prendre en charge précocement pour éviter le passage à la chronicité ; enfin, la prévention tertiaire s’attache à favoriser le retour et le maintien en emploi des personnes ayant des TMS chroniques sévères.4
Visites médicales et maintien en emploi : deux autres missions clés
La loi n° 2021 - 1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail – dernière réforme en date – spécifie un socle de services couvrant trois domaines : la prévention des risques professionnels, le suivi individuel des travailleurs et la prévention de la désinsertion professionnelle(ou maintien en emploi).5
Un suivi individuel préventif de l’état de santé
Dans le champ de ses missions, le médecin du travail décide des modalités de mise en œuvre du suivi individuel de l’état de santé des travailleurs, suivi qui a une vocation exclusivement préventive. Il renseigne le dossier individuel de santé au travail afin notamment de répondre à des impératifs de traçabilité des expositions professionnelles.
Il réalise tous types de visites médicales de santé au travail : initiale, périodiques, de préreprise, de reprise, de mi-carrière, à la demande, post-exposition et post-professionnelle, dont certaines sont obligatoires.
La périodicité et le type des visites varient en fonction :
- de l’exposition aux risques professionnels déclarés par l’employeur (suivi individuel simple [SIS], adapté [SIA] ou renforcé [SIR]) ;
- des caractéristiques intrinsèques du travailleur (âge, état de santé, handicap, maternité…) ;
- de l’appréciation du médecin du travail.
Lors de chaque visite, le médecin du travail évalue l’adéquation entre l’état de santé et le poste de travail et peut effectuer des préconisations (aménagements de poste…). Il peut déléguer certaines de ses activités aux infirmiers de santé au travail selon des protocoles écrits et sous sa responsabilité.
Pluridisciplinarité au cœur des missions
Le médecin du travail anime et coordonne une équipe pluridisciplinaire2 qui se compose de médecins du travail, d’intervenants en prévention des risques professionnels, d’infirmiers et d’assistants des services de santé au travail et, le cas échéant, de collaborateurs médecins et d’internes de la spécialité. Cette équipe collabore quotidiennement avec des acteurs de l’entreprise, de la prévention et/ou du soin, du maintien en emploi – dont les travailleurs sociaux – ou encore de la compensation du handicap (Agefiph, Cap emploi-réseau Cheops, Maison départementale des personnes handicapées [MDPH]…) dans le strict respect du secret médical6 et toujours dans l’intérêt de la santé des travailleurs. Cette coordination se concrétise notamment en prévention de la désinsertion professionnelle (figure).
Quand orienter vers le médecin du travail ?
Il est important de penser systématiquement aux liens entre la santé et l’activité professionnelle en interrogeant le patient sur son poste, ses conditions et son environnement de travail.
Visite de préreprise dès trente jours d’arrêt de travail
Le médecin traitant est un acteur majeur pour aider les patients dans leurs démarches et préparer au mieux leur retour à l’emploi, sans attendre la fin d’un arrêt de travail. À ce titre, la visite de préreprise est très importante.
Le salarié, le médecin traitant, le médecin-conseil et le médecin du travail peuvent demander une visite de préreprise notamment s’il existe des inquiétudes concernant l’avenir professionnel du patient et/ou sa capacité à reprendre son activité.
Au décours de cette visite – essentielle bien que non obligatoire –, le médecin du travail peut recommander des aménagements et des adaptations du poste de travail, préconiser un reclassement et des formations, voire une réorientation professionnelle.
Le salarié peut être informé de la possibilité d’une visite de préreprise à l’occasion d’un rendez-vous de liaison (encadré).
Une visite à la demande : dans quelles circonstances ?
Dans une démarche de maintien en emploi et/ou d’accompagnement personnalisé, tout salarié peut demander une visite médicale, indépendamment des visites obligatoires, notamment s’il anticipe un risque d’inaptitude à son poste.
Par exemple, lorsque :
- le patient, malgré les soins, souffre d’un problème de santé susceptible de s’aggraver ou de mener à une perte d’emploi en l’absence d’aménagement ou de changement de poste ;
- il existe un doute sur l’origine professionnelle de symptômes ou d’une maladie ;
- une patiente a un projet de grossesse ou est enceinte, afin de prévenir les risques pour elle et le fœtus (travail de la mère et/ou du père avec des animaux, des produits chimiques…).
Temps partiel thérapeutique
Le temps partiel thérapeutique est un arrêt de travail à temps partiel permettant une reprise progressive lorsque le travail est de nature à favoriser l’amélioration de l’état de santé. Il peut aussi être mis en œuvre dès l’apparition du problème de santé, sans être nécessairement précédé d’un arrêt de travail à temps complet.
Là encore, différents acteurs sont mobilisés : le médecin traitant prescrit ; le médecin-conseil valide ou non cette prescription ; l’employeur donne ou non son accord ; le médecin du travail en précise les modalités de mise en place au poste de travail.
Seul le médecin du travail est habilité à prescrire des aménagements, des restrictions et/ou un avis d’aptitude/d’inaptitude au poste de travail pour raison médicale, ou de reconversion professionnelle.
Qu’est-ce que le « rendez-vous de liaison » ?
Introduit par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, le rendez-vous de liaison entre un salarié en arrêt de travail depuis plus de trente jours et son employeur fait partie d’un ensemble de mesures destinées à éviter la désinsertion professionnelle (ou la perte d’emploi).7 En effet, plus un arrêt de travail se prolonge, plus la reprise est difficile pour le travailleur, voire compromise. Organisé à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ce rendez-vous vise à informer ce dernier qu’il peut bénéficier d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle, de la visite de préreprise et des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail, ou d’aménagement du temps de travail.
Bien que le médecin du travail puisse y être associé, ce rendez-vous n’est pas une visite médicale : il ne comporte aucun échange d’informations médicales et le patient/salarié peut le refuser.
2. Articles R4623-1 du code du travail et R717-52-2 du code rural et de la pêche maritime, versions en vigueur depuis le 28 avril 2022.
3. Article L4622-2 du code du travail, version en vigueur depuis le 31 mars 2022.
4. Ha C, Roquelaure Y, Imbernon E. Troubles musculo-squelettiques. Rev Prat Med Gen 2012;26(874):67-71.
5. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884445
6. Touïl L, Manaouil C. Secret médical en médecine du travail. Avec qui et comment le médecin du travail doit communiquer ? Rev Prat 2018;68(4):375-80.
7. Fantoni-Quinton S. Maintien en emploi : nouveau rendez-vous de liaison avec l’employeur pendant un arrêt de travail. Rev Prat 2023;73(4);373-5.