Q uel médecin laisserait à l’abandon plus de 80 % des patients atteints d’une maladie chronique grave, affectant au moins 25 % de la population et mortelle dans 50 % des cas ? Quel praticien ne mettrait pas en œuvre un traitement préconisé dans 22 des guides ALD30 de la HAS ? Aucun… Pourtant, selon Santé publique France,1 près de 53 % des fumeurs qui ont tenté d’arrêter lors du premier Mois sans tabac n’ont fait appel à aucune aide : 26,9 % ont eu recours à la cigarette électronique, 18,3 % aux substituts nicotiniques et seulement 10,4 % à un médecin !
Cette situation inacceptable sur le plan sanitaire a des causes multiples et le problème n’est pas d’accuser, mais de reconsidérer la dépendance tabagique pour ce qu’elle est selon l’OMS : une maladie chronique récidivante. Ajoutons que la contamination des noyaux cérébraux où se multiplient les récepteurs nicotiniques est organisée chez les adolescents par l’industrie du tabac. Elle l’a bien décrit dans ses documents internes : plus la consommation tabagique est précoce, plus le sujet fumera sa première cigarette tôt après le réveil, plus longtemps il lui fera gagner 8 à 9 euros par jour. Les fumeurs sont les victimes d’une intoxication pédiatrique industrielle, non des coupables.
C’est aux médecins de proposer de remplacer, quelle que soit la motivation du fumeur, la prise de nicotine fumée –qui entretient la dépendance –, par une forme non fumée qui permet d’en baisser la quantité au rythme d’un tiers chaque mois. La saturation des récepteurs nicotiniques peut être obtenue avec la varénicline, les patchs, les formes orales de substituts ou la cigarette électronique. Si la dépendance physique est parfaitement compensée, le sujet ne fumera pas au-delà de 4 bouffées et l’analyse comportementale pourra être conduite (en revanche, s’il juge cette cigarette « bonne jusqu’au bout », c’est qu’il est sous-dosé). Chercher à obtenir la motivation du fumeur avant que cette escalade de doses ne soit terminée est peu efficace, entraînant culpabilité, nervosité et prise de poids. Le remboursement à 100 % des traitements d’aide au sevrage du tabac chez les patients en ALD ou ayant une mutuelle facilite la substitution, en la rendant abordable.
La e-cigarette est un outil qui plaît aux consommateurs : elle leur permet d’adapter à chaque instant la dose de nicotine et de s’occuper les mains quand ils se retrouvent avec un groupe d’amis fumeurs. La terrible épidémie de pneumopathies liées au vapotage de produits frelatés aux États-Unis est maintenant clairement circonscrite par la FDA qui a émis des recommandations : ne pas acheter ses e-liquides dans la rue, ne pas utiliser d’extrait de cannabis. Le directeur général de l’Anses a confirmé que les e-liquides commercialisés en France sont sans risque sanitaire. Rappelons que la cigarette électronique et les substituts nicotiniques sont réservés exclusivement aux fumeurs.
Le Mois sans tabac est l’occasion de changer ses pratiques et de considérer différemment les fumeurs. Vivons activement ce moment !
1. BEH 2018 (n° 14-15):298-300.