Les Drs Alexandra Mailles, Xavier Lescure, Brigitte Autran et Steve Ahuka ont abordé les toutes nouvelles données concernant l’émergence du virus monkeypox lors d’une conférence de l’ANRS Maladies infectieuses le 2 juin. Bilan de la situation actuelle, origine du virus, traitements, vaccin… Ce que l'on sait sur cette flambée des cas qui semble différente des épidémies survenant en Afrique.

Combien de cas ?

Alexandra Mailles, épidémiologiste à la direction des maladies infectieuses de Santé publique France, a fait un point épidémiologique.

Bilan au 31 mai :

– 33 cas confirmé en France : 24 en IDF, 4 OCC, 2 ARA, 1 HDF, 1 CVL, 1 NOR. Aucun hospitalisé, aucun décès.

– 321 cas signalés dans l’Union européenne (surtout en Espagne et Portugal) et 236 hors de l’UE, dont la plupart au Royaume-Uni (179).

La majorité des cas sont des hommes ayant des relations avec des hommes (HSH). La SPF n’a pas voulu révéler de chiffres précis. Mais nous avons consulté le dernier rapport du UK Health Security Agency, en Angleterre « 86 % des cas sont des résidents de Londres (132 sur 153) et seulement 2 sont des femmes. 87 % avaient de 20 à 49 ans. 111 sont homosexuels, bisexuels ou HSH. Les enquêtes à ce jour ont identifié des liens avec la fréquentation de bars gays, des saunas et l'utilisation d'applications de rencontres au Royaume-Uni et à l'étranger ».

Alexandra Mailles précise toutefois que cette infection n’est pas considérée comme une IST, puisque la transmission aurait lieu via le contact direct avec les lésions ou avec les tissus (linge de maison) souillés ou via de grosses gouttelettes (salive, éternuements…).

Quels traitements ?

Le Pr Xavier Lescure, infectiologue au service de maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Bichat Claude-Bernard AP-HP, a fait le point sur les possibilités thérapeutiques.

Le tecovirimat est le principal antiviral disponible. Il a une AMM européenne, octroyée sous circonstances exceptionnelles dans le traitement de la variole, la variole du singe (MPXV) et la vaccine (virus cowpox). Il n’est pas recommandé chez l’enfant de moins de 13 kg et pendant la grossesse (en l’absence de données disponibles chez la femme enceinte).

Il existe sous forme orale ou injectable.

À ce jour, il n’y a pas de données d’efficacité chez l’homme contre ces virus, en dehors de quelques observations isolées, mais son efficacité est puissante chez l’animal (notamment le macaque) si administré dans les 6 premiers jours. La durée de traitement est de 14 jours.

D’après les études de phases 1 et 2, le profil de tolérance est bon, les principaux effets indésirables étant des céphalées et des troubles digestifs (diarrhée, nausées, vomissements, douleurs abdominales).

Comme pour le Paxlovid, les interactions médicamenteuses sont nombreuses (bupropion, repaglinide, voriconazole, rilpivirine, maraviroc, midazolam, atorvastatine, tacrolimus, méthadone, sildénafil, darunavir, oméprazole, lansoprazole, rabéprazole).

En alternative (en 2e intention donc), on dispose du brincidofovir, prodrogue du cidofovir, qui a été développé initialement par le laboratoire Chimerix dans les infections à CMV. Chez l’animal, il semble efficace mais moins performant que le tecovirimat (mais aucune étude comparative disponible).

Les immunoglobulines anti-vaccine VIG sont envisageables chez les populations particulières pour lesquelles les antiviraux sont contre-indiqués, notamment chez les femmes enceintes et les jeunes enfants avec un poids de moins de 13 kg.

En termes de stratégie thérapeutique, compte tenu de la bénignité de cette infection, le traitement est réservé aux formes graves (lésions cutanées très étendues, encéphalite, pneumonie, etc.) et aussi aux terrains à risque (enfant, femme enceinte, immunodéprimé). Il n’a pas d'indication en prophylaxie post-exposition pour les cas contacts mais un essai clinique est en cours (il est préférable de vacciner les cas contacts).

Que savons-nous sur les vaccins ?

Brigitte Autran, professeure émérite d'immunologie à la faculté de médecine de Sorbonne Université, a abordé la question de la vaccination.

Il existe des vaccins anti-varioliques de 1ère, 2e et 3e génération, qui induisent une immunité croisée contre les 3 virus de la famille des hortopoxviridas (variole, variole du singe vaccine).

Ceux de 1re (Institut Vaccinal) et de 2e génération (Sanofi Pasteur), à base du virus vivant de la vaccine, ne sont plus utilisés (pour le 1er, depuis la fin des années 80 du fait de l’éradication de la variole). Ils sont très immunogènes (1 seule administration suffit), mais aux prix d’effets secondaires potentiellement graves notamment chez les immunodéprimés et les personnes ayant des pathologies cutanées.

Les vaccins de 3e génération ont été développé plus récemment : vaccins non réplicatifs, ils ont une bien meilleure tolérance, mais ils requièrent 2 injections (espacées de 28 jours). Seul le vaccin Imvanex (Bavarian Nordic) a une AMM européenne compassionnelle, obtenue, comme le tecovirimat, dans le cadre de la lutte antiterroriste à la variole, mais il changera rapidement de statut (utilisation d’urgence) compte tenu de la situation actuelle.

Selon Brigitte Autran « la sécurité de ce vaccin est bien établie car il a déjà utilisé lors des dernières campagnes des années 60, notamment chez les immunodéprimés, mais aussi comme vecteurs pour des candidats-vaccinscontre d’autres virus dans des essais cliniques ».

L’efficacité est bonne chez les primates (85 %).

Pour le moment, la gravité du monkeypox ne nécessite pas une campagne de vaccination préventive. Les recommandations sont de vacciner en post-exposition les personnes ayant eu un contact rapproché avec un malade. Étant donné que la période d’incubation est longue (de 1 à 3 semaines), une injection dans les 4 jours après contact empêche la propagation de l’infection et la formation des vésicules (qui sont la principale source de transmission). Une étude de cohorte est mise en place actuellement pour suivre les contacts vaccinés (versus ceux qui refusent la vaccination).

Enfin, Brigitte Autran a répondu à la question qu’on se pose tous : où sont les stocks de vaccins ? « C’est une information secret-défense, mais les stocks sont calibrés pour la situation actuelle ». Le Pr Lescure a ajouté : « Nous avons commencé à vacciner les cas contacts à l’hôpital Bichat. À ce jour, seulement une dizaine de personnes ont reçu une injection ».

Et enfin, quid de la vaccination des cas contacts qui ont déjà reçu le vaccin anti-variole étant enfants ? Selon Brigitte Autran, une mémoire persiste mais on n’est pas certains qu’elle soit suffisante pour protéger le patient. Compte tenu de la bonne tolérance de ce vaccin, elle est recommandée (en 2 injections) aussi chez ces sujets.

Une épidémie différente des flambées en Afrique ?

Le Dr Steve Ahuka, chef du département de virologie à l’Institut national de recherche biomédicale (République démocratique du Congo), a expliqué que le monkeypox est endémique dans le continent africain. L’homme se contamine habituellement au contact de rongeurs ou de singes infectés, qui seraient les principaux réservoirs. La transmission animal/homme représente 2/3 des cas, qui se concentrent essentiellement dans les zones forestières. Seulement un tiers des cas sont infectés par voie interhumaine (homme/homme).

La mortalité oscille entre 1 et 10 %. Les décès sont liés à une prise en charge tardive (surinfections de lésions cutanées notamment chez l’enfant, tableaux respiratoires…), les flambées ayant lieu surtout dans des régions isolées, où l’accès aux soins est difficile.

Contrairement aux flambées dans les pays endémiques, les cas récemment constatés en Europe concernent des adultes (transmission interhumaine) vivant dans des agglomérations, et majoritairement des hommes ayant des relations avec des hommes. Autre point différent : les lésions génitales sont plus fréquentes, ce qui est probablement lié à ce mode de transmission.

« Nous avons l’impression donc de faire face donc à 2 épidémies différentes pour plusieurs aspects : manifestations, mode de transmission et système de soins différents », constate Steve Ahuka. D’où sa crainte : est-ce que le virus aurait acquis un nouvel mode de transmission pour se propager plus facilement d’humain à humain ?

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés