Selon un article du Lancet souvent cité, la pollution serait responsable de 9 millions de décès prématurés chaque année dans le monde, avec de fortes inégalités entre les pays. En France, 48 000 décès seraient attribuables à la pollution de l’air, selon Santé publique France. D’où viennent ces chiffres et à quoi correspondent-ils ?

L’information que la pollution est responsable de 9 millions de décès prématurés chaque année dans le monde est souvent citée. Il est important de comprendre d’où vient cette estimation et à quoi elle correspond.

La source est un article paru dans le Lancet en 2022.1 Les polluants pris en compte figurent dans le tableau. En 2019, 9 millions de décès étaient attribuables à la pollution dans le monde, ce qui correspond à 16 % des décès, soit un décès sur six. D’après cet article, la pollution de l’air extérieur par les particules fines est responsable de 4,14 millions de décès en 2019. Ce chiffre concorde avec l’estimation de l’Organisation mondiale de la santé :2  elle attribue à la pollution de l’air extérieur près de 4,2 millions de décès prématurés par an dans le monde en 2019 dus à l’exposition aux particules fines, qui provoquent des maladies cardiovasculaires et respiratoires ainsi que des cancers.

Parmi les pollutions considérées, certaines ne concernent pas les pays développés. En particulier, seule la pollution de l’air intérieur due au mode traditionnel de cuisson (sur un feu ouvert ou un fourneau inefficace brûlant du bois, des excréments d’animaux, des déchets de culture ou du charbon) est prise en compte. Il en est de même pour la pollution de l’eau : seuls sont pris en compte les effets sur la santé des difficultés d’accès à l’eau potable et de l’insalubrité des installations sanitaires. En conséquence, 92 % des décès liés à la pollution surviennent dans les pays à revenus bas ou moyens. Ainsi, 720 000 décès liés à la pollution surviennent chaque année dans les pays à revenu élevé.

Sur quoi reposent ces estimations ?

La méthodologie, assez complexe, est bien détaillée dans l’annexe 1 d’un article du Global Burden of Disease Collaborative Network (GBD) paru en 2020.3 Prenons comme exemple le risque de décès par cancer du poumon associé à l’exposition aux particules fines en France. Pour calculer la proportion des décès par cancer du poumon attribuables à la pollution de l’air par les particules fines, deux sortes d’information sont nécessaires :

  • des données sur l’exposition de la population à cette pollution. Elles sont obtenues à partir de la cartographie de la pollution moyenne annuelle, estimée à partir des données de surveillance et de la cartographie de la densité de population (fig. 1)  ;
  • une estimation de l’augmentation du risque de décès par cancer du poumon associée aux différents niveaux d’exposition à cette pollution. Cette estimation résulte de la synthèse de résultats des nombreuses enquêtes étudiant le risque de cancer du poumon en fonction de la pollution de l’air. On estime ainsi que le risque de décès par cancer du poumon augmente de 9 % pour chaque 10 μg/m3 de particules fines en plus, la relation entre la dose et l’augmentation du risque étant linéaire.

Si l’on connaît la répartition de la population entre les différents niveaux de pollution et l’augmentation du risque de cancer du poumon pour chaque niveau de pollution supérieur à un niveau de référence, il est possible de calculer la proportion des cancers du poumon attribuables à une exposition supérieure au niveau de référence. Ce calcul est effectué séparément pour chaque sexe et classe d’âge de cinq ans (0 à 4 ans, 5 à 9 ans…, 85 ans et plus).

La figure 2 explique le principe du calcul pour un sexe et un âge donné, par exemple les hommes de 40 à 44 ans, à partir de données inventées. On suppose que 65 % de ces hommes ont une exposition moyenne annuelle aux particules fines inférieure à 10 μg/m3, que 20 % ont une exposition entre 10 et 19,9 μg/m3, 10 % une exposition entre 20 et 29,9 μg/m3 et 5 % une exposition supérieure ou égale à 30 μg/m3. Passer d’une exposition inférieure ou égale à 10 μg/m3 à une exposition entre 10,1 et 20 μg/m3 augmente le risque de 9 %, donc multiplie le risque par 1,09. Passer d’une exposition inférieure ou égale à 10 μg/m3 à une exposition entre 20,1 et 30 μg/m3 multiplie le risque par 1,09 × 1,09 = 1,18, et enfin passer d’une exposition inférieure ou égale à 10 μg/m3 à une exposition supérieure à 30 μg/m3 multiplie le risque par 1,09 × 1,09 × 1,09 = 1,3. La proportion des cancers du poumon attribuables à une exposition supérieure à 10 μg/m3 est le rapport entre la surface grise et la surface totale grise plus quadrillée sur la figure 2. Ensuite, il suffit de multiplier le nombre de décès par cancer du poumon chez les hommes de 40 à 44 ans par cette proportion (qui s’appelle aussi la « fraction attribuable ») pour obtenir le nombre de décès par cancer du poumon attribuables à la pollution de l’air par les particules fines dans cette population.

Le résultat dépend beaucoup du choix du niveau d’exposition de référence. Les estimations du Lancet et de l’OMS prennent comme niveau de référence 10 μg/m3 en moyenne annuelle (qui est un objectif de l’OMS pour la qualité de l’air) : ils estiment donc les nombres de décès qui seraient évités si la pollution annuelle moyenne ne dépassait nulle part 10 μg/m3. Les résultats pour la France sont en ligne :4 la mortalité attribuable à la pollu­tion de l’air extérieur par les particules fines est estimée être égale à 13 200 décès par an (avec une fourchette de précision entre 9 000 et 17 000), ce qui correspond à 2,2 % des décès, et 1 100 décès par bronchopneumopathie chronique obstructive sont attribuables à l’ozone.

48 000 décès dus à la pollution de l’air en France ?

Par ailleurs, Santé publique France (SPF) a publié en 2016 une estimation de 48 000 décès par an attribuables à la pollution de l’air en France,5 près de 4 fois supérieure à l’estimation du Global Burden of Disease (GBD). Contrairement à l’estimation du GBD, celle de SPF n’a pas été obtenue par addition des nombres de décès attribuables à la pollution estimés pour chaque maladie dont le risque est augmenté par la pollution (respiratoire, cardiovasculaire, cancer du poumon, etc.). Elle est obtenue, plus simplement, à partir de l’observation d’une corrélation entre les données journalières de mortalité toutes causes confondues et le niveau de pollution par les particules fines en µg/m3. De cette corrélation, on tire une estimation de l’augmentation du risque de décès toutes causes confondues pour une augmentation de 10 µg/m3 de la pollution par les particules fines. Plusieurs méta-analyses des études disponibles donnent des estimations qui varient de 6 à 15 %, et SPF a choisi l’estimation pessimiste de 15 %. Connaissant la mortalité et la pollution dans chaque commune de France, des calculs estiment ensuite le nombre de décès évités si la pollution était moindre.

Naturellement, le résultat dépend énormément du scénario alternatif de moindre pollution. Pour arriver au chiffre de 48 000, SPF a choisi un scénario alternatif correspondant à une situation théorique qui repose sur une forme d’utopie qui supposerait l’arrêt complet de toute activité industrielle, agricole, médicale, domestique et tertiaire. Ce scénario serait celui dans lequel toutes les communes de France auraient le niveau de pollution des 5 % des communes rurales les moins polluées (ce sont principalement des communes de montagne). Dit autrement, si toute la population française respirerait l’air pur des 5 % des communes rurales les moins polluées (5 µg/m3), alors 48 000 décès par an seraient évités (ou, pour être plus précis, car le décès d’un individu ne peut être que reporté, l’espérance de vie à l’âge de 30 ans serait allongée de neuf mois).

Mais SPF a également procédé à des estimations en prenant d’autres hypothèses. Avec un scénario alternatif dans lequel aucune commune ne dépasserait une pollution moyenne annuelle de 10 µg/m3, on éviterait 18 000 décès annuels. Cette estimation est assez proche de la borne supérieure de l’estimation du GBD. Ainsi, le nombre de 48 000 décès attribuables à la pollution en France est doublement exagéré : l’estimation du risque est arbitrairement élevée et le scénario alternatif est déraisonnable.

Qu’en retenir ?

On estime que la pollution est responsable de 9 millions de décès prématurés par an dans le monde. Pour chaque cause de décès dont le risque est augmenté par la pollution, un nombre de décès attribuable à la pollution est calculé par comparaison avec le nombre attendu pour un niveau de pollution de référence qui est 10 μg/m3 pour la pollution particulaire de l’air extérieur.

Seulement 8 % des décès attribuables à la pollution surviennent dans les pays à revenu élevé (effets importants des pollutions de l’eau et de l’air intérieur par des modes de cuisson traditionnels dans les pays à revenus bas ou moyens).

En France, par cette méthode, on estime que 13 200 décès par an sont liés à  la pollution particulaire de l’air extérieur et 1 100 à l’ozone. Santé publique France, qui conclut que 48 000 décès par an sont attribuables à la pollution de l’air en France, surévalue donc le risque d’un facteur proche de 4 en surestimant, d’une part, l’effet de la pollution et en prenant, d’autre part, une pollution de référence utopique.

Références
1. Fuller R, Landrigan PJ, Balakrishnan K, Bathan G, Bose-O’Reilly S, Brauer M, et al. Pollution and health: a progress update. Lancet Planet Health 2022;6(6)e535-47.
2. WHO. Ambient (outdoor) air pollution. 19 décembre 2022.
3. GBD 2019 Risk Factors Collaborators. Global burden of 87 risk factors in 204 countries and territories, 1990-2019: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019. Lancet 2020;396:1223-49.
4. Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME). Global Burden of Disease Collaborative Network. Global Burden of Disease Study 2019 (GBD 2019) Results. 2020.
5. Pascal M, de Crouy Chanel P, Wagner V, Corso M, Tillier C, Bentayeb  M, et al. Analyse des gains en santé de plusieurs scénarios d’amélioration de la qualité de l’air en France continentale. Bull Epidémiol Hebd 2016;26-27:430-7.

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Résumé

On estime que la pollution est responsable de 9 millions de décès prématurés par an dans le monde. Pour chaque cause de décès dont le risque est augmenté par la pollution, un nombre de décès attribuable à la pollution est calculé par comparaison avec le nombre attendu pour un niveau de pollution de référence qui est de 10 μg/m3 pour la pollution particulaire de l’air extérieur. Seulement 8  % des décès attribuables à la pollution surviennent dans les pays à revenu élevé (effets importants des pollutions de l’eau et de l’air intérieur par des modes de cuisson traditionnels dans les pays à revenus bas ou moyens). En France, par cette méthode, on estime que 13 200 décès par an sont liés à la pollution particulaire de l’air extérieur et 1 100 à l’ozone. Santé publique France, qui conclut que 48 000 décès par an sont attribuables à la pollution de l’air en France, surévalue donc le risque d’un facteur proche de 4 en surestimant l’effet de la pollution et en prenant une pollution de référence utopique.