Pour la première fois, le suicide passe en tête des causes de la mortalité des mères jusqu’à un an après l’accouchement, suivi des maladies cardiovasculaires, selon les données sur la période 2016 - 2018 publiées par Santé publique France. Quels messages clés retenir pour la prévention, en pratique ?

Depuis 1996, l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) permet d’étudier les décès maternels en France. Le 7e rapport de l’ENCMM, portant sur la période 2016 - 2018, vient d’être publié.

2016 - 2018 : mortalité stable par rapport aux périodes précédentes

Entre 2016 et 2018, 272 morts maternelles ont été enregistrées en France, pendant une grossesse ou dans l’année qui a suivi sa fin. Cela équivaut à environ 90 décès/an, soit 1 décès tous les 4 jours. Considéré sur cette période (jusqu’à un an après la fin de la grossesse), le ratio de mortalité maternelle est de 11,8 décès pour 100 000 naissances vivantes, sans diminution par rapport aux périodes précédentes étudiées.

Considéré à 42 jours après la fin de la grossesse (indicateur de référence pour les comparaisons internationales), le ratio de mortalité maternelle en France a été de 8,5 pour 100 000 naissances vivantes entre 2016 et 2018 (197 décès au total), ce qui est dans la moyenne des pays européens.

Le suicide devient la première cause de mortalité

Le suicide et les maladies cardiovasculaires confirment leur place prépondérante parmi les causes des morts maternelles – une tendance déjà observée sur la période précédente (figure) :

Entre 2016 et 2018, le suicide est toutefois devenu la première cause de mortalité jusqu’à un an après la fin de la grossesse :

  • 16,5 % des morts maternelles ont été attribuées au suicide et à d’autres causes psychiatriques (ratio de 1,9 décès/100 000 naissances vivantes), contre 13,4 % sur la période 2013 - 2015 ;
  • 15 % ont été attribuées aux maladies cardiovasculaires (morts CV indirectes + cardiomyopathies du péripartum classées en morts maternelles directes), contre 13,7 % en 2013 - 2015.

Sur les premiers 42 jours suivant la fin de la grossesse, les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité (16 %), avec 1,3 décès/100 000 naissances vivantes.

Des inégalités sociodémographiques

Le risque de mortalité maternelle augmente avec l’âge, de façon marquée à partir de 35 ans : par rapport aux femmes de 20 - 24 ans, il est multiplié par 2,6 pour celles de 35 - 39 ans et par 5 à partir de 40 ans.

Les femmes migrantes ont 2 fois plus de risque de mortalité comparées à celles nées en France. Ce phénomène est particulièrement marqué pour les femmes nées en Afrique subsaharienne (multiplication par 3,1).

La vulnérabilité socio-économique est un autre facteur de risque, multipliant la mortalité par 1,5 : 34 % des mères décédées avaient au moins un critère de précarité (chômage, logement précaire, isolement, couverture sociale par CMU ou AME ou absence totale de couverture), versus 22 % dans la population générale des parturientes.

Les DROM avaient un niveau de mortalité 2 fois plus élevé que celui de l’Hexagone.

Enfin, la prévalence de l’obésité était 2 fois plus importante chez les mères décédées (26 %) que dans la population générale des parturientes.

Plus de la moitié des décès sont évitables

Globalement, 60 % des décès maternels sont considérés comme « probablement » (17 %) ou « possiblement » (43 %) évitables. Le rapport montre que des progrès sont possibles, puisqu’il établit que, dans deux tiers des cas, les soins dispensés n’ont pas été optimaux.

Les auteurs pointent donc certains messages clés pour améliorer la prévention, le dépistage et la prise en charge coordonnée et multidisciplinaire en périconceptionnel de ces risques, durant la grossesse et en post-partum :

  • évaluer périodiquement le niveau de risque tout au long de cette période, dans les 3 dimensions (somatique, psychiatrique et sociale) car celui-ci évolue ;
  • pendant le suivi prénatal, recueillir systématiquement et de façon détaillée les informations sur le contexte social, les conditions de vie et les antécédents de violences, au même titre que les antécédents médicaux classiques ;
  • l’échange d’informations et la coordination des soins entre l’équipe de maternité et les autres acteurs de soins sont cruciaux pour éviter le décès chez les femmes atteintes d’une pathologie somatique ou psychiatrique préexistante ou découverte en cours de grossesse. Ils débutent idéalement en préconceptionnel et se poursuivent plusieurs mois après l’accouchement ;
  • pour améliorer la prévention du suicide maternel, tout au long du suivi de la grossesse et dans l’année qui suit l’accouchement :
    • rechercher les facteurs de risque de dépression, personnels et familiaux (cf. notre dossier « Dépression du post-partum »),
    • dépister les symptômes de troubles mentaux par l’interrogatoire et en s’aidant d’outils standardisés comme l’Edinburgh Postpartum Depression Scale  (EPDS),
    • informer les femmes enceintes et leur entourage des signes de dépression périnatale, de leur fréquence et de l’importance de consulter rapidement en cas de symptômes ;
  • concernant les maladies cardiovasculaires :
    • évaluer régulièrement le risque de décompensation chez les femmes porteuses d’une maladie cardiovasculaire préexistante, et ce dès la période préconceptionnelle,
    • rechercher une origine cardiaque devant toute symptomatologie respiratoire – toux, sibilants, dyspnée, orthopnée –, en particulier en cas de prééclampsie ou de résistance aux premiers traitements entrepris,
    • rechercher une rupture de l’aorte ou de l’artère splénique en cas de survenue d’une douleur thoracique ou abdominale brutale et intense, à l’aide d’un scanner thoraco-abdominal avec injection.

L’application de ces actions permettra aussi d’éviter la survenue de complications maternelles sévères non létales, beaucoup plus nombreuses.

Pour en savoir plus
Santé publique France. Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir. 7e rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), 2016-2018. 3 avril 2024.
À lire aussi :
Bottemanne H, Joly L. Dépression du post-partum.  Rev Prat Med Gen 2021;35(1062);489-95.
Mallordy F, Nobile C. Dépression du post-partum : premier traitement spécifique per os.  Rev Prat (en ligne) 6 novembre 2023.

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