Deux personnes, dont un enfant de 3 ans, sont mortes du choléra1 au mois de mai 2024, à Mayotte (taux de létalité à 1,6 %). En date du 5 juin 2024, un total de 148 cas de choléra (dont seulement 20 importés).
Le choléra est une infection due au bacille Vibrio cholerae contracté à la suite de l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminée. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette maladie constitue à l’échelle globale « un indicateur de l’absence d’équité et d’un développement social insuffisant. Le choléra est une maladie de la pauvreté qui touche les personnes n'ayant pas un accès suffisant à l'eau potable et aux services d’assainissement de base. »
Cette infection est aujourd’hui considérée comme endémique dans de nombreux pays : le nombre de cas annuels dans le monde est estimé entre 1,3 et 4 millions, et le nombre de décès dus à la maladie entre 21 000 et 143 000.2 Mais le nombre de cas notifiés à l’OMS est bien en-deçà de ces estimations. Cet écart tient au fait que les systèmes de surveillance sont fragiles et qu’il existe probablement des craintes d’impacts négatifs sur l’activité commerciale et touristique des régions concernées. L’OMS a établi une feuille de route intitulée Ending Cholera : A global roadmap to 2030. Il s’agit d’une stratégie mondiale de lutte lancée en 2017 visant à diminuer de 90 % la mortalité liée à cette maladie (23 pays signalent actuellement des épidémies), notamment grâce à la prévention par la vaccination, l’accès à l’eau potable ainsi qu’aux services d’hygiène et d’assainissement.
En France, les mesures d’assainissement et d’hygiène ont mené à la quasi-disparition de la maladie. Néanmoins, en Guyane et à Mayotte, des épidémies limitées se sont déclarées dans les années 1990 - 2000. Les cas importés sont essentiellement liés à la consommation de boissons ou d’aliments contaminés à l’étranger.
Qu’il puisse y avoir des cas importés est déjà révoltant. Qu’il puisse y avoir des cas autochtones, d’autant ! Or tel est bien le cas ! Une première question se pose alors, celle de la prévention : l’accès à l’eau potable et aux réseaux d’assainissement ne serait donc pas garanti pour toute la population sur le territoire français ? Faut-il généraliser la vaccination pour pallier le manque d’infrastructures salubres ? En effet, à Mayotte, les coupures d’eau sont fréquentes et l’accès à l’eau potable n’est pas une évidence.
S’il est inadmissible que des cas autochtones de choléra puissent exister en 2024 sur le territoire français, il est encore plus insoutenable qu'il y en ait des morts. De là, se pose une deuxième question : celle de l’accès aux soins. En effet, la maladie est aisée à traiter : prévenir la déshydratation par des solutés de réhydratation orale, voire réhydrater par voie intraveineuse. Ce drame force à s’interroger sur la prise en charge des populations les plus précaires d’abord, et d’autant plus en territoire non métropolitain. Mayotte est le département français doté de la densité en médecins généralistes la plus faible (9/100 000 en 2021 [données Cnam]) et dont l’unique service d’urgence hospitalier semble en grande carence de personnel, des dires mêmes du directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) de l’océan Indien ! Cette ARS a pourtant bien établi pour Mayotte un Programme pour l’accès à la prévention et aux soins des plus démunis 2018 - 2023 projetant des parcours de santé fluides et sans rupture, une offre de santé accessible à tous, une place donnée à la santé communautaire... Des vœux pieux ?
L’accès aux soins des migrants venus essentiellement des Comores à Mayotte est un sujet important : le projet de réforme de l’Aide médicale d’État est une ineptie qui s’inscrit à rebours de la santé publique. Il existe déjà 50 % de non-recours au dispositif du fait de difficultés rencontrées pour y accéder. Or la réforme prévoit notamment l’extension du dépôt physique des demandes de renouvellement au guichet des administrations et la réinstauration d’une franchise ou d’un droit de timbre pour avoir accès à l’AME. Ces mesures risqueraient d’augmenter le non-recours et donc également les dépenses publiques, du fait d’une dégradation de l’état de santé des potentiels bénéficiaires.3
Il est grand temps d’ouvrir les yeux et de tourner le regard vers cette réalité : une médecine à plusieurs vitesses s’installe dans notre pays, laissant la prévention sur le bas-côté et creusant les écarts entre les territoires et entre les personnes. Alors que l’équité des soins et la santé publique devraient à l’évidence être des priorités – rentables qui plus est, et si cela qu’il faut considérer pour être entendu !
Un récent rapport de la Cour des comptes sur l’organisation territoriale des soins de premier recours appuie d'ailleurs la nécessité d’améliorer l’accès aux soins pour tous sur tout le territoire : il y est constaté que « la multiplication des dispositifs d’aides [existants] et leur instabilité dans le temps rendent une consolidation globale des résultats très difficile. Bien que des éléments positifs soient à noter, les aides apportées se révèlent inefficaces si l’on en juge par leur faible impact ». Cette juridiction appelle à « une stratégie globale […] qui [devrait] permettre ensuite de répondre aux problèmes identifiés dans chaque territoire ».4 Sans en exclure aucun.
2. OMS. Choléra. 11 décembre 2023.
3. Collectif. « Non au démantèlement à bas bruit de l’aide médicale de l’Etat » Le Monde 11 mai 2024.
4. Cour des comptes. L’organisation territoriale des soins de premier recours. Mai 2024.