Les statines sont largement prescrites en prévention cardiovasculaire, mais souvent arrêtées par les patients à cause de leurs effets indésirables musculaires. Cette intolérance concernerait 10-20 % des patients, avec une grande variabilité selon les études. Une notion remise en question par une vaste méta-analyse publiée dans le Lancet, dont les résultats surprenants pourraient modifier les pratiques.

Les statines sont le traitement de référence en cas d’hypercholestérolémie, en prévention cardiovasculaire primaire et secondaire. C’est l’une des classes médicamenteuses les plus prescrites au monde, mais qui a fait l’objet de vives controverses médiatisées. De nombreux effets indésirables leur ont été attribués, notamment des symptômes musculaires, dont l’intensité est variable, allant des myalgies (crampes ou faiblesses musculaires) sans élévation des CPK, fréquentes, à des cas très exceptionnels de rhabdomyolyse. Résultat : un patient sur deux interrompt le traitement, en réduit la dose ou en prend de façon irrégulière. Toutefois, jusqu’à présent, la proportion de personnes vraiment intolérantes à ces médicaments n’est pas bien connue : elle serait en moyenne de 10-20 %, avec d’importantes variations selon les études.

Dans une vaste étude publiée dans le Lancet, les auteurs ont réalisé une méta-analyse de 23 essais de bonne qualité, incluant chacune au moins 1 000 participants (suivis pendant au moins 2 ans), randomisés et en double aveugle (statine versus placebo ou traitement par statine intensif versus traitement moins intensif).

L’analyse des essais contrôlés contre placebo (n = 123 940 ; âge moyen : 63 ans ; 28 % de femmes ; 48 % ayant des antécédents de maladie vasculaire ; 18,5 % diabétiques) révèle que, au cours d’un suivi médian de 4,3 ans, 27,1 % des patients sous statine contre 26,6 % sous placebo ont signalé des douleurs ou une faiblesse musculaire.

Au cours de la première année, le traitement par statine a induit une augmentation relative de 7 % des symptômes musculaires, correspondant à un taux d’excès absolu de 11 événements pour 1 000 personnes-années, ce qui indique que seulement un sur quinze des signalements d’effets indésirables musculaires par les participants serait en fait dû à la statine. Dans plus de 90 % des cas, une autre cause serait responsable.

Par ailleurs, après la première année, le surrisque de douleurs ou de faiblesse musculaire dans les groupes sous statines n’était plus statistiquement significatif.

Enfin, les auteurs n’ont pas pu retrouver une relation dose-réponse claire, mais les traitements plus intensifs ont provoqué une augmentation plus importante des symptômes musculaires que ceux d’intensité modérée au cours de la première année de traitement (11 % contre 6 %), et un léger excès de risque semble persister après 1 an avec les statines de forte intensité.

Au vu de ces résultats, les chercheurs proposent une révision des stratégies recommandées de prise en charge des myalgies sous statines : le traitement devrait être poursuivi jusqu’à ce que toutes les autres causes possibles aient été écartées.

Qu’en retenir pour la pratique ?

Selon le Pr Gilles Bouvenot, professeur émerite de thérapeutique à la faculté de médecine de Marseille : « Les résultats de cette étude sont très intéressants, car ils suggèrent que les statines sont moins souvent responsables de myalgies que ce que l’on croyait par le passé, et indiquent qu’un effet nocebo existe, nourri par les débats médiatisés de ces dernières années ».

Devant un patient se plaignant de douleurs musculaires sous statines, il ne faut pas les incriminer systématiquement d’emblée, car la cause est probablement ailleurs : il faut donc évaluer très attentivement les symptômes des patients pour rechercher d’autres origines.

L’imputabilité est d’autant plus probable que les symptômes sont symétriques et qu’ils touchent les grosses masses musculaires dépendantes des grosses articulations, et qu’elles surviennent dans le mois qui suit l’introduction de la statine. Pour vérifier si la statine est en cause, on peut suspendre quelques semaines le traitement puis le reprendre à la résolution des symptômes (si les symptômes persistent à l’arrêt, il faut rechercher une autre cause) ; il faut également éliminer certaines conditions favorisantes (hypothyroïdie, carence en vitamine D, prise cachée d’un fibrate) et évaluer la compréhension des enjeux de prévention et la perception de ce traitement par le patient.

« Un autre message important de cette étude est que les douleurs musculaires ne se manifestent que pendant la première année de traitement. En prévention secondaire, où le bénéfice des statines est bien supérieur aux risques, on peut considérer avec le patient la possibilité de poursuivre le traitement si les douleurs sont tolérables, sachant qu’elles ne dureront pas ». Bien sûr, si cela n’est pas envisageable, on peut discuter avec le patient des différentes stratégies possibles, selon les recommandations : prise d’une statine différente et/ou à dose moins intense, la perte d’efficacité pouvant être plus ou moins compensée par l’ajout d’ézétimibe, voire solliciter un avis spécialisé dans les cas plus difficiles.

Pour en savoir plus

Ledru F. Stratégies de prévention cardiovasculaire secondaire. Rev Prat 2018;68(4);439-45.

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