Symptôme classique de la grossesse, les nausées et vomissements gravidiques sont le plus souvent sans gravité. Les formes modérées à sévères altèrent néanmoins la qualité de vie des femmes enceintes. Cette hyperémèse gravidique constitue une pathologie qui peut être invalidante, source de complications de la grossesse. Même si l’efficacité des stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses n’est pas démontrée, il est indispensable de proposer une prise en charge à ces patientes.
Les nausées et vomissements font partie des symptômes classiques de la grossesse, qualifiés de « petits maux ». « Petits maux »… une expression sémantiquement bien mal adaptée pour qualifier, d’une part, le large spectre clinique de cette maladie et, d’autre part, sa sévérité potentielle, pouvant aller jusqu’au décès maternel.1,2
Face à l’incompréhension et à la méconnaissance de leur maladie, tant dans la société que dans le milieu médical, des associations de patientes (Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique, 9 mois avec ma bassine) se sont créées pour faire reconnaître l’hyperémèse gravidique et sensibiliser les soignants et les femmes à cette maladie et ses conséquences. Vomir à répétition durant des semaines, perdre du poids parfois de manière conséquente, être affaiblie, ne plus pouvoir assurer le quotidien, la vie de famille et le travail, voilà ce que peuvent vivre certaines femmes alors qu’elles sont enceintes et que la société leur répète que « la grossesse n’est pas une maladie ». Par ailleurs, les témoignages de ces femmes font état de prises en charge très hétérogènes sur le territoire. Ainsi, ces associations ont sollicité le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) afin qu’un groupe de travail définisse des règles de bonne pratique de prise en charge.3

Symptômes fréquents, première cause d’hospitalisation au premier trimestre

Les nausées et vomissements constituent l’un des symptômes les plus fréquents de la grossesse, touchant de 50 à 90 % des femmes.3 Le plus souvent, ils sont peu sévères, sans altération de la qualité de vie, et disparaissent à la fin du premier trimestre.
Les formes plus sévères constituent l’hyperemesis gravidarum (hyperémèse gravidique [HG]) : chez environ 35 % des femmes, les nausées et vomissements de la grossesse sont invalidants, altèrent la vie quotidienne et l’activité professionnelle et affectent négativement les relations familiales.3 Lors de 0,3 à 3,6 % des grossesses, ces vomissements sont incoercibles et constituent la principale cause d’hospitalisation au premier trimestre de la grossesse.3

Trois paramètres pour évaluer la gravité

La plupart des sociétés savantes4-6 parlent de nausées et vomissements gravidiques lorsque les symptômes surviennent au premier trimestre, en l’absence d’autres causes, éliminées par l’interrogatoire et l’examen clinique. L’évaluation des symptômes s’appuie sur la perte de poids, les signes de déshydratation et le score PUQE modifié (Pregnancy Uni­que Quantification of Emesis and nausea) [tableau 1], simple d’utilisation et bien corrélé à la gravité des nausées et vomissements gravidiques. Ce score est établi par un interrogatoire portant sur des périodes de vingt-quatre heures. Sa version modifiée est à préférer à la version originale, qui n’était réalisée que sur des périodes de douze heures.
Les nausées et vomissements gravidiques sont considérés comme non compliqués lorsque la perte de poids est inférieure à 5 %, sans signes cliniques de déshydratation et avec un score PUQE ≤ 6.
L’hyperémèse gravidique, incluant les formes modérées à sévères, est définie par des nausées et vomis­sements gravidiques associés à au moins l’un des signes suivants :
– une perte de poids supérieure ou égale à 5 % ;
– un ou des signes cliniques de déshydratation ;
– un score PUQE ≥ 7.
Ces formes sont les plus difficiles à prendre en charge.

Facteurs de risque et mécanismes mal identifiés

De nombreux facteurs de risque ont été proposés : portage d’Helicobacter pylori, prédisposition génétique, faible indice de masse corporelle, fœtus de sexe féminin, grossesse multiple ou antécédent d’hyper­émèse gravidique lors d’une grossesse précédente.3,7 Malgré la réalisation de plusieurs études sur l’identification de facteurs de risque d’hyperémèse gravidique, la présence de résultats contradictoires et la petite taille des échantillons rendent le rôle de ces facteurs incertain.3,7
Les mécanismes expliquant l’hyper­émèse gravidique sont mal compris. Les causes sont probablement multi­factorielles et peuvent varier d’une femme à l’autre en fonction d’éléments de prédisposition génétique, de facteurs biologiques, du sexe du fœtus ou de l’état de santé général. Les changements hormonaux ont été les mieux étudiés mais ne parviennent pas à eux seuls à expliquer de façon cohérente la symptomatologie clinique. La plupart des études se sont concentrées sur l’hormone chorionique gonadotrophique humaine (hCG), les hormones thyroïdiennes et les hormones stéroïdiennes comme le cortisol, les œstrogènes et la proges­térone au début de la grossesse ; l’apparition et le pic des symptômes sont en effet corrélés avec les élé­vations de plusieurs de ces hormones.3,7 Des études ont évalué les hormones qui affectent l’appétit telles que la ghréline ou la leptine. Récemment, il a été montré que des hormones telles que le growth dif–ferentiation factor 15 (GDF15) ou ­l’insulin-like growth factor-binding protein (IGFBP7), qui sont des marqueurs de la cachexie et affectent l’appétit et la perception du goût, peuvent influencer le développement et la gravité de l’hyperémèse gravidique et les changements de poids qui en résultent pendant la grossesse. La voie la plus probable semble être celle du GDF15 (fig. 1). ­Fejzo et al. ont ainsi démontré l’implication de variants communs dans les gènes codant pour les protéines placentaires GDF15 en lien avec IGFBP7 et leurs récepteurs hormonaux (GFRAL et PGR).8,9 Et récemment, Petry et al. ont démontré que les concentrations circulantes de GDF15 étaient plus élevées chez les femmes signalant des vomis­sements au cours du deuxième trimes­tre que chez les femmes ne signalant aucune nausée ou vomissement pendant la grossesse. Ils ont également constaté que les concentrations sériques de GFD15 étaient fortement et positivement corrélées avec les niveaux d’hormone chorionique gonadotrope (hCG), suggérant un lien entre ces deux hormones.10
Le fonctionnement de la voie GDF15-GFRAL-RET est imparfaitement compris. Il est possible que l’hCG puisse influencer ou être influencée par la voie GDF15-GFRAL-RET.11 Des études complémentaires devront explorer cette question.
Enfin, il est important de souligner que la théorie d’une cause psychologique aux nausées et vomissements de la grossesse et à l’hyper­émèse gravidique n’est pas corroborée par les données de la littérature. Il n’y a aucune association entre hyperémèse gravidique et des traits particuliers de la personnalité. Il est essentiel d’abandonner l’idée que ces femmes rejettent leur grossesse ou somatisent des troubles psychiques.

Multiples conséquences de l’hyperémèse gravidique

La survenue d’une hyperémèse gravidique influence le déroulement de la grossesse. Il existe une association entre hyperémèse gravidique et risques de petit poids de naissance, de petit poids pour l’âge gestationnel et de naissance préma­turée.3 Cependant, la qualité des études et l’absence d’analyse tenant compte d’éventuels critères de confusion (prise de poids gestationnel, autres pathologies associées) ne permettent pas de conclure à une véritable association et encore moins à un possible lien de causalité.
Pour les complications vasculaires de la grossesse, les malformations fœtales, l’état néonatal, ou encore la survenue de troubles psychologiques ou du comportement à l’âge adulte, il ne semble pas exister de lien avec l’hyperémèse gravidique.3 Cependant, les données disponibles ne permettent pas de conclure avec certitude.
L’hyperémèse gravidique peut aussi provoquer une cytolyse hépatique, qui se résout à l’arrêt des symptômes. Des perturbations hépatiques plus sévères ne peu-vent survenir que dans les formes extrêmement évoluées, heureu­sement devenues exceptionnelles.
L’hyperémèse gravidique s’associe également à un abaissement de la thyroid stimulating hormone (TSH) en raison de la compétition entre cette hormone et l’hCG dont elle partage une même sous-unité. Cependant, il n’existe généralement pas d’hyperthyroïdie vraie justifiant d’être traitée.
Chez la mère, il existe un risque d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, en particulier en cas de réhydratation sans ajout de thiamine (vitamine B1), qui peut être malheureusement irréversible même après supplémentation secondaire.3
Plus rarement, la carence en vitamine K peut entraîner une dysostose maxillo-faciale ou un syndrome de Binder (dysplasie maxillo-­nasale).3
L’hyperémèse gravidique peut altérer la qualité de vie personnelle comme professionnelle et avoir des conséquences psychologiques et psychiatriques (stress, troubles anxio­dépressifs, état de stress post-traumatique et idées suicidaires) durant la grossesse, qui peuvent se poursuivre dans le post-partum.3
La sévérité des symptômes peut parfois amener certaines femmes à envisager une interruption volontaire de grossesse non souhaitée initialement ou les amener à renoncer à une nouvelle grossesse.3
Enfin, il existe un risque de récidive lors d’une grossesse ultérieure, dont la fréquence est mal évaluée. Une revue systématique a trouvé cinq études hétérogènes rapportant des taux de récidive compris entre 15 et 81 %.12

Bilan pour identifier complications et diagnostics différentiels

Compte tenu de la fréquence très élevée des nausées et vomissements gravidiques, en cas de forme non compliquée, il n’y a pas lieu, en l’absence d’éléments de sévérité ou d’éléments évocateurs de pathologie sous-jacente, de réaliser un ­bilan biologique ou d’imagerie (à l’exception d’une échographie ob­stétricale).3
En cas d’hyperémèse gravidique, il convient de réaliser un dosage de la kaliémie, de la natrémie, de la créatininémie et une bandelette urinaire complète. Ce bilan a pour but d’évaluer les possibles conséquences de l’hyperémèse gravidique sur l’équilibre hydroélectrolytique et métabolique de la patiente. L’hyper­émèse gravidique peut en effet être responsable d’hypokaliémie, d’hyponatrémie, d’insuffisance rénale et d’acidocétose diabétique en cas de diabète préexistant à la grossesse. Il s’agit donc de rechercher des éléments de sévérité pouvant justifier une hospitalisation.3
En cas de persistance et/ou d’aggravation des symptômes après un traitement bien conduit, le bilan peut être complété par un dosage des transaminases, de la lipase, la réalisation d’une échographie abdominale, d’une numération leucocytaire, un dosage de la protéine C-réactive (CRP), de la thyréostimuline (TSH) et de la thyroxine (T4). Ce bilan a pour but d’éliminer les diag­nostics différentiels les plus fréquents qui n’auraient pas pu être posés sur les seules données de l’interrogatoire et de l’examen clinique. Il s’agit ainsi d’écarter une hépatite, une pancréatite, des formes atypiques d’appendicite, de pyélonéphrite, de torsion d’annexe, et une hyperthyroïdie.
Le praticien doit cependant garder à l’esprit que l’hyperémèse gravidique s’accompagne fréquemment de modifications des bilans hépatique et thyroïdien. Par exemple, la TSH peut être abaissée en raison de la similitude structurelle entre la bêta-hCG et la TSH (thyrotoxicose gestationnelle transitoire). Ces modifications sont le plus souvent la conséquence, et non la cause, de l’hyperémèse gravidique. En l’absence de maladie de Basedow véritable, évoquée à l’examen clinique devant un goitre et des signes de thyrotoxicose, il n’y a pas lieu de prescrire des antithyroïdiens de synthèse aux patientes chez qui le bilan biologique serait compatible avec une simple hyperthyroïdie gestationnelle transitoire.3
Les diagnostics différentiels sont évoqués soit d’emblée en cas de modifications biologiques majeures, soit devant la discordance entre l’évolution des anomalies biologiques qui persistent ou s’aggravent et celle des nausées et vomissements qui sont moins fréquents ou même disparaissent sous traitement.

Prise en charge graduelle

Compte tenu de la fréquence très élevée des nausées et vomissements gravidiques, de leur évolution très favorable dans la grande majorité des cas, lorsque ceux-ci sont non compliqués, la prise en charge doit se faire en ambulatoire, en l’absence de pathologie sous-jacente.

Critères d’hospitalisation

Une hospitalisation doit être proposée en cas d’hyperémèse gravidique lorsqu’elle est associée à au moins l’un des critères suivants :
– perte de poids supérieure ou égale à 10 % ;
– un ou des signes cliniques de déshydratation ;
– score PUQE supérieur ou égal à 13 ;
– kaliémie inférieure à 3 mmol/L ;
– natrémie inférieure à 120 mmol/L ;
– créatininémie supérieure à 100 μmol/L ;
– résistance au traitement.
L’hospitalisation ne doit être pro­posée qu’aux patientes avec hyper­émèse gravidique compliquée, c’est-à-dire présentant des pertes de poids significatives ou des troubles hydroélectrolytiques nécessitant d’être corrigés rapidement par voie parentérale.
Ces critères ne doivent pas être interprétés de façon stricte. L’association de plusieurs anomalies biologiques ne franchissant pas les seuils présentés ci-dessus peut aussi conduire à une hospitalisation qui est fonction de l’évaluation globale physique et psychologique de la patiente.

Règles hygiénodiététiques à adapter selon les symptômes

Les femmes doivent adapter librement leur régime alimentaire et leur mode de vie en fonction de leurs symptômes.
Aucune modification du régime alimentaire ou du mode de vie n’a prouvé son efficacité pour améliorer les nausées et vomissements gravidiques et l’hyperémèse gravidique. Bien que de grandes études observationnelles aient mis en évidence un changement dans la quantité et la qualité des régimes alimentaires des femmes avec nausées et vomissements gravidiques, il n’existe aucune donnée indiquant s’il s’agit d’un traitement efficace ou d’un simple évitement.3
Les modifications des habitudes de travail, l’activité physique, le repos en journée et un coucher plus tôt pourraient améliorer les nausées et vomissements gravidiques, mais les données concernant l’efficacité de ces interventions sont faibles en qualité, les études reposant sur des questionnaires d’habitude de vie sans évaluation spécifique d’un mode de vie.3
Il est conseillé aux femmes présentant des nausées et vomissements gravidiques d’arrêter les vitamines prénatales et la supplémentation en fer, et de privilégier la supplémentation en acide folique seule ; la supplémentation en fer au premier trimestre de la grossesse semble en effet aggraver les symptômes.3

Peu de données pour les méthodes non médicamenteuses

Gingembre dans les cas peu sévères

L’utilisation du gingembre a été bien explorée dans la littérature, mais les études disponibles sont de faible qualité, avec des critères d’inclusion et d’analyse hétérogènes et imprécis.3 Le gingembre a été étudié seulement chez des femmes ayant des symptômes de nausées et vomissements gravidiques peu sévères auxquelles il peut être proposé en première intention.
 

Pyridoxine (vitamine B6) sans amélioration démontrée

Les deux études ayant étudié l’effet de la pyridoxine sont de faible qualité méthodologique, notamment par leur critère d’évaluation qui repose sur l’échelle visuelle analogique pour les nausées (EVAn). Les patientes incluses dans ces études présentaient des symptômes classés comme légers à modérés ne nécessitant pas d’hospitalisation.3 Même si l’amélioration des symptômes n’est pas démontrée avec la vitamine B6, elle peut être administrée aux femmes ayant un score PUQE inférieur ou égal à 6. Cependant, elle n’est pas disponible en France aux posologies utilisées dans la littérature.
 

Aromathérapie déconseillée

L’efficacité de l’aromathérapie, utilisation d’huiles essentielles, sur les nausées et vomissements gravidiques a été étudiée dans deux essais randomisés. Ces études comportent de nombreuses faiblesses (populations hétérogènes, protocoles d’aromathérapie différents). Les patientes incluses présentaient des nausées et vomissements de la grossesse de faible sévérité, et il est donc impossible de conclure si l’aromathérapie a permis d’améliorer les nausées et les vomissements ou si cela était dû à l’évolution naturelle.
Par ailleurs, l’innocuité des huiles essentielles n’est pas certaine, et le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) préconise de s’abstenir de les utiliser en thérapeutique, en l’absence de données tant sur le bénéfice que sur le risque.
Ainsi, l’aromathérapie est déconseillée pour la prise en charge des patientes avec des nausées et vomissements gravidiques non compliqués en raison des possibles risques associés aux huiles essentielles et de l’absence d’efficacité démontrée.
 

Acupression, acupuncture et électrostimulation, efficacité non prouvée

L’acupression est définie par l’application d’une pression physique sur des points d’acupuncture spéci­fiques. L’acupression du point P6 (situé à trois largeurs de doigts au-dessus de l’articulation du poignet) réduirait les symptômes de nausées et de vomissements en dehors de la grossesse et a donc été étudiée dans la littérature pour les nausées et vomissements gravidiques.3 En raison de l’absence de comparaison des groupes acupression aux groupes placebo dans les essais publiés, l’efficacité de cette technique n’a pas été démontrée par ces essais.
En ce qui concerne l’acupuncture du point P6 ou l’acupuncture traditionnelle, il n’existe qu’une amélioration clinique très faible, sans réelle pertinence clinique.3
Enfin, pour la stimulation nerveuse légère externe, les données de la littérature sont trop faibles en qualité et quantité pour évaluer son efficacité.3
 

Seulement pour les formes non compliquées

En synthèse, les techniques de prise en charge non médicamenteuse des nausées et vomissements gravidiques (gingembre, vitamine B6, acupuncture, acupression) sont à réserver aux femmes avec des formes non compliquées (PUQE ≤ 6). L’aromathérapie n’est pas à utiliser.

Prise en charge médicamenteuse

Le tableau 2 reprend l’ensemble des médicaments pour lesquels il existe des données dans la littérature avec les posologies utilisées et les effets indésirables possibles.
 

Peu de données sur l’efficacité et la sécurité d’emploi des antiémétiques

Les données issues de la littérature sur l’efficacité et la sécurité des anti­émétiques au premier trimestre de la grossesse sont peu nombreuses et de faible qualité méthodologique. La plupart des antiémétiques n’ont pas fait l’objet d’études contre placebo, et leur efficacité dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse n’a pas été correctement évaluée.
Les études randomisées ayant comparé des antiémétiques entre eux dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse ne permettent pas de conclure à la supériorité d’une molécule par rapport à une autre en matière d’efficacité. De plus, ces études n’ont pas la puissance suffisante pour montrer un effet sur des événements rares. Les études de registre ont l’avantage de pouvoir mettre en évidence des événements de survenue plus rare en comparaison aux études randomisées mais ne peuvent démontrer un lien de causalité entre la thérapeutique et les effets indésirables, contrairement aux études randomisées.
Seule l’association doxylamine-­pyridoxine a été évaluée contre placebo ; elle n’a pas montré de supériorité pour la diminution des nausées ou des vomissements du premier trimestre de la grossesse, même si elle semble avoir le moins d’effets indésirables.3
Pour les autres antiémétiques (métoclopramide, prométhazine), aucune étude randomisée contre placebo n’est disponible. Les études ayant comparé des antiémétiques entre eux ne permettent pas de conclure à la supériorité d’une molécule par rapport à une autre dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse.3
Enfin, aucune étude n’a évalué l’efficacité de la métopimazine dans la prise en charge des nausées et vomissements gravidiques.3
 

Risques identifiés

Les neuroleptiques (métoclopramide), incluant les phénothiazines (chlorpromazine et prométhazine), utilisés dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse sont associés à un risque augmenté de signes extrapyramidaux (somnolence, tremblements, vertiges, dystonie).
L’exposition en période d’organo­genèse à l’ondansétron utilisé dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse est associée, dans des études de registre, à une augmentation minime du risque absolu de fentes labio-palatines (de l’ordre de 3 cas supplémentaires pour 10 000 naissances vivantes exposées).13,14
L’ondansétron, antiémétique antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine, ne possède pas d’autorisation de mise sur le marché en France dans le traitement des nausées et vomissements du premier trimestre de la grossesse mais dans les nausées et vomissements post­opératoires et les vomissements aigus induits par la chimiothérapie.
Les données issues de différents registres invitent à une certaine prudence mais ne contre-indiquent pas l’utilisation de l’ondansétron dès le premier trimestre dans les formes sévères pour lesquelles la balance bénéfice/risque est indéniable.13-16
Les corticoïdes, compte tenu de leurs effets indésirables potentiels et de leur efficacité incertaine, ne doivent être utilisés qu’en dernier recours en cas d’hyperémèse gravidique.3
 

Critères de choix du traitement

Au regard de ces éléments, le groupe de travail du CNGOF, dans le cadre de la conférence formalisée d’experts « Prise en charge des nausées et vomissements et de l’hyper­émèse gravidique de 2022 »3 a proposé que soient toujours choisis pour des utilisations en première, deuxième ou troisième intention les médicaments ou les associations de médicaments ayant les effets indésirables les moins sévères et les moins fréquents, compte tenu de l’absence de supériorité d’une classe médicamenteuse par rapport à une autre pour réduire les symptômes des nausées et vomissements et de l’hyper­émèse gravidique.
Afin d’aider les praticiens dans leur prescription, le groupe de travail a proposé un algorithme de prise en charge en fonction de la sévérité, de l’évolution et de la réponse au traitement (fig. 2). Cette proposition tient compte de la balance bénéfices/risques des traitements au regard des données de la littérature. Elle peut être adaptée aux protocoles et habitudes de chacun.

Traitements associés

Les thérapeutiques à visée anti­émétique peuvent être complétées d’une prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons à visée gastrique.
Une hydratation parentérale est indispensable dans les formes sévères. Elle doit faire appel au sérum salé isotonique plutôt qu’au sérum glucosé.17
De la vitamine B1 doit être systématiquement administrée en cas d’hyperémèse gravidique afin de prévenir la survenue d’une encé­phalopathie de Gayet-Wernicke. En effet, plusieurs cas d’encéphalopathie ont été décrits dans la littérature chez des patientes présentant une hyperémèse gravidique réfractaire aux traitements usuels, justifiant, compte tenu de la gravité de cette complication, une prévention systématique.3
La réhydratation parentérale à ­domicile est possible. Elle n’a pas démontré son équivalence ni sa supériorité pour le traitement des hyperémèses gravidiques, en comparaison à une hospitalisation en établissement de soins.3 Elle nécessite de façon concomitante une coordination, un soutien et une évaluation maternelle régulière qui ne sont pas toujours simples à mettre en œuvre. Pour ces raisons, le groupe d’experts ne l’a pas recommandée.
Après l’hospitalisation, il est possible d’organiser une prise en charge ambulatoire qui s’articule autour d’un médecin référent sur une durée initiale de sept à quinze jours afin de tenter de réduire les récidives sévères avec réhospitalisation. Le médecin référent peut être, selon les cas, le médecin traitant, le gynécologue de ville ou le gynécologue ­obstétricien de la maternité. Une surveillance clinique, et éventuellement biologique, peut alors être entreprise au domicile par une infirmière. En cas de dégradation de l’état clinique ou biologique, l’infirmière contacte le médecin référent pour adapter le traitement selon les modalités définies dans l’algorithme, ou décider d’une nouvelle hospitalisation, le cas échéant.3

Accompagnement des femmes atteintes d’hyperémèse gravidique

Il ne faut plus mettre à l’isolement (mise dans le noir, confiscation du téléphone portable ou interdiction de visites…) les patientes hospitalisées pour hyperémèse gravidique, en raison de l’absence de données suggérant une quelconque efficacité de cette mesure et de possibles effets psychologiques délétères.
Les conséquences psychologiques et psychiatriques de l’hyperémèse gravidique peuvent être sévères. Bien que l’efficacité de mesures de soutien psychologique n’ait jamais été évaluée sur l’intensité des symptômes des nausées et vomissements gravidiques, sur l’incidence de l’hyperémèse gravidique ou sur les symptômes psychologiques qui pourraient leur être associés, le soutien psychologique de ces patientes doit être encouragé. De plus, il convient d’informer les femmes souffrant d’hyperémèse gravidique de l’existence d’associations de patientes investies dans l’accompagnement, y compris de l’entourage. En France, deux associations sont engagées sur cette thématique : l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique (https://www.associationhg.fr) et 9 mois avec ma bassine (https://www.facebook.com/9moisavecmabassine/?locale=fr_FR). Elles sont également accessibles sur les réseaux sociaux.

Prise en charge indispensable des nausées et vomissements gravidiques

Il est important de repérer les femmes présentant des formes sévères de nausées et vomissements gravidiques ou altérant leur qualité de vie. L’objectif de la conférence formalisée d’experts était d’amé­liorer la prise en charge de l’hyper­émèse gravidique en donnant des lignes de conduite aux praticiens pour les aider dans l’accompagnement de ces femmes.
Même si l’efficacité des stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses n’est pas démontrée, il ne semble pas possible de ne pas proposer une prise en charge aux patientes souffrant de nausées et vomissements gravidiques compte tenu de la fréquence et de la mauvaise tolérance de ces symptômes en début de grossesse.
Les techniques de prise en charge non médicamenteuse ne peuvent être proposées, en l’absence d’efficacité et d’inefficacité réellement démontrées, qu’aux patientes présentant des formes non compliquées. Les anti­émétiques sont à proposer aux femmes qui présentent des symptômes modérés à sévères. Cependant, compte tenu de la pauvreté en nombre et qualité des données de la littérature, le champ des nausées et vomissements et de l’hyperémèse gravidique doit conduire à des travaux de recherche visant à identifier les meilleures stratégies permettant d’améliorer la qualité de vie des femmes atteintes et de produire des médicaments agissant sur les voies découvertes récemment. ●
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Résumé

Les nausées et vomissements de la grossesse sont un symptôme classique chez la femme enceinte. Le plus souvent sans gravité, les formes modérées à sévères, appelées hyperémèse gravidique, constituent une pathologie qui peut être invalidante, source de complications de la grossesse à court terme (troubles hydroélectrolytiques, arrêt de grossesse, retard de croissance) mais aussi à long terme (troubles anxiodépressifs, état de stress post-traumatique). Les formes minimes peuvent être atténuées par des règles hygiénodiététiques ou des traitements non médicamenteux (gingembre, acupuncture, acupression). Les formes modérées à sévères nécessitent un accompagnement psychologique spécifique, des traitements antiémétiques et, parfois, une hospitalisation avec traitement par voie intraveineuse et réhydratation parentérale. Leur prise en charge est complexe et difficile car elle ne permet pas toujours une disparition des symptômes, ce qui peut mettre en difficulté les soignants.