Arrêter le médicament est difficile en raison des risques de récidive du trouble bipolaire.
Les sels de lithium sont le traitement de référence du trouble bipolaire. Cependant, leur marge thérapeutique est étroite et leurs effets secondaires notables, en particulier deux types de néphrotoxicité : un trouble de la concentration des urines ou diabète insipide néphrogénique précoce et une réduction du débit de filtration glomérulaire (DFG) à long terme.

Physiopathologie

Le lithium, cation monovalent, se comporte comme le Na+ ; il est filtré librement à travers le glomérule.1 Les réabsorptions de ces 2 ions sont proportionnelles. Soixante-quinze pour cent de la charge filtrée sont réabsorbés au niveau du tubule proximal. Une petite fraction l’est au niveau distal dans le canal collecteur, à travers le canal sodium épithélial (ENaC) [figure]. En cas de déplétion en sel, 20 % sont réabsorbés dans la branche ascendante large de l’anse de Henlé. La lithiémie augmente donc chez les patients traités quand le DFG diminue (hypovolémie, prise d’AINS, d’IEC ou d’ARA2) ou bien quand la réabsorption est stimulée par un régime désodé ou des diurétiques.

Diabète insipide néphrogénique

Il survient chez 40 à 50 % des patients. Cet accroissement de la diurèse est dû à une régulation négative et à une baisse de l’expression des canaux Aquaporine 2 (AQP2) augmentant la perméabilité membranaire à l’eau en présence de vasopressine (VP). En s’accumulant dans la cellule, le lithium réduit la réponse du tube collecteur à la VP, entraînant une perte hydrique (figure).
Cette réduction de concentration urinaire est corrélée à la durée d’exposition au lithium. Elle se traduit par un syndrome polyuro-polydipsique qui peut atteindre 10 litres d’urines par jour. Il serait moins fréquent en cas de prise unique quotidienne et apparaît en général après 8 semaines de traitement.
à l’interruption des prises, les symptômes régressent lentement. Mais ils sont inconstamment réversibles, surtout si le traitement a été prolongé plus de 15 ans. Une prescription d’amiloride (Modamide) est possible, sous contrôle strict de la kaliémie et de la fonction rénale.

Insuffisance rénale chronique

Elle peut affecter certains malades après 10 à 20 ans.2Sa prévalence est chiffrée à 12 % après 19 ans de traitement.3 Le lithium est responsable d’un risque accru d’insuffisance rénale sévère (stade 3).4 Quelques cas dégénèrent en insuffisance terminale : 18 sur 3 369 dans l’étude de Bendz et al., soit 0,5 %,5 taux 6 fois supérieur à celui de la population générale.
Les patients arrivent parfois au stade de dialyse plusieurs années après avoir arrêté leur traitement.
C’est une néphropathie tubulo-interstitielle chronique d’évolution habituellement lente et fréquemment asymptomatique : sans hypertension artérielle ni protéinurie sauf à un stade avancé.
Si le syndrome néphrotique est exceptionnel, un trouble de la concentration urinaire est souvent associé. Ses principaux facteurs de risque sont la durée du traitement, l’âge du patient et des lithiémies supérieures à 0,6 mEq/L.

Hypercalcémie et hyperparathyroïdie

Le traitement par lithium au long cours peut entraîner aussi une hypercalcémie et une hyperparathyroïdie qu’il convient de dépister. Elles aggravent l’insuffisance rénale.
Une « fausse » hypercalcémie par déplétion du volume plasmatique, causée par le diabète insipide néphrogénique, doit être éliminée en premier lieu.

Diagnostic

Il repose sur une prise de lithium prolongée, actuelle ou ancienne (plus de 10 ans) et sur le constat d’une néphro-pathie tubulo-interstitielle chronique pour laquelle aucune autre cause n’a été retrouvée. L’évolution est lentement progressive : le déclin du DFG est de 2,2 mL/min/an en moyenne.2
L’imagerie (échographie ou IRM) met en évidence des microkystes corticaux et médullaires dans des reins de taille normale (33-62,5 % des cas). Ils sont issus du tubule distal et du canal collecteur ; leur prévalence croît avec la durée d’administration du lithium. Une néphrocalcinose peut être associée.
Si d’éventuels épisodes d’intoxication lithique ne semblent pas déterminants, le nombre de prises quotidiennes pourrait influencer la néphrotoxicité, avec une meilleure tolérance en prise unique.
Les maladies rénales kystiques s’accompagnent d’un risque accru de carcinomes à cellules claires ; quelques cas de tumeurs rénales chez des patients traités par lithium ont été décrits.
Les comorbidités (diabète, hypertension, obésité) jouent un rôle délétère dans la progression de la néphropathie.

Prise en charge

La surveillance de la lithiémie et de la fonction rénale est requise chez tous les patients traités mais elle est parfois insuffisante.
Le dosage de la créatinine est fait initialement, puis tous les 3 mois au cours des 6 premiers mois de traitement, puis une fois par an.
Tout événement intercurrent susceptible de modifier la concentration du médicament justifie un contrôle biologique supplémentaire.
Compte tenu du risque de surdosage en lithium et de néphrotoxicité, les AINS sont contre-indiqués. La prescription de diurétiques, d’IEC ou d’ARA2 est également délicate car elle expose aussi au surdosage avec insuffisance rénale aiguë. Si elle est indispensable, un contrôle rapproché de la lithiémie et de la fonction rénale s’impose.
À l’apparition d’une insuffisance rénale, un bilan à la recherche d’une autre cause est nécessaire. Puis on adapte la posologie au seuil efficace pour maintenir des lithiémies proches de 0,6 mmol/L (au maximum), même si l’impact de telles mesures n’a pas encore été démontré.

Arrêt du traitement ?

C’est une question délicate. Le néphrologue doit prendre en compte la gravité de la maladie psychiatrique, associée en l’absence de médicament à un risque élevé de récidive et de suicide. La discussion se fait donc conjointement entre le patient, le néphrologue et le psychiatre.
Le bénéfice de l’interruption du lithium n’est réel que si l’insuffisance rénale est modérée (DFG > 40 mL/min). Dans ce cas, on peut espérer une discrète amélioration, une stabilisation ou au moins un ralentissement de la dégradation fonctionnelle.2
Si le DFG est déjà < 40 mL/min/1,73 m2, il est vraisemblable que son déclin se poursuivra à la même vitesse. Dans l’étude de Presne et al., deux tiers des patients ayant un DFG entre 25 et 40 mL/min/1,73 m2 ont continué d’aggraver leur fonction rénale après sevrage ; ainsi que tous les patients avec un DFG < 25 mL/min/1,73 m2.
L’ESSENTIEL
La prise prolongée de lithium est responsable d’un diabète insipide néphrogénique chez 40 à 50 % des patients.
Indépendamment, une néphropathie tubulo-interstitielle chronique survient parfois après 10-20 ans, pouvant évoluer vers l’insuffisance rénale terminale. Ce risque est lié à la durée d’exposition.
L’arrêt prend en compte la gravité de la maladie psychiatrique (rechute, suicide) et la décision est conjointe (patient, néphrologue et psychiatre).
références
1. Grünfeld JP, Rossier BC. Lithium nephrotoxicity revisited. Nat Rev Nephrol 2009;5:270-6.

2. Presne C, Fakhouri F, Noel LH, et al. Lithium-induced nephropathy: Rate of progression and prognostic factors. Kidney Int 2003;64:585-92.

3. Bendz H, Aurell M, Balldin J, Mathe AA, Sjödin I. Kidney damage in long-term lithium patients: a cross-sectional study of patients with 15 years or more on lithium. Nephrol Dial Transplant 1994; 9:1250-4.

4. Shine B, McKnight RF, Leaver L, Geddes JR. Long-term effects of lithium on renal, thyroid, and parathyroid function: a retrospective analysis of laboratory data. Lancet 2015;386:461-8.

5. Bendz H, Schön S, Attman PO, Aurell M. Renal failure occurs in chronic lithium treatment but is uncommon. Kidney Int 2010;77:219-24.

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