La mémoire permet d’enregistrer, de stocker et de restituer des informations, mais cette définition est incomplète eu égard à sa complexité, puisqu’elle forge notre identité, constitue la source de nos pensées, opère des va-et-vient avec des représentations issues de notre passé personnel et collectif, les projette vers un futur imaginé, construit notre trajectoire de vie, et participe à la régulation de nos relations sociales et à nos prises de décision.1,2 De plus, l’approche des sciences humaines et sociales met l’accent sur la place d’un individu confronté aux mémoires collectives qui s’écrivent autour de lui.3
Les syndromes amnésiques, puis les syndromes démentiels ont constitué les sources d’inférence principales pour différencier plusieurs formes de mémoire. La recherche de dissociations entre capacités mnésiques perturbées et préservées dans ces pathologies est devenue le paradigme privilégié en neuropsychologie, complété par les travaux d’imagerie cérébrale.
Les syndromes amnésiques, puis les syndromes démentiels ont constitué les sources d’inférence principales pour différencier plusieurs formes de mémoire. La recherche de dissociations entre capacités mnésiques perturbées et préservées dans ces pathologies est devenue le paradigme privilégié en neuropsychologie, complété par les travaux d’imagerie cérébrale.
Mémoire de travail, stockage et gestion des informations
La mémoire de travail est le système mnésique responsable du maintien temporaire et de la manipulation des informations nécessaires à la réalisation d’activités aussi diverses que la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement. Elle est constituée de deux systèmes satellites de stockage (la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial), supervisés par une composante attentionnelle, l’administrateur central (figure ).
La boucle phonologique est chargée du stockage d’informations verbales, de leur manipulation et de leur rafraîchissement. Le calepin visuo-spatial est impliqué dans le stockage des informations spatiales et visuelles ainsi que dans la formation et la manipulation des images mentales. L’administrateur central gère le passage de l’information vers la mémoire à long terme. Il prend appui sur un buffer épisodique, chargé du stockage temporaire d’informations intégrées provenant de différentes sources, qui joue un rôle dans l’encodage et la récupération en mémoire épisodique. Il se trouve ainsi à l’interface entre plusieurs systèmes et utilise un code multidimensionnel commun à ces différents systèmes.
La boucle phonologique est chargée du stockage d’informations verbales, de leur manipulation et de leur rafraîchissement. Le calepin visuo-spatial est impliqué dans le stockage des informations spatiales et visuelles ainsi que dans la formation et la manipulation des images mentales. L’administrateur central gère le passage de l’information vers la mémoire à long terme. Il prend appui sur un buffer épisodique, chargé du stockage temporaire d’informations intégrées provenant de différentes sources, qui joue un rôle dans l’encodage et la récupération en mémoire épisodique. Il se trouve ainsi à l’interface entre plusieurs systèmes et utilise un code multidimensionnel commun à ces différents systèmes.
Mémoire à long terme, multiples interactions
Au sein de la mémoire à long terme, la mémoire épisodique est la mémoire des événements personnellement vécus, situés dans leur contexte temporo-spatial d’acquisition. Sa caractéristique fondamentale est de permettre le souvenir conscient d’une expérience antérieure : l’événement lui-même (quoi) mais aussi le lieu (où) et le moment (quand) de sa survenue. La récupération d’un souvenir en mémoire épisodique donne au sujet l’impression de revivre l’événement, grâce à un « voyage mental dans le temps » au travers de son propre passé, associé à la « conscience autonoétique » (ou conscience de soi).
La mémoire sémantique est la mémoire des concepts, des connaissances sur le monde, indépendamment de leur contexte d’acquisition. Elle est associée à la « conscience noétique », ou conscience de l’existence des objets et de diverses régularités. La mémoire sémantique permet une conduite introspective sur le monde, mais comprend aussi les connaissances générales sur soi : la sémantique personnelle.
Les données neuropsychologiques documentant la distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique sont nombreuses et s’appuient notamment sur l’étude méthodique des syndromes amnésiques. Ainsi, les dissociations au sein de l’amnésie rétrograde (restitution possible des connaissances sémantiques mais impossibilité de récupérer des souvenirs épisodiques d’événements vécus dans le passé) et de l’amnésie antérograde (acquisition de nouvelles connaissances sémantiques mais incapacité de former de nouveaux souvenirs) sont très démonstratives.
Les représentations mnésiques conscientes peuvent être de nature sémantique (connaissances générales) ou épisodique (événements vécus personnellement). Au contraire, la mémoire procédurale permet d’acquérir des habiletés, avec l’entraînement (au fil de nombreux essais), et de les restituer sans faire référence aux expériences antérieures. Elle s’exprime dans l’action, et ses contenus sont difficiles à verbaliser. La mémoire procédurale permet, par exemple, de conduire une voiture ou de jouer au tennis. Nous réalisons ces activités sans nous rappeler explicitement les procédures et sans conscience du moment où nous les avons apprises.
Une autre distinction oppose mémoire explicite et mémoire implicite.
La mémoire explicite fait référence aux situations dans lesquelles un sujet rappelle volontairement des informations. Au contraire, la mémoire implicite est mise en jeu à l’insu du sujet, quand une expérience préalable modifie sa performance dans une tâche qui ne requiert pas son rappel conscient. Ainsi, le fait de voir une image une première fois facilite son identification ultérieure, y compris si elle est présentée sous une forme dégradée. La mémoire implicite dépend du système de représentations perceptives, qui correspond à une mémoire perceptive et permet de maintenir des informations en mémoire, même si elles sont dénuées de sens, et peuvent se manifester à l’insu du sujet.
Le modèle MNESIS4 précise le fonctionnement interactif des systèmes de mémoire, qui prennent leur place au sein de la mémoire collective (figure ).
La mémoire sémantique est la mémoire des concepts, des connaissances sur le monde, indépendamment de leur contexte d’acquisition. Elle est associée à la « conscience noétique », ou conscience de l’existence des objets et de diverses régularités. La mémoire sémantique permet une conduite introspective sur le monde, mais comprend aussi les connaissances générales sur soi : la sémantique personnelle.
Les données neuropsychologiques documentant la distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique sont nombreuses et s’appuient notamment sur l’étude méthodique des syndromes amnésiques. Ainsi, les dissociations au sein de l’amnésie rétrograde (restitution possible des connaissances sémantiques mais impossibilité de récupérer des souvenirs épisodiques d’événements vécus dans le passé) et de l’amnésie antérograde (acquisition de nouvelles connaissances sémantiques mais incapacité de former de nouveaux souvenirs) sont très démonstratives.
Les représentations mnésiques conscientes peuvent être de nature sémantique (connaissances générales) ou épisodique (événements vécus personnellement). Au contraire, la mémoire procédurale permet d’acquérir des habiletés, avec l’entraînement (au fil de nombreux essais), et de les restituer sans faire référence aux expériences antérieures. Elle s’exprime dans l’action, et ses contenus sont difficiles à verbaliser. La mémoire procédurale permet, par exemple, de conduire une voiture ou de jouer au tennis. Nous réalisons ces activités sans nous rappeler explicitement les procédures et sans conscience du moment où nous les avons apprises.
Une autre distinction oppose mémoire explicite et mémoire implicite.
La mémoire explicite fait référence aux situations dans lesquelles un sujet rappelle volontairement des informations. Au contraire, la mémoire implicite est mise en jeu à l’insu du sujet, quand une expérience préalable modifie sa performance dans une tâche qui ne requiert pas son rappel conscient. Ainsi, le fait de voir une image une première fois facilite son identification ultérieure, y compris si elle est présentée sous une forme dégradée. La mémoire implicite dépend du système de représentations perceptives, qui correspond à une mémoire perceptive et permet de maintenir des informations en mémoire, même si elles sont dénuées de sens, et peuvent se manifester à l’insu du sujet.
Le modèle MNESIS4 précise le fonctionnement interactif des systèmes de mémoire, qui prennent leur place au sein de la mémoire collective (
Autres concepts utiles
La mémoire autobiographique se nourrit de nos expériences personnelles, et son évaluation met l’accent sur la dimension subjective (précision des détails, impression de reviviscence), mais l’importance de la relation à l’autre et à l’environnement a été longtemps sous-estimée. Pourtant, l’acte de mémoire est par essence un acte social, dans la mesure où les souvenirs se situent à l’interface de l’identité personnelle et des représentations collectives. La mémoire individuelle, dans laquelle les remaniements sont constants, résulte autant des interactions avec les autres que de l’histoire personnelle.5-8
En clinique, l’exploration de la cohérence entre mémoires individuelles et mémoires collectives est pertinente dans le trouble de stress post-traumatique où cohabitent une hypermnésie de certains aspects émotionnels et perceptifs liés à l’événement traumatique et une amnésie plus ou moins marquée des aspects contextuels. La mémoire autobiographique de ces patients est altérée, comme en témoigne leur difficulté à se distancier de l’événement traumatique et à lui faire perdre son caractère d’immédiateté. Les patients considèrent leur traumatisme comme un événement autobiographique majeur, les caractérisant au premier chef, mais il est mal intégré à leur parcours de vie.9,10
Cette lecture de la construction conjointe, discordante ou non, de différentes strates des mémoires individuelles et collectives, trouve des applications dans des situations qui placent l’individu dans une rupture existentielle. Par exemple, chez des femmes souffrant d’un cancer du sein, les troubles de la mémoire sont la conséquence du bouleversement psychosociologique lié au changement de statut : une personne insérée dans la vie sociale devient une personne malade, avec d’autres contraintes, d’autres préoccupations, une autre perception par autrui. Ce cadre théorique ouvre des pistes de réflexion sur la façon dont l’entourage – les soignants, les aidants – doit s’adapter à la situation d’un patient singulier.11
Cette approche trouve aussi des développements pertinents chez des patients ayant une pathologie de la mémoire (comme une maladie d’Alzheimer), où l’amnésie rétrograde remonte loin dans le passé. Les patients ressentent, ou non, un décalage entre leur vécu au quotidien et la mémoire de leur environnement antérieur auquel ils restent attachés du fait de leur identité personnelle, ce décalage pouvant porter sur plusieurs décennies. Là encore, les distorsions de la mémoire autobiographique, entre la mémoire vécue au jour le jour et le « cadre social », constituent un moyen de compréhension des troubles de la mémoire et, plus largement, de la cognition et du comportement, et un guide potentiel pour la prise en charge des patients.12,13
En clinique, l’exploration de la cohérence entre mémoires individuelles et mémoires collectives est pertinente dans le trouble de stress post-traumatique où cohabitent une hypermnésie de certains aspects émotionnels et perceptifs liés à l’événement traumatique et une amnésie plus ou moins marquée des aspects contextuels. La mémoire autobiographique de ces patients est altérée, comme en témoigne leur difficulté à se distancier de l’événement traumatique et à lui faire perdre son caractère d’immédiateté. Les patients considèrent leur traumatisme comme un événement autobiographique majeur, les caractérisant au premier chef, mais il est mal intégré à leur parcours de vie.9,10
Cette lecture de la construction conjointe, discordante ou non, de différentes strates des mémoires individuelles et collectives, trouve des applications dans des situations qui placent l’individu dans une rupture existentielle. Par exemple, chez des femmes souffrant d’un cancer du sein, les troubles de la mémoire sont la conséquence du bouleversement psychosociologique lié au changement de statut : une personne insérée dans la vie sociale devient une personne malade, avec d’autres contraintes, d’autres préoccupations, une autre perception par autrui. Ce cadre théorique ouvre des pistes de réflexion sur la façon dont l’entourage – les soignants, les aidants – doit s’adapter à la situation d’un patient singulier.11
Cette approche trouve aussi des développements pertinents chez des patients ayant une pathologie de la mémoire (comme une maladie d’Alzheimer), où l’amnésie rétrograde remonte loin dans le passé. Les patients ressentent, ou non, un décalage entre leur vécu au quotidien et la mémoire de leur environnement antérieur auquel ils restent attachés du fait de leur identité personnelle, ce décalage pouvant porter sur plusieurs décennies. Là encore, les distorsions de la mémoire autobiographique, entre la mémoire vécue au jour le jour et le « cadre social », constituent un moyen de compréhension des troubles de la mémoire et, plus largement, de la cognition et du comportement, et un guide potentiel pour la prise en charge des patients.12,13
Références
1. Eustache F, Desgranges B. Les nouveaux chemins de la mémoire. Paris: Le Pommier, 2020.
2. Eustache F, Faure S, Desgranges, B. Manuel de neuropsychologie. Paris: Dunod, 2023.
3. Eustache F, La mémoire entre sciences et société. Paris: Le Pommier, 2019.
4. Eustache F, Viard A, Desgranges B. The MNESIS model: Memory systems and processes, identity and future thinking. Neuropsychologia 2016;87:96-109.
5. Conway MA. Sensory-perceptual episodic memory and its context: Autobiographical memory. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 2001;356:1375-84.
6. Tulving E. Episodic and common sense: How far apart? Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 2001;356:1505-15.
7. Piolino P, Desgranges B, Eustache F. Episodic autobiographical memories over the course of time: Cognitive, neuropsychological and neuroimaging findings. Neuropsychologia 2009;47:2314-29.
8. Halbwachs M. Les cadres sociaux de la mémoire. Paris: Félix Alcan, 1925.
9. Mary A, Dayan J, Leone G, Postel C, Fraisse F, Malle C, et al. Resilience after trauma: The role of memory suppression. Science 2020;367(6479):eaay8477.
10. Eustache F, Peschanski D. Toward new memory sciences: The programme 13 novembre. Progress in Brain Research 2022;274(1):177-201.
11. Giffard B, Viard A, Dayan J, Morel N, Joly F, Eustache F. Autobiographical memory, self, and stress-related psychiatric disorders: Which implications in cancer patients? Neuropsychol Rev 2013;23(2):157-68.
12. Gagnepain P, Vallée T, Heiden S, Decorde M, Gauvain JL, Laurent A, et al. Collective memory shapes the organization of individual memories in the medial prefrontal cortex. Nat Hum Behav 2020;4(2):189-200.
13. Orianne JF, Eustache F. Collective memory: Between individual systems of consciousness and social systems. Front Psychol 2023;14:1238272.
2. Eustache F, Faure S, Desgranges, B. Manuel de neuropsychologie. Paris: Dunod, 2023.
3. Eustache F, La mémoire entre sciences et société. Paris: Le Pommier, 2019.
4. Eustache F, Viard A, Desgranges B. The MNESIS model: Memory systems and processes, identity and future thinking. Neuropsychologia 2016;87:96-109.
5. Conway MA. Sensory-perceptual episodic memory and its context: Autobiographical memory. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 2001;356:1375-84.
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11. Giffard B, Viard A, Dayan J, Morel N, Joly F, Eustache F. Autobiographical memory, self, and stress-related psychiatric disorders: Which implications in cancer patients? Neuropsychol Rev 2013;23(2):157-68.
12. Gagnepain P, Vallée T, Heiden S, Decorde M, Gauvain JL, Laurent A, et al. Collective memory shapes the organization of individual memories in the medial prefrontal cortex. Nat Hum Behav 2020;4(2):189-200.
13. Orianne JF, Eustache F. Collective memory: Between individual systems of consciousness and social systems. Front Psychol 2023;14:1238272.