La mesure intervient quelques mois après la parution de l’avis de l’Anses confirmant le lien entre ces additifs et le cancer colorectal, mais les associations dénoncent un plan insuffisant.

Les nitrites et nitrates sont présents dans plus de 15 000 produits sur le marché français, en particulier dans les charcuteries crues (jambons secs, jambons crus…) et cuites (jambon blanc, rillettes, pâtés, saucisses…). Ils sont utilisés en tant qu’additifs alimentaires – nitrite de potassium (e249) et de sodium (e250) et nitrate de potassium (e252) – pour garantir une meilleure conservation, car ils inhibent le développement de bactéries telles que salmonelles et Listeria et des toxines produites par Clostridium botulinum. Ils sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites.

Ces composés peuvent aussi être ingérés, mais dans une moindre mesure, via la consommation d’aliments dans lesquels ils sont naturellement présents (surtout légumes à feuilles vertes et betteraves) ; ils sont aussi présents dans l’eau et les sols, en raison notamment de l’utilisation d’engrais azotés.

Un plan de réduction étalé sur 5 ans…

En juillet 2022, une expertise de l’Anses a confirmé l’association entre l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates et le risque de cancer colorectal. Elle recommandait de limiter l’utilisation de ces additifs dans les viandes transformées, et de limiter la consommation de celles-ci à 150 g par semaine.

Le 27 mars 2023, soit 8 mois après cet avis, les ministères de la Santé et de l’Agriculture ont dévoilé un plan d’action visant « la réduction ou la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire, et cela le plus rapidement possible ».

Il s’articule en trois étapes principales :

1. Des baisses immédiates d’additifs nitrés (fin avril 2023) : d’environ 20 % dans les jambons cuits et lardons (soit plus de 40 % des produits de charcuterie consommés en France), les saucisses cuites, saucissons secs, pâtés et rillettes, et > 30 % pour les saucisses à griller.

2. Des baisses à court terme (6-12 mois) : saucisses, saucissons cuits, pâtés, rillettes, andouilles, andouillettes (diminution autour de 25 %), jambons (> 30 %) par rapport aux teneurs maximales actuellement en vigueur ; suppression totale de tout additif nitré dans les saucisses à cuire. Ce délai devrait permettre de valider la faisabilité de ces baisses et de contrôler la qualité sanitaire, notamment la maîtrise du risque microbiologique des produits.

3. À moyen (5 ans) et long terme : mobilisation des instituts scientifiques pour développer des solutions qui permettent de réduire au maximum, voire supprimer, ces additifs dans tous les produits de la charcuterie où cela est possible (le plan vise notamment leur suppression dans les jambons cuits, lardons, pâtés et rillettes).

... dénoncé par les associations

La Ligue contre le cancer, avec l’association de défense des consommateurs Foodwatch, a réagi en décriant un « plan d’action frileux » qui « ne contient pas d’engagements assez forts pour la suppression de ces additifs et repose sur les engagements volontaires de l’industrie ». Elle dénonce une complaisance envers les lobbies de la charcuterie « alors que le "sans nitrites" existe déjà sur le marché », en pointant que cette mesure creuse les inégalités sociales de santé entre les populations qui ont les moyens de recourir à ces alternatives sans additifs et les populations plus pauvres.

Elle exhorte enfin les pouvoir publics à aller plus loin : elle plaide pour la mise en place du principe de précaution, car « jusqu’à 4 000 nouveaux cas de cancers par an liés à la consommation de viande transformée pourraient être évités en interdisant ces additifs ».

Quelles alternatives aux additifs nitrés ?

Dans son avis de juillet 2022, l’Anses indiquait qu’il n’y avait pas suffisamment de données portant sur l’efficacité antimicrobienne et toxicologique des alternatives aux nitrites. Il existe pourtant des formulations présentées par les industriels comme des solutions, qui sont déjà intégrées dans certains produits « sans nitrites » actuellement sur le marché. L’Inrae conduit depuis 2021 des études pour en évaluer les effets :

  • La formulation à base de bouillon de légumes, longtemps présentée comme une alternative, n’en est en réalité pas une : naturellement riche en nitrates (transformés en nitrites dans le produit), elle donne des résultats identiques à la dose de référence de nitrites (120 ppm).
  • La solution riche en polyphénols et vitamine C est associée à une moins bonne maîtrise de la croissance de Listeria (mais le risque microbiologique pourrait être globalement maîtrisé si la durée de vie des produits était réduite). De plus, aucun effet « protecteur » significatif sur la carcinogenèse colorectale, par rapport aux additifs nitrés, n’a été observé dans le modèle animal.

Enfin, l’alternative basée sur les ferments lactiques et l’extrait de levure (en développement, pas encore sur le marché) ne limite pas la croissance de Listeria. De plus, elle conduit à une très forte augmentation de la peroxydation lipidique. Or cette réaction chimique entre le fer héminique et les lipides de la viande, qui survient lorsque les nitrites sont diminués et a fortiori s’ils sont supprimés, est elle-même associée à un risque de cancer colorectal dans des modèles cellulaires.

L’Inrae en conclut qu’une forte diminution des nitrites dans les aliments, voire leur retrait, est conditionnée à un apport en antioxydants dans les produits, pour limiter la peroxydation, et contrer ainsi ses effets négatifs pour mieux protéger le consommateur. D’autres travaux sont en cours pour identifier des antioxydants efficaces (conclusions attendues fin 2023).

Ces résultats, qui ont été intégrés dans le plan gouvernemental, soulignent enfin l’importance d’une évaluation scientifique, préalable à toute mise sur le marché, des alternatives possibles à ces additifs, de leurs effets sur la santé (risque de cancer) et sur la formation de composés toxiques.

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