Les attentes de thérapeutiques pour lutter contre la maladie d’Alzheimer sont grandes. Et ont été maintes fois déçues par le passé. Même si la recherche avance, tout excès d’optimisme serait prématuré. Les leçons du passé et les performances actuellement connues des futurs médicaments imposent la prudence.
La maladie d’Alzheimer est un fléau médical et sociétal touchant actuellement près de 900 000 de nos concitoyens, avec une projection de près de 1 400 000 patients vers 2040. Nul n’ignore les souffrances qu’elle génère chez les patients, en particulier au moment de l’annonce du diagnostic, mais aussi dans les familles, sans compter la charge qu’elle fait peser sur les aidants.
C’est pourquoi la communauté des soignants, les associations de patients et les sociétés savantes ont toujours porté la plus grande attention aux résultats de la recherche et du développement de médicaments efficaces dans le domaine, à associer aux autres modalités de prise en charge, encore notoirement insuffisantes. Or il faut se résoudre à cette cruelle constatation : aucun espoir ne s’est réellement concrétisé jusqu’à ce jour. La saga des médicaments contre la maladie d’Alzheimer n’a été pour l’instant qu’une suite d’attentes, de déceptions et de désillusions.
S’appuyant sur un historique succinct, cet article invite à se garder de tout excès d’optimisme. Que les nouveaux médicaments soient considérés comme prometteurs n’autorise nullement à verser dans le triomphalisme. Un récent éditorial du Lancet conseille, avec raison, de tempérer les espoirs et le battage médiatique.1 Les leçons du passé et les performances actuellement connues des nouveaux arrivants imposent la prudence.
C’est pourquoi la communauté des soignants, les associations de patients et les sociétés savantes ont toujours porté la plus grande attention aux résultats de la recherche et du développement de médicaments efficaces dans le domaine, à associer aux autres modalités de prise en charge, encore notoirement insuffisantes. Or il faut se résoudre à cette cruelle constatation : aucun espoir ne s’est réellement concrétisé jusqu’à ce jour. La saga des médicaments contre la maladie d’Alzheimer n’a été pour l’instant qu’une suite d’attentes, de déceptions et de désillusions.
S’appuyant sur un historique succinct, cet article invite à se garder de tout excès d’optimisme. Que les nouveaux médicaments soient considérés comme prometteurs n’autorise nullement à verser dans le triomphalisme. Un récent éditorial du Lancet conseille, avec raison, de tempérer les espoirs et le battage médiatique.1 Les leçons du passé et les performances actuellement connues des nouveaux arrivants imposent la prudence.
Première époque. Tacrine : un espoir démesuré, un abandon sans regrets
La tacrine (Cognex) est un inhibiteur réversible et non compétitif des cholinestérases, de mécanisme d’action suspecté plutôt que parfaitement connu dans la maladie d’Alzheimer. Sa mise à disposition en France dans les formes légères à modérées, en 1994 par une autorisation de mise sur le marché (AMM) nationale, a fait suite à un avis laborieux mais finalement favorable de la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis en 1993, après nombre de péripéties où la science, face aux pressions, aux passions et aux conflits, n’a pas toujours tenu le rôle prépondérant. Après une longue attente assez désespérante, la tacrine a représenté, dans un cadre controversé, le premier espoir de traitement efficace de la maladie.2 Ce médicament s’est donc trouvé, pendant quelques années, en situation de monopole, situation qui ne permettait guère de trop s’appesantir sur ses insuffisances en matière d’efficacité ni sur ses effets indésirables, ni même sur sa dangerosité hépatique. Car son hépatotoxicité est bien réelle, ayant touché près de la moitié des patients traités.
Aussi, l’arrivée des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase a-t-elle pu permettre son retrait en 2004 sans préjudice pour les patients ni récriminations de la part des professionnels de santé. Il est intéressant de noter qu’une méta-analyse de 2007 concluait, après ce retrait, qu’il n’existait aucune preuve formelle de son efficacité.3
Aussi, l’arrivée des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase a-t-elle pu permettre son retrait en 2004 sans préjudice pour les patients ni récriminations de la part des professionnels de santé. Il est intéressant de noter qu’une méta-analyse de 2007 concluait, après ce retrait, qu’il n’existait aucune preuve formelle de son efficacité.3
Deuxième époque. Trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et un antagoniste des récepteurs NMDA : lente érosion d’une surestimation initiale déraisonnable
Face à la tacrine qui jouait peu à peu le rôle de repoussoir, la mise à disposition du donépézil (Aricept) en 1997, de la rivastigmine (Exelon) en 1998, de la galantamine (Reminyl) en 2000 et de la mémantine (Ebixa) en 2002 fut appréciée des professionnels de santé et des sociétés savantes, qui leur prêtèrent des performances bien au-delà de leur valeur intrinsèque. Il en alla de même pour la commission de la Transparence, car si cette dernière était tenue de les considérer, à juste titre, comme un progrès par rapport à la tacrine, rien ne l’obligeait pour autant à attribuer à certains d’entre eux un niveau de progrès thérapeutique important (amélioration du service médical rendu de niveau 2). Il en a résulté ultérieurement une certaine confusion lorsque cette même commission, alors intégrée à la Haute Autorité de santé (HAS), s’est prononcée à plusieurs reprises pour la dégradation de ses appréciations et la correction de ses notations antérieures. Ces quatre médicaments, à savoir trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (donépézil, rivastigmine, galantamine) ayant pour indication les formes légères à modérément sévères de la maladie et la mémantine, un inhibiteur des récepteurs d’acide N-méthyl-D-aspartique (NMDA) indiqué dans les formes modérées à sévères, furent alors les seuls recours médicamenteux contre la maladie d’Alzheimer jusqu’en 2018.
La commission de la Transparence de la HAS a l’obligation de réévaluer les produits inscrits sur la liste des médicaments remboursables tous les cinq ans ou avant ce délai s’il lui apparaît que des données nouvelles sont susceptibles de modifier ses avis antérieurs. C’est ainsi que ces quatre médicaments ont fait l’objet de trois réévaluations successives : en 2007, 2011 et 2016.
La réévaluation de 2007 n’a consisté qu’en une simple mise au point : face à l’indigence des moyens de prise en charge non médicamenteux mis à disposition des patients et des familles par les pouvoirs publics, la commission de la Transparence a considéré :
– que les données cliniques et l’expérience en vie réelle ne pouvaient permettre de différencier les produits entre eux ;
– que leur intérêt thérapeutique (service médical rendu) devait continuer d’être qualifié d’important face au fardeau de la maladie ;
– mais que le progrès apporté par ces médicaments ne pouvait plus être reconnu comme important.
Elle les a rétrogradés à un niveau inférieur (ASMR de niveau 4, c’est-à-dire progrès minime) eu égard à la modicité de leur quantité d’effet.4
Reprenant les critiques déjà formulées en 2007 sur le faible niveau de preuve des démonstrations d’efficacité dans les dossiers et sur le caractère discutable de la pertinence clinique des quantités d’effet observées, la réévaluation de 20115 est allée plus loin, qualifiant l’intérêt thérapeutique des produits (SMR) de faible et non plus d’important (en n’omettant pas de prendre en compte leurs effets indésirables) et considérant leur niveau de progrès thérapeutique comme inexistant. Elle ne conseilla pas pour autant leur déremboursement : l’idée qui prévalait alors était qu’il aurait été désespérant pour les patients atteints de formes légères et pour leur famille d’apprendre qu’aucun médicament n’était suffisamment efficace pour être pris en charge par l’Assurance maladie, en particulier lors de l’annonce du diagnostic. C’est ce que la commission appelait l’effet structurant du médicament dans la maladie. La maladie d’Alzheimer étant au nombre des affections de longue durée, la prise en charge de ces médicaments a été maintenue à 100 % malgré la dégradation du SMR.
Un pas de plus a été franchi en 20166 lorsque la commission a attribué un SMR insuffisant aux quatre médicaments et a donc proposé leur déremboursement,7 considérant, d’une part, l’absence de pertinence clinique des effets et, d’autre part, l’absence de démonstration d’efficacité aussi bien sur les troubles du comportement que sur la qualité de vie, le délai d’entrée en institution et la charge de la maladie sur les aidants.
Les sociétés savantes et leaders d’opinion se sont élevés avec véhémence contre la décision ministérielle de déremboursement qui s’ensuivit et fut effective en 2018. Les associations de patients et les familles l’interprétèrent comme un manque de reconnaissance de la gravité de leur maladie et du fardeau qu’elle représente.
Après la fin de la tacrine et des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, dont certaines voix demandent actuellement le retour du remboursement,8 désillusion et renoncement se sont installés, laissant alors le champ libre à de nouveaux espoirs mais fournissant surtout un terreau propice à de nouvelles attentes trop confiantes.
La commission de la Transparence de la HAS a l’obligation de réévaluer les produits inscrits sur la liste des médicaments remboursables tous les cinq ans ou avant ce délai s’il lui apparaît que des données nouvelles sont susceptibles de modifier ses avis antérieurs. C’est ainsi que ces quatre médicaments ont fait l’objet de trois réévaluations successives : en 2007, 2011 et 2016.
La réévaluation de 2007 n’a consisté qu’en une simple mise au point : face à l’indigence des moyens de prise en charge non médicamenteux mis à disposition des patients et des familles par les pouvoirs publics, la commission de la Transparence a considéré :
– que les données cliniques et l’expérience en vie réelle ne pouvaient permettre de différencier les produits entre eux ;
– que leur intérêt thérapeutique (service médical rendu) devait continuer d’être qualifié d’important face au fardeau de la maladie ;
– mais que le progrès apporté par ces médicaments ne pouvait plus être reconnu comme important.
Elle les a rétrogradés à un niveau inférieur (ASMR de niveau 4, c’est-à-dire progrès minime) eu égard à la modicité de leur quantité d’effet.4
Reprenant les critiques déjà formulées en 2007 sur le faible niveau de preuve des démonstrations d’efficacité dans les dossiers et sur le caractère discutable de la pertinence clinique des quantités d’effet observées, la réévaluation de 20115 est allée plus loin, qualifiant l’intérêt thérapeutique des produits (SMR) de faible et non plus d’important (en n’omettant pas de prendre en compte leurs effets indésirables) et considérant leur niveau de progrès thérapeutique comme inexistant. Elle ne conseilla pas pour autant leur déremboursement : l’idée qui prévalait alors était qu’il aurait été désespérant pour les patients atteints de formes légères et pour leur famille d’apprendre qu’aucun médicament n’était suffisamment efficace pour être pris en charge par l’Assurance maladie, en particulier lors de l’annonce du diagnostic. C’est ce que la commission appelait l’effet structurant du médicament dans la maladie. La maladie d’Alzheimer étant au nombre des affections de longue durée, la prise en charge de ces médicaments a été maintenue à 100 % malgré la dégradation du SMR.
Un pas de plus a été franchi en 20166 lorsque la commission a attribué un SMR insuffisant aux quatre médicaments et a donc proposé leur déremboursement,7 considérant, d’une part, l’absence de pertinence clinique des effets et, d’autre part, l’absence de démonstration d’efficacité aussi bien sur les troubles du comportement que sur la qualité de vie, le délai d’entrée en institution et la charge de la maladie sur les aidants.
Les sociétés savantes et leaders d’opinion se sont élevés avec véhémence contre la décision ministérielle de déremboursement qui s’ensuivit et fut effective en 2018. Les associations de patients et les familles l’interprétèrent comme un manque de reconnaissance de la gravité de leur maladie et du fardeau qu’elle représente.
Après la fin de la tacrine et des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, dont certaines voix demandent actuellement le retour du remboursement,8 désillusion et renoncement se sont installés, laissant alors le champ libre à de nouveaux espoirs mais fournissant surtout un terreau propice à de nouvelles attentes trop confiantes.
Troisième époque. L’arrivée des anticorps monoclonaux antiamyloïdes bêta : une situation encore mouvante réclamant la prudence
Si l’on admet l’hypothèse, paradigme actuel, que les dépôts amyloïdes cérébraux sont la cause de certaines manifestations de la maladie d’Alzheimer et non pas un simple signe d’imagerie témoin de la maladie, il y a lieu de prendre très au sérieux la recherche et le développement des anticorps monoclonaux antiamyloïdes bêta. Mais n’est-il pas prématuré d’affirmer, au vu des résultats dont nous disposons, qu’ils peuvent répondre aux attentes des patients, alors même que la durabilité de leurs effets et que leur balance bénéfices-risques à long terme sont encore inconnues ?
Dans les faits, bien que l’on s’adresse à une même classe thérapeutique, des disparités d’efficacité se font jour entre les produits, ce qui ne plaide pas en leur faveur. Peut-être ces disparités ne tiennent-elles qu’à des différences touchant au choix de la cible biologique visée, aux types de patients recrutés dans les essais en matière de gravité et de stade de la maladie, ou encore à des schémas posologiques non concordants…
Quoi qu’il en soit, certains de ces anticorps semblent avoir définitivement échoué à démontrer leur efficacité. D’autres sont en cours de développement, parmi lesquels le donanémab qui donne des résultats « encourageants », selon l’expression consacrée.9 Le premier à apparaître sur le marché a été l’aducanumab (Aduhelm)10 qui s’est vu octroyer une AMM par la FDA en 2021 tandis que, prévoyant un refus de l’Agence européenne du médicament (EMA), le dossier de demande d’AMM pour l’Europe a été retiré en 2022. Les débats sur son efficacité avaient été vifs au sein de la FDA, créant polémique et controverses parmi ses experts. Le médicament semble, en tout cas, n’avoir guère donné satisfaction puisque son exploitation outre-Atlantique a été interrompue de l’initiative même de la firme.
L’attention s’est portée depuis sur le lécanémab (Leqembi), qui a obtenu une AMM de la FDA en 2023 dans le traitement des troubles cognitifs légers de la maladie d’Alzheimer. Ce produit a ralenti le déclin cognitif de 27 % par rapport au placebo dans un essai d’une durée de dix-huit mois ayant porté sur 1 795 patients à un stade précoce.11 Il appartient à la communauté des spécialistes de la maladie, habituée aux faux espoirs et aux désillusions,1 de dire si ce ralentissement de taille modeste du seul déclin cognitif et pour un temps limité (il est difficile de faire des projections sur les années suivantes) répond à leurs attentes.12 D’autant que tous les produits de la classe des anticorps monoclonaux antiamyloïdes sont susceptibles de provoquer des œdèmes cérébraux ou des microhémorragies cérébrales et même, selon certains experts, de favoriser une accélération de la perte du volume cérébral.13 Il convient donc d’être prudent dans l’image qu’on s’en fait et de s’assurer que leur efficacité n’a pas été seulement démontrée sur des biomarqueurs ou sur des examens d’imagerie mais qu’elle repose, de manière pertinente, sur l’obtention d’un réel bénéfice clinique supérieur à celui des produits déremboursés par le passé. Il faut ajouter que le coût annuel du traitement aux États-Unis devrait être de l’ordre de 26 500 dollars, ce qui pose la question du nombre de patients que les assureurs accepteront de prendre en charge et du mode de leur sélection, par exemple en fonction du stade de la maladie.
Dans les faits, bien que l’on s’adresse à une même classe thérapeutique, des disparités d’efficacité se font jour entre les produits, ce qui ne plaide pas en leur faveur. Peut-être ces disparités ne tiennent-elles qu’à des différences touchant au choix de la cible biologique visée, aux types de patients recrutés dans les essais en matière de gravité et de stade de la maladie, ou encore à des schémas posologiques non concordants…
Quoi qu’il en soit, certains de ces anticorps semblent avoir définitivement échoué à démontrer leur efficacité. D’autres sont en cours de développement, parmi lesquels le donanémab qui donne des résultats « encourageants », selon l’expression consacrée.9 Le premier à apparaître sur le marché a été l’aducanumab (Aduhelm)10 qui s’est vu octroyer une AMM par la FDA en 2021 tandis que, prévoyant un refus de l’Agence européenne du médicament (EMA), le dossier de demande d’AMM pour l’Europe a été retiré en 2022. Les débats sur son efficacité avaient été vifs au sein de la FDA, créant polémique et controverses parmi ses experts. Le médicament semble, en tout cas, n’avoir guère donné satisfaction puisque son exploitation outre-Atlantique a été interrompue de l’initiative même de la firme.
L’attention s’est portée depuis sur le lécanémab (Leqembi), qui a obtenu une AMM de la FDA en 2023 dans le traitement des troubles cognitifs légers de la maladie d’Alzheimer. Ce produit a ralenti le déclin cognitif de 27 % par rapport au placebo dans un essai d’une durée de dix-huit mois ayant porté sur 1 795 patients à un stade précoce.11 Il appartient à la communauté des spécialistes de la maladie, habituée aux faux espoirs et aux désillusions,1 de dire si ce ralentissement de taille modeste du seul déclin cognitif et pour un temps limité (il est difficile de faire des projections sur les années suivantes) répond à leurs attentes.12 D’autant que tous les produits de la classe des anticorps monoclonaux antiamyloïdes sont susceptibles de provoquer des œdèmes cérébraux ou des microhémorragies cérébrales et même, selon certains experts, de favoriser une accélération de la perte du volume cérébral.13 Il convient donc d’être prudent dans l’image qu’on s’en fait et de s’assurer que leur efficacité n’a pas été seulement démontrée sur des biomarqueurs ou sur des examens d’imagerie mais qu’elle repose, de manière pertinente, sur l’obtention d’un réel bénéfice clinique supérieur à celui des produits déremboursés par le passé. Il faut ajouter que le coût annuel du traitement aux États-Unis devrait être de l’ordre de 26 500 dollars, ce qui pose la question du nombre de patients que les assureurs accepteront de prendre en charge et du mode de leur sélection, par exemple en fonction du stade de la maladie.
La question du coût des nouveaux traitements engage la réflexion sur le terrain de l’éthique
La mise à disposition de ces nouveaux traitements contribuera à un accroissement des dépenses du système de santé, sauf à financer la nouvelle prise en charge de la maladie par prélèvement sur des fonds alloués à d’autres traitements existants, ce qui ne saurait s’envisager. Pour être rationnel, cet investissement devra être savamment proportionné au bénéfice escompté, le contribuable étant en droit d’attendre une optimisation des ressources allouées au secteur de la santé. La prise en charge d’un médicament onéreux n’est, en effet, acceptable que si sa balance bénéfices-risques est largement favorable.
À titre d’exemple, un traitement curatif de l’hépatite chronique C (sofosbuvir) a été mis sur le marché en France en 2014 à un prix facial très élevé (de l’ordre de 40 000 euros la cure) mais pour un bénéfice thérapeutique très notable. Or les nouveaux médicaments envisagés contre la maladie d’Alzheimer ne nous laissent entrevoir, en l’état actuel des données disponibles, que des bénéfices cliniques nettement plus modestes, assortis de risques non négligeables. Le prix américain du lécanémab laisse donc présager, en cas d’octroi d’une AMM européenne et d’un avis favorable de la HAS à sa prise en charge, une dépense supplémentaire significative pour l’Assurance maladie, d’autant qu’au coût du médicament s’ajoutera celui des perfusions itératives en milieu hospitalier. En outre, étant administré à des patients en début de maladie, ce type de traitement n’est pas censé avoir, en contrepartie, beaucoup d’impact sur la charge des aidants, encore limitée à ce stade.
Pourtant, comme aucun traitement n’est pour l’heure disponible, si le patient est demandeur de cette nouvelle thérapie, il paraît légitime de lui en accorder l’accès. Une telle prise en charge, après mise en concurrence des produits entre eux s’il y a lieu, est conforme à notre modèle du « contrat social » qui veut que chaque citoyen bénéficie du droit fondamental à accéder aux meilleurs traitements disponibles en cas de nécessité, en contrepartie de sa participation au financement de l’Assurance maladie tout au long de sa vie.
Dans le cas de ces nouveaux traitements, il ne s’agirait, il est vrai, que de retarder la dégradation cognitive de quelques mois. Mais ce répit pourrait permettre au patient de préparer avec ses proches la phase ultérieure de sa maladie, celle de sa perte radicale d’autonomie. De plus, un médicament, quel qu’il soit, présente l’avantage d’entretenir la flamme de l’espoir, ce qui procure un bienfait compassionnel non seulement au patient mais aussi à son entourage.
L’arbitrage devra donc se faire entre, d’un côté, le coût pour la collectivité et, de l’autre, le droit d’accès au meilleur traitement disponible pour les patients. Trouver le juste équilibre entre l’équité et le droit à l’autonomie nécessitera non seulement de fixer la taille optimale de la population cible des produits dans le respect du libellé de l’AMM, mais aussi d’identifier la sous-population des patients les plus susceptibles de tirer bénéfice du produit. Une prescription restreinte aux spécialistes s’impose donc, avec le souci d’éviter tout débordement dû à la complaisance ou à la pression résultant du battage médiatique.
Parmi les critères de sélection pourrait figurer la capacité du patient à comprendre sa situation pathologique. Cette lucidité sur soi serait de facto le signe que ce dernier est dans une phase modérée de la maladie. Afin d’éviter toute appréciation arbitraire des formes de la maladie, un examen neuropsychologique devrait permettre d’estimer le degré de lucidité du patient. Cette procédure paraît la plus à même de concrétiser simultanément les principes d’autonomie et de bienfaisance : l’autonomie, puisque le patient est encore partiellement lucide ; la bienfaisance, puisque c’est le moment où le médicament a montré une certaine efficacité. Quant à la prise en compte du principe de non-malfaisance, elle nécessitera la formulation de règles de suspension du traitement en cas d’effets délétères graves. Enfin, en accord avec le principe de justice qui réclame d’éviter des coûts inutiles à la collectivité, des règles d’arrêt du traitement devront être clairement codifiées, ce dernier devant être interrompu en l’absence de réponse positive après un délai à définir ou en cas de perte notable d’efficacité.
À titre d’exemple, un traitement curatif de l’hépatite chronique C (sofosbuvir) a été mis sur le marché en France en 2014 à un prix facial très élevé (de l’ordre de 40 000 euros la cure) mais pour un bénéfice thérapeutique très notable. Or les nouveaux médicaments envisagés contre la maladie d’Alzheimer ne nous laissent entrevoir, en l’état actuel des données disponibles, que des bénéfices cliniques nettement plus modestes, assortis de risques non négligeables. Le prix américain du lécanémab laisse donc présager, en cas d’octroi d’une AMM européenne et d’un avis favorable de la HAS à sa prise en charge, une dépense supplémentaire significative pour l’Assurance maladie, d’autant qu’au coût du médicament s’ajoutera celui des perfusions itératives en milieu hospitalier. En outre, étant administré à des patients en début de maladie, ce type de traitement n’est pas censé avoir, en contrepartie, beaucoup d’impact sur la charge des aidants, encore limitée à ce stade.
Pourtant, comme aucun traitement n’est pour l’heure disponible, si le patient est demandeur de cette nouvelle thérapie, il paraît légitime de lui en accorder l’accès. Une telle prise en charge, après mise en concurrence des produits entre eux s’il y a lieu, est conforme à notre modèle du « contrat social » qui veut que chaque citoyen bénéficie du droit fondamental à accéder aux meilleurs traitements disponibles en cas de nécessité, en contrepartie de sa participation au financement de l’Assurance maladie tout au long de sa vie.
Dans le cas de ces nouveaux traitements, il ne s’agirait, il est vrai, que de retarder la dégradation cognitive de quelques mois. Mais ce répit pourrait permettre au patient de préparer avec ses proches la phase ultérieure de sa maladie, celle de sa perte radicale d’autonomie. De plus, un médicament, quel qu’il soit, présente l’avantage d’entretenir la flamme de l’espoir, ce qui procure un bienfait compassionnel non seulement au patient mais aussi à son entourage.
L’arbitrage devra donc se faire entre, d’un côté, le coût pour la collectivité et, de l’autre, le droit d’accès au meilleur traitement disponible pour les patients. Trouver le juste équilibre entre l’équité et le droit à l’autonomie nécessitera non seulement de fixer la taille optimale de la population cible des produits dans le respect du libellé de l’AMM, mais aussi d’identifier la sous-population des patients les plus susceptibles de tirer bénéfice du produit. Une prescription restreinte aux spécialistes s’impose donc, avec le souci d’éviter tout débordement dû à la complaisance ou à la pression résultant du battage médiatique.
Parmi les critères de sélection pourrait figurer la capacité du patient à comprendre sa situation pathologique. Cette lucidité sur soi serait de facto le signe que ce dernier est dans une phase modérée de la maladie. Afin d’éviter toute appréciation arbitraire des formes de la maladie, un examen neuropsychologique devrait permettre d’estimer le degré de lucidité du patient. Cette procédure paraît la plus à même de concrétiser simultanément les principes d’autonomie et de bienfaisance : l’autonomie, puisque le patient est encore partiellement lucide ; la bienfaisance, puisque c’est le moment où le médicament a montré une certaine efficacité. Quant à la prise en compte du principe de non-malfaisance, elle nécessitera la formulation de règles de suspension du traitement en cas d’effets délétères graves. Enfin, en accord avec le principe de justice qui réclame d’éviter des coûts inutiles à la collectivité, des règles d’arrêt du traitement devront être clairement codifiées, ce dernier devant être interrompu en l’absence de réponse positive après un délai à définir ou en cas de perte notable d’efficacité.
Références
1. Editorial. Lecanemab for Alzheimer’s disease: tempering hype and hope. The Lancet 2022;400(10367):1899.
2. Crismon ML. Tacrine: First drug approved for Alzheimer’s disease. Ann Pharmacother 1994;28(6):744-51.
3. Qizilbash N, Birks J, Lopez Arrieta J, Lewinsgton S, Szeto S. Withdrawn:Tacrine for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2007;(3):CD000202.
4. Les médicaments de la maladie d’Alzheimer à visée symptomatique en pratique quotidienne. Haute Autorité de santé, 2007.
5. Aricept, Exelon, Reminyl, Ebixa : médicaments du traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer. Un intérêt thérapeutique faible. Haute Autorité de santé 2011.
6. Aricept, Exelon, Reminyl, anticholinestérasiques, Ebixa, antagoniste non compétitif des récepteurs NMDA. Intérêt clinique insuffisant : ces médicaments n’ont plus de place dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Haute Autorité de santé 2016.
7. Commission de la Transparence. Rapport d’évaluation des médicaments indiqués dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer. Haute Autorité de santé, 2016.
8. Commission des Affaires sociales. Sandrine Josso et Laure Lavalette. Compte-rendu (n° 101) de la mission « flash » sur les maladies neurodégénératives. Assemblée nationale, juillet 2023. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-soc/l16cion-soc2223101_compte-rendu
9. Sims JR, Zimmer JA, Evans CD, Lu M, Ardayfio P, Sparks JD, et al. Donanemab in early symptomatic alzheimer disease: The TRAILBLAZER-ALZ 2 randomized clinical trial. JAMA 2023;330(6):512-27.
10. Vaz M, Silva V, Monteiro C, Silvestre S. Role of aducanumab in the treatment of Alzheimer’s disease: Challenges and opportunities. Clin Interv Aging 2022;17:797-810.
11. Van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P, Bateman RJ, Chen C, Gee M, et al. Lecanemab in early Alzheimer’s disease. N Engl J Med 2023;388(1):9-21.
12. Petersen R, Aisen PS, Andrews JS, Atri A, Matthews BR, Rentz DM, et al Expectations and clinical meaningfulness of randomized controlled trials. Alzheimers Dement 2023;19(6):2730-6.
13. Alves F, Kalinowski P, Ayton S. Accelerated brain volume loss caused by anti-Beta amyloid drugs: A systematic review and meta-analysis. Neurology 2023;100(20): e2114-e2124.
2. Crismon ML. Tacrine: First drug approved for Alzheimer’s disease. Ann Pharmacother 1994;28(6):744-51.
3. Qizilbash N, Birks J, Lopez Arrieta J, Lewinsgton S, Szeto S. Withdrawn:Tacrine for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2007;(3):CD000202.
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8. Commission des Affaires sociales. Sandrine Josso et Laure Lavalette. Compte-rendu (n° 101) de la mission « flash » sur les maladies neurodégénératives. Assemblée nationale, juillet 2023. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-soc/l16cion-soc2223101_compte-rendu
9. Sims JR, Zimmer JA, Evans CD, Lu M, Ardayfio P, Sparks JD, et al. Donanemab in early symptomatic alzheimer disease: The TRAILBLAZER-ALZ 2 randomized clinical trial. JAMA 2023;330(6):512-27.
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13. Alves F, Kalinowski P, Ayton S. Accelerated brain volume loss caused by anti-Beta amyloid drugs: A systematic review and meta-analysis. Neurology 2023;100(20): e2114-e2124.
Dans cet article
- Première époque. Tacrine : un espoir démesuré, un abandon sans regrets
- Deuxième époque. Trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et un antagoniste des récepteurs NMDA : lente érosion d’une surestimation initiale déraisonnable
- Troisième époque. L’arrivée des anticorps monoclonaux antiamyloïdes bêta : une situation encore mouvante réclamant la prudence
- La question du coût des nouveaux traitements engage la réflexion sur le terrain de l’éthique