Deux nouveaux modes de paiement émergent en réponse aux critiques faites à ceux actuellement utilisés : les uns incitent à la qualité, et d’autres visent à améliorer la coordination entre les étapes du parcours des patients (notamment entre l’hôpital et la ville). Cet article en aborde les grands principes, puis en fait une analyse critique, avant de jeter les bases d’une approche cohérente dans leur emploi.
Deux raisons majeures expliquent l’émergence de nouveaux modes de rémunération de la prise en charge médicale, en France, comme dans les autres pays.
D’abord, l’importance grandissante des maladies chroniques requiert des prises en charge coordonnées tout au long du parcours du patient, tant entre l’hôpital et la médecine de ville qu’entre les secteurs sanitaire et médico-social. Or, les modes de paiement existants, en silo (principalement, la tarification à l’activité [T2A] pour l’hôpital et le paiement à l’acte pour la ville), n’incitent pas à cette coordination. Il en ressort des défauts de qualité (de nombreux événements indésirables sont liés à des défauts de coordination entre les étapes du parcours d’un patient), et différentes formes de gaspillage (redondances des actes, hospitalisations et autres recours injustifiés).*
Ensuite, si les paiements existants ont permis d’obtenir des marges d’efficience dans le système de soins (c’est-à-dire l’augmentation du volume produit pour un montant de ressources engagées), ils n’ont que faiblement incité à la qualité des soins. Le paiement à l’acte, qui rétribue les pratiques médicales libérales, incite par exemple à optimiser le nombre de patients vus et/ou le nombre d’actes rémunérateurs, mais au risque de ne pas tenir compte de leur pertinence. Il en va de même pour la T2A (malgré le fait de regrouper tous les actes au sein d’un même séjour hospitalier). Des complications liées à des événements iatrogéniques survenus lors d’une hospitalisation (comme des complications infectieuses postopératoires) peuvent conduire à rembourser un second séjour hospitalier en cas de réadmission. Il va de soi que la déontologie professionnelle limite ces cas de figure, mais le constat est là : les rémunérations actuelles n’incitent pas à tenir compte de la pertinence des actions menées.

Modes de paiement à la qualité et au parcours

Paiement à la qualité

« Paiement à la qualité » ou « paiement à la performance », ce type d’incitation financière a été introduit dans la majorité des pays industrialisés depuis une quinzaine d’années. Ces incitations se définissent comme des stratégies de promotion de l’amélioration de la qualité par la récompense des médecins ou établissements qui répondent à certains objectifs en matière de qualité des soins.1 Un point à préciser d’emblée concerne leur rôle dans l’ensemble des rémunérations proposées : ils visent à compléter les paiements existants, paiement à l’acte ou à l’activité, non à s’y substituer. L’objectif est ainsi de rééquilibrer les dimensions de la performance au bénéfice de la qualité des soins face aux modes actuels de paiement, qui n’incitent, principalement, qu’au volume d’activité.
En France, un tel paiement existe déjà pour les médecins de ville, avec la rémunération par objectifs de santé publique (ROSP). Les objectifs poursuivis concernent des actes relatifs à l’organisation du cabinet, au suivi des maladies chroniques, à des mesures préventives, et à la pertinence de certaines prescriptions.** Son pendant hospitalier, l’incitation financière à la qualité (IFAQ), est également développée depuis 2014, et s’appuie sur des indicateurs de qualité validés à l’échelon national par la Haute Autorité de santé.*** S’inspirant du modèle américain du Value Based Purchasing, l’IFAQ récompense l’excellence, c’est-à-dire les établissements atteignant au mieux les objectifs une année donnée, mais aussi l’amélioration, c’est-à-dire ceux qui témoignent de la plus grande progression entre deux évaluations.

Analyse critique

Ce type de paiement présente différents avantages. Il peut contribuer à réduire les actes jugés inutiles sur le plan de la qualité, prévenir les événements indésirables graves en pointant les défauts d’organisation, et enfin valoriser certains actes de coordination.
Si le principe paraît donc prometteur, l’expérience française ne déroge pourtant pas au constat fait ailleurs : la qualité n’apparaît que peu améliorée par ce type d’incitations.2 Si certains y voient le constat d’un échec, la plupart des experts s’accordent pour estimer que cette situation reflète surtout les lacunes de conception et de mise en œuvre actuelles, incitant à progresser dans les versions proposées de ce nouveau mode de paiement.3 À cet égard, plusieurs éléments sont discutés :
­– la taille de l’incitation (c’est-à-dire le montant potentiel de la récompense). La trop petite taille de l’incitation est souvent dénoncée.4 L’ambition annoncée dans la réforme « Ma santé 2022 », et plus spécifiquement dans le rapport dit « des modes de financement et de régulation »,5 d’augmenter l’enveloppe dédiée au paiement à la qualité représente à cet égard une perspective susceptible d’éviter la confrontation à cet écueil (mais tout en gardant à l’esprit que cette enveloppe se fera au détriment de celle dédiée aux paiements existants, ce qui peut induire des variations importantes dans le montant des ressources allouées d’une année sur l’autre, et donc une moindre anticipation, la rémunération dans le paiement à la qualité étant plus aléatoire) ;
– le choix des indicateurs ; selon le type d’indicateurs, la conception de la qualité véhiculée, et donc l’orientation de l’incitation, ne sont pas les mêmes. La tendance à payer « aux résultats » est actuellement fortement exprimée.6 Pourtant, rien ne garantit une corrélation positive entre les efforts entrepris, les « processus », et les résultats. De ce fait, en payant « aux résultats », on peut induire des formes d’injustice dans les structures ou acteurs non récompensés ;
– les conditions de mise en œuvre ; il convient de s’assurer que ce nouveau mode de paiement touche réellement les professionnels concernés, et que ceux-ci cherchent réellement à améliorer la qualité en réponse. La remarque peut paraître banale, mais certaines études suggèrent que l’incitation ne déclenche pas spontanément l’adoption du comportement vertueux attendu.7
Toutes ces raisons, et d’autres encore (par exemple, le choix entre une incitation positive, un « bonus », et/ou négative, la « pénalité », le risque de perturber la motivation intrinsèque des praticiens, ou l’égalité des établissements dans l’obtention de la récompense), expliquent la nécessité de s’appuyer sur des travaux pour optimiser l’impact de ce mode de rémunération.

Paiement au parcours

Sous le nom générique de « paiement au parcours », plusieurs déclinaisons peuvent en fait se concevoir. Il est important de les préciser par souci de clarté (v. tableau).

Valoriser des actes de coordination

C’est la déclinaison la plus modeste mais aussi la plus faisable. Le principe est de récompenser les établissements/professionnels qui obtiennent les meilleurs scores sur des indicateurs appréciant ces actes (comme le délai d’envoi du courrier de fin d’hospitalisation au médecin traitant). On rejoint là le principe du paiement à la qualité.

Une capitation individuelle

Il s’agit d’un forfait alloué pour l’ensemble des actes prescrits par un praticien durant la période couverte et pour un patient donné. Comme la rémunération est ainsi indépendante de la quantité et du type d’acte réalisé, il est présumé que les professionnels soient plus efficients et investissent davantage dans des stratégies préventives et curatives moins coûteuses. Reste la difficulté d’ajuster le forfait aux caractéristiques liées à la gravité de la maladie des patients.

Rémunérer un épisode

Dans ce cadre, l’épisode tend à définir une série d’étapes sur lesquelles l’incitation portera. Par exemple, l’incitation à la coordination peut porter sur l’ensemble des étapes situées en amont, pendant, et en aval d’une hospitalisation : un forfait s’applique ainsi au parcours d’un patient entre la première consultation chirurgicale et la fin d’un suivi pouvant aller jusqu’à 5 ans, à la suite d’une hospitalisation pour pose d’une prothèse de la hanche.

Une capitation pour une population

Dans cette quatrième approche (on parle alors souvent de responsabilité populationnelle), au lieu de payer pour chaque patient, le forfait couvre une population, par exemple 30 000 diabétiques dans une zone géographique donnée et pour une année. Le forfait est distribué généralement par le payeur-assureur à une structure gestionnaire des fonds qui redistribue dans un second temps à l’ensemble des professionnels concernés. Une autre variante, plus modeste, consiste à établir un système de « partage du risque », à savoir qu’une partie des rémunérations existantes est conditionnée à l’atteinte de résultats de santé associés à la population suivie.
Il faut noter que, selon les cas, le paiement peut s’inscrire en complément, ou en substitution, des paiements existants (notamment dans les deux derniers modes de paiement) [v. tableau].
De cette déclinaison, le paiement à l’épisode (mode 3) ressort à l’heure actuelle comme l’option la plus réaliste. Il allie réalisme dans la faisabilité de la mise en œuvre et ambition dans la portée de l’incitation à la coordination d’un parcours. De nombreuses expériences s’orientent ainsi vers cette voie.

Analyse critique

Comparativement au paiement à la qualité, les développements apparaissent moindres**** et rendent de ce fait l’évaluation de sa valeur ajoutée difficile à établir. L’énumération des principes nécessaires à leur développement suggère néanmoins dès à présent l’ampleur de la tâche :
– couvrir un parcours clairement défini ;
– définir des objectifs de qualité (des risques de sélection de patients peuvent être induits par ces paiements, d’où l’enjeu d’évaluer l’impact en termes de qualité, en plus de l’économie potentielle) ;8
– définir le paiement sur la base des coûts d’un parcours de référence ;
– établir les limites de responsabilité pour les actions hors champ ;
– envisager des partages de responsabilité ;
– et définir des règles de distribution des ressources (on se fonde souvent sur des clés de répartition déduites des poids respectifs des paiements existants).
Comme pour le paiement à la qualité, la mise en œuvre de ces principes plaide pour des phases expérimentales, sous couvert d’évaluations indépendantes et continues. En France, l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 s’inscrit dans cet esprit, en lançant des expérimentations depuis 2018, et en organisant une campagne d’évaluation de leur impact. Même si à l’heure actuelle la masse des évaluations est encore faible, certaines études offrent déjà des résultats :9 le plus large à ce jour montre sur une période courte (10 mois) des diminutions de dépenses par rapport aux paiements existants (de 1 à 3 %, ce qui n’est pas négligeable) sans entraîner de changement dans la qualité des soins.

Scénario d’ensemble

Ces nouveaux modes de paiement sont, on l’aura compris, dans une phase de montée en charge qui rend encore difficile l’appréciation de leur valeur ajoutée. Il n’empêche qu’ils se diffusent. Or, dans un contexte où des rémunérations existent déjà, cela suppose d’assurer un scénario d’ensemble cohérent.
Dans cette perspective, il y aurait une certaine logique à réserver le paiement au parcours aux cas où les besoins de coordination sont les plus manifestes :
– les parcours dits « complexes », du fait des caractéristiques des patients (âge, polypathologie, vulnérabilité sociale et perte d’autonomie) ou du fait qu’ils soient porteurs de maladies chroniques (actuellement pris en charge dans le cadre des « affections longue durée ») ;
– les parcours qui requièrent l’accès à une expertise de référence à distance (cas des déserts médicaux et des centres de référence).
Une autre logique serait d’appliquer cette incitation, au moins dans un premier temps, aux cas les plus aisés à mettre en œuvre, c’est-à-dire ceux incluant un acte chirurgical programmé.
Le paiement à la qualité pourrait pour sa part être orienté vers une incitation à la pertinence des soins (diminution des surtraitements), à la valorisation du travail collaboratif le long du parcours (comme l’existence de réunions entre professionnels situés à distance), et à la coordination des phases de transition.
Resterait alors à définir la part relative de ces deux modes de paiement par rapport aux paiements actuels dans l’enveloppe nationale. Resterait aussi à définir des règles qui assurent un intéressement tant pour le payeur-assureur (en l’occurrence en France l’Assurance maladie) que pour les praticiens et les structures impliquées. De ce point de vue, le principe du « partage du risque » pourrait trouver sa place dans différents cas de figure (en cas de gain économique démontré, un partage s’établit entre les deux parties prenantes). Resterait enfin à comprendre leur impact réel sur l’amélioration des parcours des patients. Car, rappelons-le, tous ces modes de paiement ne représentent qu’un moyen au service d’une meilleure organisation des soins.10 On le voit, un vaste chantier se dresse. Il appelle à une mobilisation des praticiens dans la réflexion : déjà débutée, elle ne devrait que s’intensifier ces prochaines années.
* Si des rapports estiment que les gaspillages représentent 30 % des dépenses de santé, les gaspillages évitables et propres à l’organisation du parcours du patient sont de l’ordre de 4 à 8 % des dépenses, ce qui représente une marge de manœuvre importante. ** L’ensemble peut rapporter en moyenne 4 500 € par an à un médecin si les objectifs de qualité sont atteints, en complément de la rémunération à l’acte, soit 7 à 8 % du revenu moyen des médecins de ville. *** Après 2 années d’expérimentation, ce nouveau paiement a été généralisé en 2016 avec une taille d’incitation allant jusqu’à 0,6 % du budget de l’établissement. La réforme « Ma santé 2022 » a conduit à porter l’enveloppe de 50 à 300 millions d’euros, et proposant même à l’horizon 2022 un objectif de 1,9 milliard d’euros.**** Principalement, en Angleterre, au Portugal, en Suède, aux Pays-Bas, et aux États-Unis.
Références
1. Organisation de coopération et de développement économiques. How Much is Too Much? Value for money in health spending [Internet], OECD Health Policy Studies, 2010. https://www.oecd.org/berlin/46201464.pdf
2. Lalloué B, Girault A, Ferrua M, Jiang S, Loirat P, Minvielle E. Evaluation of the effects of the French Pay-for-Performance program - IFAQ pilot study. Int J Quality Health Care 2017;28: 833-7.
3. Jha AK. Value-based purchasing: time for reboot or time to move on? JAMA 2017;317:1107-8.
4. Werner R, Dudley A. Medicare’s new hospital value-based purchasing program is likely to have only a small impact on hospital payments. Health Affairs 2012;31:1932-40.
5. Ministère de la Santé. Réforme des modes de financement et de régulation. Vers un modèle de paiement combiné. Rapport (sous la coordination de Jean-Marc Aubert) du 29 janvier 2019. http://bit.ly/327EcH7
6. Porter ME. What is value in health care? N Engl J Med 2012;363:2477-81.
7. Girault A, Bellanger M, Lalloué B, Loirat P, Moisdon JC, Minvielle E. Implementing hospital pay-for-performance: Lessons learned from the French pilot program. Health Policy 2017;121:407-17.
8. Fisher E. Medicare’s bundled payment program for joint replacement: promise and peril? JAMA 2016;316-12:1262-4.
9. Dummit LA, Kahvecioglu D, Marrufo G, et al. Association between hospital participation in a medicare bundled payment initiative and payments and quality outcomes for lower extremity joint replacement episodes. JAMA 2016;316:1267-78.
10. Minvielle E. Le Patient et le système. Paris : Éditions Seli Arslan, 2018.

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Résumé

Les modes de rémunération à la qualité et au parcours apparaissent en France, et ailleurs, comme des compléments aux rémunérations existantes qui ont principalement incité à augmenter l’activité. Le paiement à la qualité est déjà implanté depuis plusieurs années tant en ville qu’à l’hôpital alors que le paiement au parcours est plus récent, en phase expérimentale, principalement dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019. Cet article décrit les grands principes de ces nouveaux modes de rémunération, porte une analyse critique, et jette les bases d’un emploi cohérent. Si ces paiements peuvent inciter à une amélioration de la qualité et à des parcours coordonnés (avec des conséquences aussi en matière de réduction des gaspillages), ils nécessitent de nombreux travaux d’évaluation afin d’optimiser leur impact, et ne doivent pas perdre de vue qu’ils ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais des moyens au service d’une meilleure organisation des parcours de patients.