Les pathologies anales sont très fréquentes, c’est le moins qu’on puisse dire. Aux États-Unis, 20 % de la population aurait déjà eu un symptôme hémorroïdaire dans sa vie.1, 2 La fissure anale vient juste après ; c’est le deuxième motif de rendez-vous proctologique.3 Les suppurations anales et péri-anales (fistules cryptoglandulaires, sinus pilonidal infecté, maladie de Verneuil, maladie de Crohn…) sont également une source importante de consultations,notamment en urgence.4 L’incidence du cancer de l’anus est en hausse depuis 2 à 3 décennies.5
Outre leur grande fréquence, ces affections se manifestent par des douleurs intenses et par divers symptômes (tuméfaction gênante, saignements, suintements, prurit, incontinence…) qui génèrent une grande inquiétude et altèrent considérablement la qualité de vie.6
Pourtant, elles sont peu et mal enseignées durant les 2 premiers cycles des études médicales en France, si bien qu’il est difficile pour les médecins généralistes de maîtriser diagnostics et thérapeutiques. En témoigne une étude récente, où 57 d’entre eux ont soumis un questionnaire systématique à plus d’un millier de leurs patients. En effet, outre la prévalence élevée des symptômes proctologiques (16 %), elle révèle que plus de la moitié des consultants n’étaient pas examinés et, lorsqu’ils l’étaient, le toucher anorectal n’était – hélas – pas fait. Enfin, aucun diagnostic n’était posé dans environ deux tiers des cas.7 Une étude anglaise plus ancienne fait un constat similaire.7
De surcroît, le pharmacien est le premier recours pour bon nombre de patients, alors même qu’il n’est pas davantage formé sur le sujet et que bien entendu, il ne pratique pas d’examen. Diagnostics erronés ou retardés sont parfois lourds de conséquences. Et ne parlons pas d’internet dont l’absence de fiabilité et le caractère anxiogène sont des défauts connus.
Cette situation s’explique entre autres par le tabou (85 % des patients ne parleraient pas de leur[s] symptôme[s] proctologique[s] de façon spontanée),7 l’embarras de ceux ne souhaitant pas être examinés (« Vous comprenez, c’est mon médecin de famille, c’est gênant »…), le manque de temps et aussi de connaissance proctologique du praticien qui craint de ne pas reconnaître les lésions. Pourtant, le généraliste est classiquement le soignant le plus proche de ses patients et devrait donc être le premier recours.
En outre, l’examen proctologique est un acte rapide (dans l’étude de Tournu, le temps consacré à l’interrogatoire, l’examen clinique et la prescription était de 6 minutes en moyenne).7 Les pathologies anales sont relativement simples à identifier, leur traitement de première intention est souvent efficace et le service rendu au patient considérable.
Le médecin et anatomiste français Paul Broca (1824-1880) reconnaissait que « quand on croit savoir quelque chose, il est gênant de le désapprendre et de descendre pour la seconde fois sur le banc des écoliers ». C’est pourtant ce que nous vous proposons en lançant notre série d’images « énigmatiques » illustrant des pathologies proctologiques incontournables.
L’objectif ? Les démystifier, en appréhender l’infinie variété (elles ne se résument pas aux hémorroïdes, loin s’en faut !), inciter à leur prise en charge plus large en premier recours et contribuer à homogénéiser nos discours respectifs à l’égard des patients souvent en grande difficulté. Merci par avance de votre attention et à vous de jouer !
Références
1. Boonyasai RT, Windish DM, Chakraborti C, Feldman LS, Rubin HR, Bass EB. Effectiveness of teaching quality improvement to clinicians: a systematic review. JAMA 2007;298:1023-37.
2. Sandler RS, Peery AF. Rethinking What We Know About Hemorrhoids. Clin Gastroenterol Hepatol 2019; 17:8-15.
3. Fathallah N, Blanchard P, Cellier C, Marty O, de Parades V. Quelles sont les principales causes des saignements digestifs bas en consultation proctologique spécialisée ? Presse Med 2015;44:536-7.
4. Fathallah N, Ravaux A, de Parades V, Pommaret E, Crochet E, Ganansia O. Conduite à tenir face à un abcès anopérinéal. Ann Fr Med Urgence 2017;7:174-82.
5. Nelson VM, Benson AB 3rd. Epidemiology of Anal Canal Cancer. Surg Oncol Clin N Am 2017;26:9-15.
6. Pigot F, Siproudhis L, Bigard MA, Staumont G. Ano- rectal complaints in general practitioner visits: consumer point of view. Gastroenterol Clin Biol 2006;30: 1371-4.
7. Tournu G, Abramowitz L, Couffignal C, et al.; GREP study group; MG-PREVAPROCT study group. Prevalence of anal symptoms in general practice: a prospective study. BMC Fam Pract 2017;18:78.