Depuis l’apparition du mot « allergie » en 1906 inventé par le pédiatre Clemens Von Pirquet, les choses ont bien évolué. Les connaissances sur la variété des manifestations cliniques et des différents mécanismes incriminés ne cessent de s’affiner. Actuellement, on considère qu’un Français sur trois est allergique. Dans une vingtaine d’années, ce sera la moitié de la population qui sera touchée. Il faut dépoussiérer les idées reçues et se tourner vers l’avenir pour juguler la progression inexorable de ces pathologies. Par le Dr Catherine Quéquet, allergologue, auteur du livre Les nouvelles allergies aux éditions du Rocher (mars 2022).

De sacrés changements

En premier lieu, il ne s’agit plus de considérer les allergies alimentaires uniquement sous le mode de l’allergie immédiate « IgE médiée » à l’origine d’urticaire, d’œdème de Quincke ou de choc anaphylactique dans les quelques minutes ou deux heures après l’ingestion de l’aliment. En effet, il faut désormais compter avec les allergies non IgE médiées à expression digestive que sont l’œsophagite à éosinophiles et le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA). Pour couronner le tout, n’oublions pas les formes particulières d’allergie aux protéines du lait de vache (APLV) trop souvent méconnues (poussée d’eczéma atopique, diarrhée chronique, RGO).

Par ailleurs les avancées de l’allergologie moléculaire ont permis un bond spectaculaire dans le diagnostic et la prise en charge des allergies. De nouveaux allergènes alimentaires ont été identifiés (laitue, pignon de pin, sésame, petit pois…) et doivent désormais être pris en compte. Notre mode de vie urbaine, l’alimentation transformée, les plats prépares industriels sont loin d’être étrangers à ce phénomène.

Multi-allergies et allergies croisées

Dans le domaine de l’allergie alimentaire, les allergies « croisées » sont de plus en plus fréquentes, avec des pneumallergènes (pollens, chat, acariens, latex...) ou entre allergènes alimentaires (plus de 90 % des allergiques à la noix de cajou le sont également à la pistache).

Par exemple, l’allergie au pollen de bouleau donne des allergies croisées (symptômes péribuccaux) avec la carotte, la pomme, la poire, le cèleri, la noisette, l’arachide, les fruits à noyaux, la pomme de terre, la châtaigne. Heureusement, dans ce contexte, ces allergènes (appartenant à la famille des PR10) sont détruits par la cuisson, rendant ainsi possible la consommation des aliments cités sous forme cuite. Mais attention, d’autres allergènes plus pernicieux existent également dans la pomme ou la pêche : les LTP (résistants à la cuisson). Retrouvés plutôt dans la peau du fruit, ils peuvent être d’emblée à l’origine de réactions anaphylactiques. Il en va de même pour l’allergène (péamacléine de la famille des snakin/GRP) en cause dans l’allergie croisée entre le pollen de cyprès et la pêche.

Pour certains allergiques aux acariens, la consommation de gastéropodes, de mollusques et de crustacés et même d’insectes comestibles peut devenir problématique par allergies croisées. Il faut aussi considérer le possible déclenchement d’une allergie par les vapeurs de cuisson (crevettes, par exemple).

Totalement différente du syndrome porc-chat (un allergique au chat peut réagir à la viande de porc par le biais de l’allergène sérum albumine), il faut désormais compter avec une nouvelle allergie alimentaire à la viande rouge. Le responsable, une fois n’est pas coutume, n’est pas une protéine mais un glucide répondant au doux nom de galactose-alpha-1, 3-galactose (alpha-gal) transmis à l’humain par une morsure de tique. Autre particularité : les symptômes sévères apparaissent dans les 8 heures qui suivent la consommation de viande. La récurrence de telles manifestations doit faire penser à cette nouvelle allergie.

Allergies estivales

Si l’on parle beaucoup des pollens avec le célèbre « rhume des foins » en période estivale, il ne faut pas oublier toutes les autres turpitudes allergologiques.

Frimer avec un tatouage temporaire ? Si on est allergique à une teinture capillaire (le paraphénylène diamine, PPD), c’est une mauvaise pioche. En effet, le henné utilisé pour ces jolis tatouages éphémères est souvent additionné illégalement de PPD pour le rendre noir ; il peut être responsable d’un eczéma de contact 48 heures après son application.

Quant au « lime syndrome » survenant en buvant tranquillement une margarita avec une tranche de citron sur une terrasse en plein soleil, c’est une photodermatose qui n’a rien à voir avec la maladie de Lyme.

Une dermite de contact au niveau de la plante des pieds après une balade en chaussures bateaux ? Il faut penser au DMTBS (diméthyl-thiocarbamylbenzothiazole), un nouveau composant du caoutchouc, qui se formerait lors d’une étape de sa fabrication. Les tongs aussi peuvent provoquer un eczéma via l’acétone azine, que l’on retrouve aussi dans les protège-tibias des sportifs.

Des dispositifs médicaux, cause d’allergie… ou pas

De nouveaux systèmes de délivrance d’insuline et de dosages continus de glycémie ont fait leur apparition. Après avoir apprécié leurs avantages, il faut dénombrer quelques inconvénients, en l’occurrence l’apparition d’un eczéma de contact à l’endroit de l’application. Les premiers cas sont publiés dès 2018 avec le capteur Freestyle et le système de gestion d’insuline Omnipod.Il s’agit d’une réaction à un nouvel allergène, l’IBOA (isobornyl acrylate) qui rentre dans la composition de l’appareil.

Dans un autre domaine, un système implantable de contraception définitive appelée Essure a vu le jour il y a de nombreuses années. Il est, depuis 2017, retiré du marché en raison de l’apparition de nombreux symptômes chez les femmes implantées (asthénie, arthralgies, perte de mémoire, myalgies, etc.). Dans un premier temps, on a incriminé le nickel du dispositif. Mais depuis peu, de nouvelles investigations ont prouvé qu’il s’agit en réalité d’une intoxication à l’organo-étain présent dans la soudure.

Quoi de neuf sur la prévention des allergies ?

On sait aujourd’hui qu’un déséquilibre du microbiote intestinal joue un rôle dans l’apparition des allergies alimentaires.

Pour la prévention de l’APLV, il faut oublier les « préparations hypoallergéniques », elles n’ont pas d’intérêt.

De même, l’introduction tardive de certains aliments chez le nourrisson atopique n’est plus de mise : on recommande aujourd’hui d’introduire tous les aliments dans la fenêtre de tolérance alimentaire maximale entre l’âge de 4 à 6 mois.

Les médecins généralistes se trouvent en première ligne pour effectuer la première démarche diagnostique. La récurrence de symptômes, la notion de nouveau allergènes, la chronologie des événements doivent inciter à la vigilance pour ensuite orienter vers l’allergologue.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés