Recommandé et plébiscité, le Nutri-Score, qui apparaît de plus en plus dans les rayons alimentaires, fait toujours l’objet d’une opposition très forte de grands groupes industriels agroalimentaires. Aux consommateurs de réagir en conséquence et aux professionnels de santé de les éclairer !
Il y a un peu plus d’un an, un arrêté interministériel signé par les ministres de la Santé, de l’Agriculture et de l’Économie reconnaissait le logo coloriel à 5 couleurs « Nutri-Score » comme le système d’information nutritionnelle officiel recommandé pour être apposé sur la face avant des emballages des aliments. Les objectifs d’une telle mesure sont de permettre aux consommateurs en un simple coup d’œil de juger et de comparer la qualité nutritionnelle des aliments au moment de leur acte d’achat, et d’inciter les industriels à améliorer la composition nutritionnelle des aliments qu’ils produisent au travers de reformulations et d’innovations. La signature de cet arrêté, après l’aval de la Commission européenne, constituait l’épilogue d’une longue bataille de 4 années dans laquelle les travaux scientifiques et les dimensions de santé publique ont fini par l’emporter sur les puissants lobbys qui ont tenté vainement de bloquer puis de retarder la mise en place de cette mesure.1
Alors que peut-on dire aujourd’hui, une année après l’adoption par la France du Nutri-Score ?

Nouveaux travaux favorables

D’abord la science a encore avancé, avec la publication en 2018 de nouveaux travaux confirmant l’intérêt du profil nutritionnel sous-tendant le système et l’efficacité du logo Nutri-Score lui-même. Une large étude épidémiologique portant sur la cohorte européenne EPIC (470 000 sujets dans 10 pays, 15 ans de suivi, 50 000 cancers validés) a démontré que les participants consommant en moyenne plus d’aliments correspondant à un Nutri-Score traduisant une qualité nutritionnelle moindre avaient un risque accru de 7 % de développer un cancer (comparaison entre les participants consommant des produits de moins bonne qualité nutritionnelle [quintile 5] et ceux consommant des produits de meilleure qualité nutritionnelle [quintile 1], notamment de cancers du côlon et du rectum, du poumon chez les hommes, du sein chez les femmes).2 Ces résultats contribuent à montrer la pertinence de l’algorithme qui sous-tend le calcul du Nutri-Score dans un contexte de prévention nutritionnelle des maladies chroniques en Europe.
D’autre part, une étude comparative internationale,3 réalisée dans 12 pays (France, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni, Danemark, Bulgarie, États-Unis, Canada, Mexique, Argentine, Australie et Singapour) a permis de comparer la capacité de cinq logos nutritionnels à aider les consommateurs à classer correctement les aliments selon leur qualité nutritionnelle. L’étude réalisée sur 12 000 sujets a mis en évidence que le Nutri-Score, comparé aux quatre autres logos testés (Apports de référence, Feux tricolores multiples, Health Star Rating system, symbole Warnings), est celui qui a les meilleures performances, et ce dans les 12 pays étudiés. Le Nutri-Score apparaît donc comme la meilleure option pour aider les consommateurs à correctement discriminer la qualité nutritionnelle des produits, et ce dans différents contextes socioculturels.

Adhésion massive des consommateurs

Le nombre d’entreprises agroalimentaires et de distributeurs qui se sont engagés à apposer le Nutri-Score sur les emballages des aliments qu’ils produisent ou commercialisent a considérablement augmenté : six au moment de la signature du décret, elles sont aujourd’hui plus de 90 ! Le Nutri-Score apparaît de plus en plus dans les rayons des supermarchés, avec une montée en puissance progressive (les sociétés engagées ont 2 ans pour étiqueter l’ensemble de leurs produits, délai nécessaire au renouvellement des emballages et à l’écoulement des stocks). De plus, les entreprises signataires sont nombreuses à reformuler leurs produits vers une meilleure qualité nutritionnelle à la suite de leur engagement pour le Nutri-Score.
Enfin, et cela est rassurant, le Nutri-Score fait l’objet d’une adhésion massive des consommateurs. Dans une enquête réalisée en octobre 2018 par Santé publique France, 91 % des Français sont favorables à ce que le logo Nutri-Score soit présent sur les emballages des produits alimentaires, et même 87 % estiment que son apposition devrait être obligatoire ; 14 % des Français ont déjà acheté un produit sur lequel figurait le logo. Parmi ceux qui connaissent le Nutri-Score, 91 % le considèrent facile à comprendre et 86 % facile à repérer sur l’emballage. Le fait qu’une entreprise affiche le Nutri-Score sur ses produits est également valorisé par une large majorité de Français, avec 7 personnes sur 10 qui déclarent que cela leur donne une meilleure image de la marque.
Autre point important : l’extension européenne du Nutri-Score se poursuit. Après la France, c’est la Belgique (en août 2018), puis l’Espagne (en novembre 2018) qui ont adopté le Nutri-Score. Des discussions sont également en cours dans plusieurs pays européens (et au-delà de l’Europe).

Mais toujours des oppositions très fortes…

Cependant, malgré le dossier scientifique convaincant du Nutri-Score, le plébiscite des consommateurs en sa faveur, son développement en Europe et l’engagement d’un nombre non négligeable d’industriels et de distributeurs, il persiste encore des oppositions très fortes au niveau de grands groupes agroalimentaires qui ne souhaitent toujours pas, malgré les évidences scientifiques, utiliser le Nutri-Score et ont parfois même établi des stratégies pour tenter de le torpiller. En 2017, un consortium de six industries agroalimentaires (Coca-Cola, PepsiCo, Nestlé, Mars, Unilever et Mondelez) a proposé de mettre en place son propre logo, l’Evolved Nutrition Label (ENL). Le format de l’ENL est inspiré de celui des feux tricolores multiples britanniques (MTL). Mais alors que les MTL sont calculés sur la composition du produit au 100 g, pour l’ENL, le seuil est fondé sur la composition nutritionnelle d’une portion de produit lorsque la taille de la portion est considérée « petite » (< 60 g). Au final, cette modification conduit à ce que l’étiquetage ENL apparaisse plus favorable pour certains produits de moins bonne qualité nutritionnelle en se traduisant par une expression de couleur orange, et non rouge comme sur les MTL originaux. Un des arguments avancés par les industriels promouvant l’ENL est que l’attribution des couleurs calculée sur la taille d’une portion permettrait aux consommateurs de mieux prendre en compte les apports nutritionnels relatifs à leur consommation réelle du produit et donc d’avoir un meilleur impact sur leurs consommations. Une étude publiée en 20184 a testé si cette hypothèse était vérifiée, en évaluant l’impact du Nutri-Score, du MTL et de l’ENL sur la taille de portion sélectionnée pour des produits de moins bonne qualité nutritionnelle (D ou E du Nutri- Score). Les résultats montrent que le Nutri-Score et dans une moindre mesure les MTL permettent de diminuer les tailles de portions sélectionnées. À l’inverse, l’ENL semble avoir un impact limité, voire défavorable sur les tailles de portions sélectionnées, en particulier pour certains produits comme les pâtes à tartiner. L’ENL, avec des pastilles orange plutôt que rouges sur les produits de moins bonne qualité, pourrait ainsi conduire à une augmentation des tailles de portions pour des aliments dont il est conseillé plutôt une consommation en petite quantité en entraînant chez le consommateur une confusion sur la qualité nutritionnelle réelle du produit…

La bataille continue…

Face aux refus des consommateurs, aux données scientifiques et à l’absence de soutien au niveau européen, Mars s’est retiré du consortium en mars 2018, suivi par Nestlé en novembre 2018, qui a annoncé qu’il abandonnait le logo ENL alors que les autres membres du consortium suspendaient sa mise en place en Europe (sauf pour les boissons pour lesquelles ils souhaitent toujours l’afficher). C’est bien sûr une victoire pour la santé publique. Cependant, même si ces grandes sociétés multinationales reculent, elles n’adhèrent toujours pas au Nutri-Score. C’est également le cas d’autres grands groupes internationaux comme Kellogg’s, Ferrero et beaucoup d’autres ! Même si nous avons vécu des avancées notables, la bataille du Nutri-Score n’est pas terminée… La position des industriels qui le refusent apparaît aujourd’hui dictée principalement par leur intérêt commercial. Malgré leur refus, les données nécessaires au calcul du Nutri-Score étant disponibles sur la déclaration nutritionnelle à l’arrière du paquet, les consommateurs eux-mêmes se sont emparés de la question de la transparence des données de composition nutritionnelle, et permettent d’obtenir le Nutri-Score de plus de 700 000 produits par le biais de l’application Open Food Facts. Aux consommateurs de réagir en conséquence vis-à-vis de ces industriels. Et aux professionnels de santé de les aider à réagir en les informant sur le Nutri-Score ! V
Références
1. Julia C, Hercberg S. La bataille de l’étiquetage alimentaire. Rev Prat 2016;66:943-9.

2. Deschasaux M, Huybrechts I, Murphy N, et al. Nutritional quality of food as represented by the FSAm-NPS nutrient profiling system underlying the Nutri-Score label and cancer risk in Europe: Results from the EPIC prospective cohort study. PLoS Med 2018;15:e1002651.

3. Egnell M, Talati Z, Hercberg S, Pettigrew S, Julia C. Objective Understanding of Front-of-Package Nutrition Labels: An International Comparative Experimental Study across 12 Countries. Nutrients 2018;10. pii: E1542

4. Egnell M, Kesse-Guyot E, Galan P, et al. Impact of front-of-pack nutrition labels on portion size selection: an experimental study in a French cohort. Nutrients 2018;10. pii: E1268

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