Diagnostiquer une obésité de l’enfant.
Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient.
La tendance mondiale actuelle concernant l’indice de masse corporelle (IMC) est une stabilisation (tout en restant à un niveau élevé) dans certains pays à haut revenu et, à l’inverse, une augmentation dans d’autres régions (certaines régions d’Asie). Pourtant, la prévalence de l’obésité augmente globalement dans le monde, tous âges confondus (de 5 à 19 ans) de 0,7 % (0,4-1,2) en 1975 à 5,6 % (4,8-6,5) en 2016 chez les filles et de 0,9 % (0,5-1,3) en 1975 à 7,8 % (6,7-9,1) en 2016 chez le garçon.
Même si, en France, la prévalence a tendance, depuis le milieu des années 2000, à se stabiliser (un peu moins de 1 enfant sur 5 en surpoids avec 3 à 4 % en obésité), des inégalités sociales et territoriales demeurent et de ce point de vue l’obésité infantile est un paradigme.
Comment définir le surpoids chez l’enfant
IMC
Chez l’enfant, l’obésité est plus complexe à définir en raison des variations de poids en fonction de l’âge.
En France, on utilise les courbes de référence françaises établies par Rolland-Cachera en 1991, qui sont dans les carnets de santé des enfants depuis 1995. Elles sont établies en centiles, permettant de définir les zones d’insuffisance pondérale (< 3e percentile), de normalité (3e-97e percentile) et de surpoids (> 97e percentile) depuis la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans. En revanche, elles ne permettent pas de distinguer, parmi les enfants en surpoids, ceux qui présentent une obésité.
L’International Obesity Task Force (IOTF) a élaboré en 2000 une définition de surpoids et d’obésité chez l’enfant, en utilisant des courbes d’IMC établies à partir de données recueillies dans six pays disposant d’échantillons représentatifs. Fondées sur des données de morbi-mortalité à l’âge adulte, les courbes IOTF devraient avoir une valeur prédictive ; elles sont utilisées pour les études de prévalence. Disponibles de 2 à 18 ans, les seuils du surpoids et d’obésité sont constitués par les courbes de centiles atteignant respectivement les valeurs de 25 à 30 kg/m² à 18 ans (
Z-score
Les valeurs « M » (médiane), « S » (écart type) et « L » (facteur correctif) utilisées pour les calculs sont celles des tables de référence françaises et dépendent de l’âge et du sexe de l’enfant.
L'IMC est-il suffisant pour définir surpoids et obésité ?
Description de la courbe d’IMC
Annonce
Facteurs associés au risque de surpoids et d’obésité commune de l’enfant et de l’adolescent
À la jonction de cette part génétique, épigénétique et environnementale, on identifie un certain nombre de facteurs précoces, de la vie fœtale aux premières années de vie, qui jouent un rôle sur la prise de poids ultérieure.
Selon le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2011, les facteurs de risque associés au surpoids et à l’obésité des enfants et adolescents sont les suivants :
- surpoids et obésité parentale, notamment de la mère au début de la grossesse ;
- prise de poids excessive pendant la grossesse. Pour cela, des recommandations en fonction de l’IMC de la mère avant la grossesse ont été émises (
tableau 1 ) ;
- grossesse : tabagisme maternel, diabète maternel quel que soit son type ; un déséquilibre de l’apport d’acides gras au détriment des oméga-3 chez la mère et l’exposition à certains polluants ;
- excès ou défaut de croissance fœtale (parfois conséquence des facteurs précédents) ;
- gain pondéral accéléré dans les deux premières années de vie ;
- difficultés socio-économiques des parents et cadre de vie défavorable ;
- manque d’activité physique et sédentarité : l’activité physique pratiquée régulièrement induit une diminution de la masse grasse et réduit les complications métaboliques. La sédentarité est la principale cause de la baisse des dépenses énergétiques. C’est un facteur de risque majeur d’obésité. Les écrans sont majoritairement responsables. Des recommandations ont été émises en fonction de l’âge (
tableau 2 ) ;
- manque de sommeil : plusieurs études ont mis en évidence un lien entre une réduction ou un excès de temps de sommeil en fonction de l’âge et l’IMC trop élevé. Trop ou pas assez de sommeil entraîne une perturbation des hormones de régulation de la faim et de la satiété. Des recommandations ont également été émises (
tableau 3 ) ;
- attitudes inadaptées de l’entourage (style parental) par rapport à l’alimentation (restrictives ou trop permissives) ;
- facteurs psychopathologiques : dépression chez les filles, hyperphagie boulimique ;
- négligences ou abus physiques et sexuels dans l’enfance ou l’adolescence ;
- handicap moteur ou mental. Les déterminants sont complexes : liés à la maladie elle-même, trouble de la satiété d’origine centrale, aux difficultés de comportement (alimentation réconfort), à l’environnement éducatif et aux traitements médicamenteux ;
- l’allaitement maternel semble avoir un effet protecteur de faible importance.
Classification de l’obésité
Les obésités sévères à début précoce peuvent être classées en :
- obésités monogéniques, liées à la présence d’une mutation unique sur un gène. Elles peuvent toucher un des huit gènes connus (LEP, LEPR, MC4R, POMC, PCSK1, BDNF, NTKR2, SIM1). Tous ces gènes conduisent à la synthèse de protéines clés d’une voie centrale dans la régulation de la prise alimentaire et du poids : la voie de la satiété déclenchée par la production d’une hormone, la leptine dans le tissu adipeux. Elles sont associées à un trouble du comportement alimentaire très précoce et des déficits hormonaux (hypogonadisme, déficit en adreno- cortico-trophic hormone [ACTH], etc.). De nouvelles thérapeutiques issues de ces connaissances semblent prometteuses pour le traitement physiopathologique de ces obésités ;
- obésités syndromiques où le diagnostic est retenu devant une obésité associée à un autre signe tel qu’un retard du développement, une hypotonie néonatale, des déficits sensoriels, une dysmorphie faciale, une malformation congénitale, un trouble précoce du comportement alimentaire. La croissance staturale est parfois insuffisante, associée ou non à un hypogonadisme, et ces signes nécessitent des explorations hormonales.
Une autre classe correspond aux obésités iatrogènes qui peuvent se voir avec certains traitements contre l’épilepsie (valproate de sodium), certains neuroleptiques, des traitements par corticoïdes au long cours.
Enfin, quel que soit l’âge, on retrouve les obésités communes. Avant de la déclarer commune, il sera nécessaire de faire un examen clinique complet précédé d’un entretien de compréhension.
Entretien de compréhension
- « Qui est-il ? ». Repérage de signes éventuels de souffrance psychologique, en particulier troubles de l’estime de soi ;
- « Qu’est-ce qu’il a ? ». Correspond à la partie clinico-biologique avec recherche des antécédents personnels (facteurs néonataux, chirurgie, notamment adénoïdectomie et amygdalectomie qui peuvent être un facteur déclenchant de la prise de poids, cure chirurgicale de cryptorchidie, trouble des apprentissages, prise de médicaments, âge de la marche : ronfle-t-il la nuit, présente-t-il une énurésie, s’endort-il dans la journée), et des antécédents familiaux notamment de diabète de type 2 chez les apparentés de 1er et 2e degrés, antécédents d’obésité dans la famille (on s’attachera à demander le poids maximum des parents car de plus en plus de parents de poids normaux ont subi une chirurgie bariatrique et ne le précisent pas toujours), déroulement de la grossesse. Il faut également s’assurer que les parents ne sont pas consanguins (importance dans les obésités monogéniques) ;
- « Qu’est-ce qu’il fait ? ». Au niveau de l’alimentation, de la pratique sportive et de la sédentarité, temps d’écrans, combien de temps dort-il ? ;
- « Qu’est-ce qu’il sait ? » ;
- « Qu’est-ce qu’il croit ? » ;
- « Que ressent-il ? » ;
- « Quel est son projet ? » ;
- « Quelle est sa demande ? ».
- la reconnaissance par l’enfant et sa famille du rôle des facteurs environnementaux (et notamment l’entourage familial) ;
- l’identification des attentes de l’enfant ;
- l’évaluation de ses compétences dans la pratique de l’exercice physique, l’alimentation, etc., et des compétences d’adaptation qui les soutiennent (avoir confiance en soi, prendre des décisions, se fixer des buts et faire des choix, etc.) ;
- l’appréciation de sa motivation et de celle de sa famille à apporter des changements à leurs habitudes de vie.
Chez l’adolescent, il est recommandé que ces temps séparés soient systématiquement proposés. Cet entretien a pour but d’identifier les leviers sur lesquels il est possible d’agir pour modifier les habitudes de vie ayant contribué au développement et au maintien de l’obésité (sédentarité, temps passé devant les écrans, stress familiaux, conditions de prise des repas, courses, etc.).
Examen clinique
- la mesure du poids et de la taille. Tracer la courbe de taille est indispensable ;
- la courbe d’IMC. Tracer la courbe est également indispensable et permet de situer le rebond d’adiposité. L’absence de rebond ou un rebond précoce est en faveur d’une obésité monogénique ou syndromique ;
- la mesure du périmètre crânien : il permet d’évaluer si l’enfant présente une macro- ou microcéphalie, ce qui doit faire évoquer une obésité syndromique ;
- les signes dysmorphiques : recherche d’anomalie du visage (oreilles mal ourlées, bouche en chapeau de gendarme, orientation des fentes palpébrales, grosses incisives…), acromicrie, brachymétacarpie, doigts allongés et fuselés, etc. ;
- l’examen des téguments : acanthosis nigricans préférentiellement dans les zones du cou et axillaires qui témoignent d’une insulinorésistance et donc d’une prédisposition au diabète. Recherche de mycose dans les zones des plis. Vergetures des bras, des cuisses, etc. Palpation de nodules sous-cutanés en faveur d’une pseudo-hypoparathyroïdie. Évaluation de la pilosité chez la fille pubère dans les zones androgéno-dépendantes ;
- le rapport tour de taille sur taille (TT/T) ;
- l’auscultation cardiaque et la prise de tension artérielle avec un brassard adapté ;
- l’examen buccal afin d’évaluer le volume des amygdales ;
- l’examen pubertaire : développement des organes génitaux externes dans les 2 sexes et chez le garçon mesure de la verge qui est le plus souvent enfouie. Gynécomastie chez le garçon pubère et adipomastie chez la fille prépubère ;
- l’examen orthopédique : examen des hanches, du dos, des genoux et des pieds.
Bilan
Dans les surpoids avec comorbidités ou obésité (IMC ≥ IOTF-30) : bilan hépatique, glycémie à jeun, bilan lipidique complet.
En cas de suspicion d’obésité syndromique :
- recherche des anomalies neurosensorielles : bilan ophtalmologique (avec ERG/FO), consultation ORL (± audiogramme) ;
- évaluation neuropsychologique devant un retard de développement, des troubles des apprentissages, troubles du comportement, troubles du comportement alimentaire, etc.) ;
- troubles de l’oralité : bilan phoniatre ;
- anomalies malformatives (scoliose, polydactylie, etc.) : bilan radiologique, échographie rénale, abdominale, cardiaque et imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale ;
- anomalies endocriniennes (retard statural, hypogonadisme, etc.) : bilan biologique et hormonal ;
- génétique :
. si dystrophie rétinienne : BBS/Cohen/Alström,
. si obésité précoce avant 3 ans ou avant 10 ans avec anomalies endocriniennes : POMC, LEP, LEPR, MC4R,
. si obésité sévère et précoce avec antécédents familiaux : MC4R.
Complications et prise en charge
Psychopathologiques : à type d’anxiété, de dépression, de trouble du comportement et trouble du comportement alimentaire, addiction : nécessitent une consultation spécialisée.
Cutanées :
- les vergetures simples, les mycoses : traitement local ;
- les vergetures violacées et verticales : nécessitent un avis endocrinologique ;
- l’hypertrichose chez la jeune fille, notamment dans les zones androgéno-dépendantes : demande un avis endocrinien, à la recherche d’une hyperandrogénie ;
- l’acanthosis nigricans : nécessite un avis endocrinologique, à la recherche d’une insulinorésistance et, si l’âge est supérieur à 10 ans dans le cadre d’une obésité, un test d’hyperglycémie per os (HGPO) fait partie des recommandations de l’Association du diabète américain (ADA).
Cardiorespiratoires :
- hypertension artérielle : holter tensionnel si les valeurs de tension sont élevées ;
- asthme : souvent associé et pouvant être aggravé par l’obésité : avis spécialisé si non contrôlé ;
- déconditionnement à l’effort : consultation spécialisée et épreuve fonctionnelle respiratoire et/ou test d’aptitude à l’effort ;
- troubles respiratoires dont les apnées du sommeil : consultation ORL, enregistrement polysomnographique et consultation spécialisée du sommeil.
- puberté avancée chez la fille : le plus souvent adipomastie et puberté lentement évolutive ne nécessitant pas de traitement de freination pubertaire ; mais ne pas hésiter si le pronostic de taille est en jeu à demander un avis endocrinologique ;
- syndrome des ovaires polykystiques dans un contexte métabolique (spanioménorrhée, hypertrichose + acné) : recherche d’insulinorésitance + avis endocrinologique ;
- retard pubertaire, verge de taille insuffisante : avis endocrinologique afin d’éliminer un hypogonadisme ;
- gynécomastie : souvent très mal vécue chez le garçon en période pubertaire (discuter d’une chirurgie plastique en fin de puberté).
- dyslipidémie :
- hypertriglycéridémie : mesures diététiques, diminuer les sucres ;
- hypercholestérolémie au profit du LDL-cholestérol avec un HDL abaissé : augmenter l’activité physique et mesures diététiques ;
- stéatose hépatique : échographie hépatique et consultation gastro-entérologue ;
- insulinorésistance, intolérance au glucose, diabète de type 2 (recommandations de l’ADA pour enfant de plus de 10 ans) : en cas d’antécédents familiaux de diabète et présence de l’un des facteurs suivants : obésité, syndrome des ovaires polykystiques, retard de croissance intra-utérin, population prédisposée, obésité abdominale, acanthosis nigricans : prévoir un test d'hyperglycémie per os et avis endocrino-diabétologique.
Prise en charge
Différents recours
Le premier recours correspond à une prise en charge de proximité de l’enfant en surpoids ou obésité sans complication et de sa famille par le médecin traitant. Il peut nécessiter des ressources complémentaires de proximité (diététicienne, etc.). L’importance étant l’interdisciplinarité, c’est-à-dire faire le lien entre les différents intervenants avec une attitude cohérente de soin. Le Réseau de prévention et de prise en charge de l’obésité pédiatrique (RéPPOP) est un appui du premier recours lorsqu’il existe.
Le deuxième recours correspond à une prise en charge multidisciplinaire organisée à l’échelle d’un territoire, faisant appel à des professionnels spécialisés, pour des enfants présentant une ascension rapide de l’IMC ± des comorbidités ± un contexte familial défavorable ± une problématique psychologique et/ou sociale. Les programmes d’ETP ou les SSR ont ici leur place.
Le troisième recours est organisé à une échelle régionale (centre spécialisé obésité [CSO]) et correspond à une prise en charge coordonnée par un médecin et une équipe spécialisés dans un centre hospitalier universitaire (CHU). On parle de centre intégré obésité (CIO) lorsque le CSO regroupe plusieurs établissements de soins et des structures de recherche et de formation. Le centre de référence du syndrome de Prader-Willi et autres syndromes avec troubles du comportement alimentaire s’occupe des maladies rares avec obésité et est intégré au CIO.
Ce troisième recours s’adresse à des enfants et adolescents présentant une obésité sévère avec de multiples échecs ± comorbidités dans un contexte psychosocial défavorable, avec ± des troubles du comportement alimentaire et le(la) psychiatre a un rôle primordial. Ces situations demandent aussi le plus souvent de travailler avec le secteur social de proximité afin de proposer, en fonction de la situation, une aide éducative ± une travailleuse d’intervention sociale et familiale. Des séjours prolongés en SSR sur l’année scolaire peuvent être proposés, d’autant plus si l’enfant est déscolarisé. Dans le cadre du RéPPOP Midi-Pyrénées, nous avons mis en place des modules internat qui sont une alternative à ces séjours. Ils sont issus d’un partenariat entre l’Éducation nationale et le RéPPOP, et proposent de scolariser l’adolescent dans un milieu ouvert en internat durant la semaine. S’il ne veut pas quitter le milieu familial ou si un séjour précédent n’a pas été une réussite, des expérimentations d’hospitalisation à domicile afin de travailler avec la famille les causes de(s) échec(s) ont été proposées. Dans le cadre du troisième recours, une expérimentation nationale OBEPEDIA en lien avec le ministère de la Santé va démarrer en 2018. Dans les cas extrêmes, la chirurgie bariatrique peut être discutée et nécessite la mise en place d’une transition avec l’équipe adulte experte. La décision de chirurgie doit être prise en CSO pédiatrique en suivant les procédures détaillées de la fiche de synthèse élaborée et diffusée par la HAS.
Le suivi des enfants et adolescents peut être soutenu par l’utilisation d’objets connectés permettant de rendre le patient plus acteur de sa prise en charge grâce à l’utilisation de nouvelles technologies qui lui sont familières.
L’obésité est une pathologie complexe qui nécessite une prise en charge sur le long terme avec une équipe formée en éducation thérapeutique et ayant une maîtrise de l’organisation des soins (
La prévention de l’obésité : passe par le tracé des courbes d’indice de masse corporelle (IMC) et la recherche d’un rebond d’adiposité précoce, l’absence de rebond ou un croisement des couloirs.
Le rapport tour de taille sur taille (TT/T) : permet d’ajuster l’IMC et, lorsqu’il est > 0,5, de dépister un risque métabolique accru.
L’éducation thérapeutique du patient est au cœur de la prise en charge et implique des soignants formés avec initialement un recueil des besoins du patient et l’élaboration d’un diagnostic éducatif complet ajusté au cours du suivi.
L’implication des parents dans la prise en charge de leur enfant est incontournable et est le point clé de la réussite.
L’interdisciplinarité entre professionnels de proximité et entre la ville et l’hôpital est essentielle pour permettre une cohérence des soins et élaborer avec l’enfant et sa famille des objectifs communs de prise en charge.