Le but de cet article est de montrer, en prenant l’exemple du diabète de type 2, comment l’existence d’un phénomène extraordinairement fréquent – un tiers des patients achètent moins de 80 % des médicaments prescrits – et grave par ses conséquences médicales, cliniques et économiques doit susciter un véritable changement de paradigme dans la pratique médicale et son enseignement.

Changeons de point de vue

Au début, la non-observance étonne : comment le patient peut-il ne pas suivre les prescriptions médicales et agir contre son intérêt ? Mais si on réalise que, dans les maladies chroniques, la mise en œuvre du traitement, ce que les patients doivent faire vraiment, quotidiennement, et pour longtemps, nécessite un effort permanent, on comprend tout d’un coup qu’en fait la non-observance représente l’option par défaut : il faut alors féliciter les sujets observants !
 

Trois définitions

Les trois temps de la non-observance

La non-observance peut s’exprimer à l’initiation du traitement (le patient n’achète même pas les médicaments, ou les achète, mais ne les prend pas), lors de sa mise en œuvre (il lui arrive de sauter des prises, de temps en temps ou pour de petites périodes) ou dans sa continuité (il arrête de prendre le traitement) : dans le dernier cas, on parle de non-persistance.

Deux types de non-observance : intentionnelle et non intentionnelle

Le patient peut décider, à un de ces moments, de ne pas prendre le traitement prescrit. Cette non-observance intentionnelle, active, peut être repérée par le fait que si on le lui demande, il peut en donner une raison (éviter les effets indésirables). Mais il peut aussi ne pas prendre le traitement en raison de la survenue d’événements qui ne dépendent pas de lui. Cette non-observance non intentionnelle, passive, peut être expliquée par le fait, par exemple, que le patient n’a pas compris la prescription, ou tout simplement a oublié de prendre les médicaments.
La fréquence de cette non-observance non intentionnelle augmente dans les six premiers mois du traitement ; par ailleurs, elle est plus courante chez les patients ayant des difficultés à comprendre les concepts médicaux.

Deux types d’observance, intentionnelle et non intentionnelle

L’observance, quant à elle, semble être un phénomène actif, nécessitant l’intention de se soigner, ce qui nécessite un effort pour le patient : c’est bien pourquoi nous avons dit que la non-observance est l’option par défaut. Mais à côté de cette observance intentionnelle, l’observance peut aussi représenter un phénomène passif et être non intentionnelle. Ainsi, le patient peut être observant par pure obéissance ou grâce au développement d’une habi- tude : dans ce cas, il prend ses médicaments automatiquement, ce qui élimine l’effort cognitif de l’intentionnalité ; incidemment, il s’agit d’un levier puissant pour améliorer l’observance.

Pourquoi est-on observant ou non observant ?

Interviennent des facteurs dépendant de la maladie (aiguë ou chronique, degré de sévérité), du traitement (nature, complexité, présence d’effets secondaires), du contexte psychosocial (par exemple effet de la précarité), enfin des patients eux-mêmes : ils sont plus souvent observants à la prise médicamenteuse s’ils sont plus âgés, d’un naturel patient, capables de se projeter à long terme, mais aussi s’ils sont obéissants, s’ils ne rompent pas facilement leurs habitudes, s’ils sont prudents, évitant les comportements à risque, s’ils pensent que leur destin dépend d’eux, s’ils sont d’un naturel optimiste ou joyeux (ce que l’on ne voit plus en cas de dépression), s’ils arrivent à lutter contre l’irrationalité qui nous guette tous et qui nous pousse à agir contre notre intérêt. La multitude de ces mécanismes psychologiques explique que l’observance puisse fluctuer en fonction de l’âge (les adolescents sont par nature à la fois impatients et désobéissants et donc très souvent non observants) et au gré des événements de vie (épisode dépressif, entrée dans la précarité).

La non-observance, un syndrome

L’existence de mécanismes communs fait de la non-observance un véritable syn-­ drome comportemental : les fumeurs sont plus souvent non observants ; les patients non observants vis-à-vis des médicaments le sont aussi vis-à-vis de la pratique des examens complémentaires ou du respect des recommandations concernant l’alimentation ou l’activité physique.

Améliorer l’observance

Un pré-réquisit éthique

On comprend le désir a priori louable de tous, des soignants, des autorités de santé, de l’assureur et de l’industrie pharmaceutique « d’améliorer l’observance ». Mais ce qui précède, notamment l’intervention de traits de caractère des patients, nécessite une réflexion éthique. De plus, les patients ont le droit – la loi de mars 2002 l’explicite clairement – d’être non observants de manière intentionnelle et de refuser un traitement. Certes, le désir « d’améliorer l’observance » est justifié par le principe éthique de bienfaisance ; mais seul le patient peut décider ce qui est bon pour lui, et le médecin doit aussi prendre en compte et respecter son autonomie : « vouloir améliorer l’observance » ne va donc pas autant de soi qu’il y paraît.

Nécessité d’un changement de paradigme

L’éducation thérapeutique a constitué une première étape, dans laquelle le médecin prenait la peine de donner des explications au patient sur le sens de ce qui lui arrive, sur les moyens de se soigner en termes de connaissances et de compétences, et lui permettait, grâce à un diagnostic éducatif, de clarifier ses préférences et ses craintes, de détecter de fausses croyances et, enfin, de quitter un état passif de « patient » pour prendre un rôle actif d’« agent », dans un processus qui a été appelé « empowerment ».
La décision médicale partagée, véritable changement de paradigme
Mais cette première étape est longtemps restée située dans le cadre asymétrique du soin : éduquer est un verbe transitif, ayant un sujet (le soignant) et un complément d’objet (le soigné). Le véritable changement de paradigme consiste à instaurer, dans cette relation asymétrique, une symétrie (figure). C’est ce à quoi vise le concept de décision médicale partagée, qui doit être vue comme une conversation, et non comme une conversion. Un tel changement de posture de la part de la médecine, qui quitte alors véritablement le paternalisme, crée un climat de confiance dans la relation de soin : en effet, la confiance est un processus réciproque et donc symétrique ; or il est démontré qu’une relation de confiance améliore l’observance.

Le concept d’engagement

Il est évident qu’on est en présence d’un phénomène dont la complexité déborde l’analyse faite dans cet article. Son but était cependant de montrer qu’il s’agit d’un problème majeur qui appelle un changement de paradigme. Il est dès à présent mis en l’œuvre : en témoigne le développement, après celui d’une médecine Prédictive, Préventive et Personnalisée, d’une médecine Participative. Nous voudrions rajouter à cette médecine 4P un cinquième P : celui d’une médecine de la Personne, reconnue comme un être doué de complexité, liée à des traits de caractère multiples qu’il convient de respecter. Alors, après avoir quitté le terme de compliance pour celui d’observance, peut-être faudrait-il arrêter d’utiliser ce mot trop chargé de connotation religieuse et de domination, et décider enfin d’adopter le terme d’adhésion, ou, peut-être encore mieux, d’engagement du patient. Celui-ci n’est possible qu’au sein d’une relation de confiance, qui sera favorisée par l’engagement du médecin dans cette nouvelle façon de pratiquer la médecine.
Enfin, la réforme en cours du deuxième cycle des études médicales, qui renforce la place des sciences humaines et sociales dans le cursus, doit viser à permettre ce changement de paradigme.

Dans cet article

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essentiel

La non-observance, l’option par défaut.

La non-observance est un syndrome.

La décision médicale partagée : un engagement mutuel.

La consultation est une conversation et non une conversion.