Les causes à l’origine d’un œdème/angiœdème de la face sont potentiellement nombreuses. Comment s’orienter ? Quelles urgences ? Focus sur la démarche diagnostique avec le Dr Delphine Gobert (interniste, hôpital Saint-Antoine, Paris).

Les causes à l’origine d’un œdème de la face sont très variées : infectieuses (bactériennes, virales, parasitaires…) ; endocriniennes (syndrome de Cushing lié à une pathologie surrénalienne ou hypophysaire, ou plus souvent iatrogène lors de corticothérapies prolongées à fortes doses ; dysthyroïdies) ; iatrogènes ; allergiques ; vasculaires ; liées à des maladies auto-immunes ou inflammatoires (notamment lupus, dermatomyosite, syndrome de Goujerot-Sjögren), à des pathologies des sinus ou des parotides… (v. tableau ci-contre).

La démarche diagnostique porte attention à trois éléments principaux :

  • Durée de l’œdème : fugace, avec retour complet à l’état normal entre les poussées ? ou chronique (persistant ou fluctuant, sans retour à l’état normal) ?
  • Siège  : tuméfaction locale ou œdème généralisé ? avec présence ou non d’une atteinte cutanée, et de quel type ?
  • Signes associés et terrain : fièvre ? atteinte musculaire, articulaire ? lésions cutanées ? prises médicamenteuses ?

Les réponses permettent d’orienter le diagnostic et de repérer notamment les situations les plus graves.

Principales urgences

Infections bactériennes

Elles peuvent être :

  • Streptococciques : érysipèle avec placard inflammatoire et un bourrelet périphérique, uni- ou bilatéral, contexte fébrile ;
  • staphylococciques avec porte d’entrée cutanée : l’œdème, volontiers circonscrit, s’associe à des signes inflammatoires locaux, une fièvre, un tableau septique, et peut se compliquer d’une thrombose du sinus caverneux ;

Thromboses

Les compressions médiastinales, notamment lors d’un syndrome cave supérieur, peuvent se révéler par un œdème localisé avec circulation veineuse collatérale. Les cancers du poumon (surtout à petites cellules) en sont les principaux responsables.

Plus rarement, la thrombose du sinus caverneux peut être à l’origine d’œdèmes palpébraux, de céphalées et de fièvre.

Angiœdème laryngé ou lingual

Dans certains cas, un œdème de la face peut s’étendre vers une atteinte laryngée ou de la langue, qu’il faut redouter en raison du risque d’asphyxie engageant le pronostic vital.

L’œdème asphyxique peut être d’origine allergique, auquel cas il s’accompagne de signes généraux d’anaphylaxie, ou il peut s’agir, plus rarement, d’un angiœdème bradykinique (v. ci-après).

Toxidermies

L’érythème est alors diffus. S’y associent parfois des bulles et des lésions muqueuses.

Le DREES syndrome (drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms), en particulier, est une toxidermie grave pouvant mener à une défaillance multiviscérale mettant en jeu le pronostic vital. Le tableau initial associe souvent malaise général, fièvre et œdème du visage avec polyadénopathies et exanthème.

Focus sur l’angiœdème : histaminique ou bradykinique ?

L’angiœdème est un œdème du derme profond et des tissus sous-cutanés, localisé, transitoire – mais pouvant durer plusieurs jours – et d’apparition soudaine. Le mécanisme est vasculaire (dilatation et augmentation de la perméabilité des capillaires). Le plus souvent asymétrique, il touche principalement la peau laxe (face, mains, régions génitales) mais peut aussi concerner les voies aériennes supérieures et le péritoine. Sa consistance est ferme et il ne prend pas le godet, la peau est de couleur normale, sans desquamation. Il n’est pas prurigineux mais peut induire une sensation de tension ou de brûlure. Ainsi, des éléments tels qu’une chronicité, une bilatéralité, un caractère inflammatoire, une fièvre, des lésions cutanées sur l’œdème (vésicule, placard inflammatoire) sont en défaveur de ce diagnostic. 

S’il est le plus souvent d’origine histaminique non allergique (95 %), ne nécessitant alors pas de prise en charge urgente, il faut savoir évoquer les causes histaminique allergique (4 %) et bradykinique (1 %), qui peuvent être plus graves. Toutefois, ni l’aspect clinique ni aucun examen complémentaire ne permettent de les distinguer en urgence ; pour orienter la prise en charge et adresser à un centre spécialisé, l’interrogatoire est ainsi fondamental (v. algorithme en figure ci-contre).

Angiœdème histaminique

Il s’agit d’une urticaire profonde (activation mastocytaire), associée ou non à une atteinte superficielle (dans 10 % des cas, l’angiœdème est isolé, sans plaques d’urticaire).

Rarement, il survient dans un contexte d’allergie, accompagné d’autres signes d’anaphylaxie, d’un érythème, souvent d’un prurit des mains, d’une diarrhée, d’une hypotension, après l’exposition à un facteur déclenchant (alimentaire, médicamenteux…). Sa prise en charge est urgente (adrénaline).

Mais, dans la majorité des cas, il n’est pas allergique. Récurrent, voire chronique (> 6 semaines, concernant 1 % de la population), il peut être induit – dermographisme, urticaire retardée à la pression, au froid ou au chaud, aquagénique, vibratoire, cholinergique après l’effort… – ou bien spontané. Ces derniers guérissent spontanément en 2 à 5 ans dans 80 % des cas. Le traitement de ces formes repose sur les antihistaminiques de 2e génération. Les corticoïdes sont contre-indiqués (effet rebond ; possibilité d’engendrer un Cushing iatrogène en cas de prise répétée). L’adrénaline n’est jamais nécessaire car l’angiœdème lié à l’urticaire chronique ne devient jamais asphyxique. En cas de symptômes récurrents, un traitement de fond est indiqué, également par antihistaminiques de 2e génération, pouvant aller jusqu’à 4 fois la dose ; en 2e ligne : omalizumab (300 mg 1 fois/mois, SC). La Société française de dermatologie a mis à disposition une fiche explicative sur l’urticaire chronique pour les patients, permettant de les rassurer sur le pronostic favorable de cette pathologie en dépit de son aspect impressionnant.

Angiœdème bradykinique

Rare mais potentiellement grave, il est déclenché par un excès de bradykinine, dû à un déficit quantitatif ou fonctionnel en C1 inhibiteur (C1Inh). Celui-ci peut être héréditaire ou acquis – secondaire à une pathologie (auto-immune, hématologique…) ou à une prise médicamenteuse, notamment d’IEC. Ces derniers sont la 1re cause d’angiœdèmes acquis, et ceux-ci concernent 0,5 à 0,7 % des patients prenant ces traitements.

L’angiœdème bradykinique peut toucher toutes les zones du corps : face, extrémités, organes génitaux, tronc, muqueuses. L’atteinte de la muqueuse intestinale peut provoquer des tableaux pseudo-occlusifs. L’atteinte de la muqueuse laryngée ou linguale, qui s’installe souvent progressivement, est un risque important en cas d’angiœdème de la face ; elle concerne 1 % des crises mais peut toucher 50 % des patients, avec un risque de mortalité élevé (25 %).

Facteurs déclenchants : stress et/ou émotions ; traumatismes (y compris gestes médicaux : soins dentaires, endoscopiques, intubation, chirurgie…) ou appuis prolongés, mouvements répétés ; infections ; menstruations, grossesse ; médicaments (outre les IEC, les gliptines, les inhibiteurs de mTOR, le racécadotril, les thrombolytiques, les œstrogènes et antiandrogènes…).

L’œdème dure souvent 2 à 3 jours, voire 5, contrairement à ceux dont la cause est histaminique, qui durent rarement plus de 24 heures. Si le diagnostic en urgence est clinique, il repose ensuite en consultation programmée sur l’anamnèse clinique et familiale, les examens biologiques et la recherche de mutations génétiques.

La prise en charge repose sur le traitement d’urgence de la crise grave (atteinte laryngée, intestinale, notamment), sur le traitement de fond en cas de crises fréquentes et sur la prophylaxie en cas d’événement programmé susceptible de déclencher une crise. Cette maladie est suivie par un médecin du centre de référence des angiœdèmes à kinine (CREAK).

D’après
Gobert D. Médecine interne – À quoi faut-il penser devant un œdème de la face ?  JNMG 13 octobre 2023.
À lire aussi :
Boccon-Gibod I, Fain O. Œdème de la face : quelles causes ? Rev Prat Med Gen 2010;24(847);665-6.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés