Objectifs
Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
Connaître les principes du traitement symptomatique des syndromes œdémateux.

Définition

Le terme « œdème » désigne toute accumulation anormale de liquide dans un compartiment de l’organisme. Dans la plupart des cas, cette accumulation est iso­tonique, localisée dans le compartiment extracellulaire et plus particulièrement dans son secteur interstitiel. L’inflation de ce secteur interstitiel peut se traduire par un œdème sous-cutané, par un épanchement des séreuses (épanchement pleural, ascite), voire un œdème viscéral (œdème pulmonaire). Le terme d’anasarque désigne l’association d’un œdème sous-cutané et d’épanchements séreux. En pratique clinique, le terme d’œdème utilisé sans qualificatif désigne l’expression sous-cutanée d’un œdème interstitiel de cause générale ou loco-régionale. L’œdème des membres inférieurs (OMI) est ainsi l’expression clinique d’un œdème inter­stitiel de cause générale ou locorégionale, s’exprimant préférentiellement au niveau des membres inférieurs en raison de l’orthostatisme.

Diagnostic positif

Le diagnostic positif d’OMI est clinique, habituellement facile ; il associe une augmentation de volume d’un ou des deux membres inférieurs, notamment au niveau du mollet et de la région rétromalléolaire, par l’effet de la gravité. Le signe du godet, à rechercher par palpation de la crête tibiale antérieure, correspond à une dépression du tissu sous-cutané qui persiste quelques secondes après une pression digitale (fig. 1). Cet œdème « mou » est caractéristique de l’excès de liquide dans le secteur interstitiel sous-cutané de cette zone, mais il n’est pas spécifique d’une cause particulière d’accumulation de ce fluide interstitiel. Les OMI sont le premier signe clinique de l’inflation hydrosodée. Lors d’une rétention hydrosodée importante, on peut observer des épanchements des séreuses dans la cavité péritonéale (ascite), dans la plèvre ou le péricarde (épanchements pleuraux et péricardiques).
Les OMI sont à différencier des augmentations de volume, où la composante tissulaire est majoritaire par rapport à la composante liquidienne (lymphœdème, lipœdème, hypertrophie tissulaire).

Physiopathologie

La présence d’OMI signe une accumulation de fluides issus initialement des capillaires sanguins, dans le tissu interstitiel environnant. Le tissu interstitiel est constitué essentiellement de fibres de collagène et de protéoglycanes qui impactent les mouvements des molécules contenues dans le liquide interstitiel. Le tissu interstitiel forme ainsi un gel dans lequel le liquide diffuse avec des échanges lents et progressifs, contrairement au secteur vasculaire où le mouvement et les échanges moléculaires sont rapides.
Les mouvements de liquides entre les secteurs vasculaires et l’interstitium résultent :
  • du gradient de pression hydrostatique entre le capillaire et l’interstitium ;
  • du gradient de pression oncotique entre le capillaire et l’interstitium ;
  • de la perméabilité capillaire ;
  • du drainage des fluides interstitiels, par le biais du système lymphatique.
En situation normale, la pression capillaire est de l’ordre de 30 mmHg alors que la pression interstitielle est le plus souvent faiblement négative. Le gradient hydro­statique conduit donc à un flux sortant du capillaire vers l’interstitium. Au contraire, le gradient oncotique avec une pression capillaire de 25 mmHg et une pression oncotique interstitielle d’environ 15 mmHg du fait de la concentration protéique plus faible de ce secteur conduit à un flux entrant de l’interstitium vers le capillaire. La somme de ces deux gradients est positive et conduit à un flux permanent de liquide du capillaire vers l’inter­stitium, qui est ensuite pris en charge par la circulation lymphatique pour réintégrer le système vasculaire. Ces mouvements de fluides sont isotoniques et n’affectent pas l’état du secteur intracellulaire.
En situation pathologique, l’augmentation du gradient hydrostatique, la diminution du gradient oncotique ou l’augmentation de la perméabilité vasculaire conduisent à une augmentation du flux liquidien dans l’interstitium avec, pour conséquence, une augmen­tation de la charge liquidienne prise en charge par la circulation lymphatique. Cette charge s’accompagne d’une dilatation progressive des vaisseaux lymphatiques qui retentit sur le fonctionnement des valves lymphatiques puis de la création d’un cercle vicieux de pérennisation de l’accumulation interstitielle de fluides et l’apparition d’œdèmes cliniques.
L’augmentation du gradient hydrostatique est observée lors de l’augmentation du volume intravasculaire ou de la diminution du retour veineux central, avec comme conséquence une hyperpression veineuse. La diminution du gradient oncotique est observée en cas d’hypoalbuminémie profonde ou d’augmentation de la pression oncotique interstitielle (situation spécifique du myxœdème et du lymphœdème).
Des œdèmes « physiologiques » – non pathologi­ques – se rencontrent lors de situations hormonales physiologiques, en particulier lors du syndrome prémenstruel et de la grossesse, de contraintes mécaniques (station debout prolongée, position assise prolongée, gêne mécanique abdominale au retour veineux lors de la grossesse) ou en cas de températures extérieures élevées.

Physiopathologie des œdèmes dans l’insuffisance cardiaque

Dans l’insuffisance cardiaque, les œdèmes résultent de la réponse rénale à l’hypoperfusion ou à la congestion veineuse rénale. L’insuffisance cardiaque gauche est principalement caractérisée par une diminution du volume artériel effectif circulant (VAEC) et par une hypo­perfusion rénale qui stimule l’axe rénine-angiotensine-aldostérone et conduit à une augmentation de la réabsorption sodée par le canal collecteur. L’inflation hydrosodée qui en résulte permet initialement de rétablir le VAEC mais conduit à une distension supplémentaire des cavités cardiaques et à une aggravation de la dysfonction cardiaque. L’insuffisance cardiaque droite conduit, quant à elle, à une congestion rénale qui induit par elle-même une diminution du débit sanguin rénal et une diminution de la natriurèse et, dans un cercle vicieux, aggrave la rétention hydrosodée et la congestion veineuse. Dans les deux situations, la base du traitement est d’augmenter la natriurèse par le biais des traitements diurétiques et plus récemment à l’aide des gliflozines (inhibiteurs du cotransport sodium-glucose de type 2, SGLT2) pour rétablir une volémie adéquate.

Physiopathologie des œdèmes dans le syndrome néphrotique

Dans le syndrome néphrotique, l’inflation hydrosodée interstitielle résulte de deux mécanismes distincts selon l’importance et la vitesse d’apparition de l’hypoalbuminémie. Au début de la perte d’albumine, les œdèmes résultent essentiellement d’une augmentation du gradient hydrostatique secondaire à une inflation hydrosodée générale. En effet, le syndrome néphrotique s’accompagne d’une stimulation directe de la réabsorption sodée dans le canal collecteur avec une stimulation de la Na +-K + ATPase et du canal sodé ENaC responsable de la réabsorption de sodium à ce niveau. Il n’y a, à ce stade, que très peu de modification du gradient oncotique, car la baisse de la pression oncotique capillaire est encore faible et compensée par une baisse parallèle de la pression oncotique interstitielle. Ce mécanisme est résumé sous appellation anglaise d’« overfilling ». Au contraire, lorsque la baisse de l’albumine est rapide et profonde, la baisse de la pression oncotique capillaire est plus importante que celle de la pression oncotique interstitielle, et il existe alors une modification importante du gradient oncotique qui conduit à un mouvement net de fluide vers l’interstitium. Ce mouvement provoque alors une diminution du VAEC qui stimule le système rénine-angiotensine-aldo­stérone et augmente la réabsorption sodée par le canal collecteur. Cette réabsorption sodée permet de limiter la baisse du volume effectif circulant. Cette situation est fréquente chez l’enfant dont le début du syndrome néphrotique est brutal avec une baisse rapide de l’albuminémie et explique le risque d’hypovolémie importante en cas de prescription de diurétiques. Ce mécanisme est repris sous l’appellation anglaise d’« underfilling ».

Physiopathologie des œdèmes dans les hépatopathies avancées

La physiopathologie de l’inflation hydrosodée dans les hépatopathies avancées est complexe et associe plusieurs mécanismes qui conduisent à une stimulation de la réabsorption sodée dans le rein. L’augmentation rapide de la pression portale, comme dans le syndrome de Budd-Chiari, a été associée à une augmentation directe de la réabsorption rénale du sodium par un mécanisme encore inconnu. L’hypertension portale chronique semble, en revanche, associée à une vasodilatation splanchnique et périphérique secondaire à une production accrue de NO. Cette vasodilatation périphérique et la séquestration splanchnique du volume sanguin circulant conduisent à une diminution du VAEC et à l’activation des systèmes neurohormonaux (système rénine-angiotensine-aldostérone), à une vasoconstriction rénale, et à une augmentation de la réabsorption sodée du canal collecteur. L’hypoalbuminémie, une éventuelle dysfonction cardiaque ou des saignements gastro-œsophagiens (varices œsophagiennes ou gastrite d’hypertension portale) peuvent aussi contribuer à la diminution du VAEC.

Diagnostic étiologique

L’enquête étiologique est indispensable pour rechercher la cause des OMI et proposer un traitement adapté.

OMI liés à une cause générale

Les trois principales causes générales d’OMI sont les cardiopathies, les néphropathies et les hépatopathies.
 

Œdèmes d’origine cardiaque

Il s’agit d’une des premières causes d’OMI en France. La plupart du temps, le diagnostic est facile lorsqu’il existe un antécédent de cardiopathie. L’examen clinique peut mettre en évidence :
  • des œdèmes mous, indolores, déclives (touchant les lombes si le patient est allongé, et des OMI en orthostatisme), prenant le godet, bilatéraux et symétriques, parfois associés à des épanchements des séreuses (plèvre) ;
  • des signes d’insuffisance ventriculaire droite (hépatomégalie, reflux hépatojugulaire, turgescence jugulaire, souffle d’insuffisance tricuspidienne à l’auscultation cardiaque) ;
  • des signes d’insuffisance ventriculaire gauche (crépitants à l’auscultation pulmonaire, bruit de galop à l’auscultation cardiaque).
Causes
Trois grands types de cause cardiaque sont décrits :
  • l’insuffisance cardiaque gauche à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) abaissée (insuffisance cardiaque systolique) ou conservée (insuffisance cardiaque diastolique) ;
  • l’insuffisance cardiaque droite (hypertension artérielle pulmonaire, cœur pulmonaire postembolique ou secondaire aux bronchopathies chroniques obstructives) ;
  • plus rarement, des œdèmes peuvent être observés lors d’une insuffisance cardiaque à débit cardiaque élevé (fistules artérioveineuses à haut débit, béribéri par carence en vitamine B1, ou hyperthyroïdie) ou en cas de péricardite chronique due à un épaississement péri­cardique responsable d’une constriction cardiaque et d’une adiastolie progressive.
Examens complémentaires
Le bilan à réaliser est le suivant :
  • dosage du peptide natriurétique NT-proBNP, dont l’élévation traduit la distension des cavités cardiaques ;
  • électrocardiogramme (ECG), qui ne montre pas de signes spécifiques de l’insuffisance cardiaque mais peut orienter vers une cause (cardiopathie ischémique, rythmique, etc.) ;
  • échocardiographie, qui est l’examen clé du bilan initial d’une insuffisance cardiaque avec l’analyse des éléments suivants :
  • géométrie des cavités gauches et fonction segmentaire et globale du ventricule gauche, mesure de la FEVG, évaluation des pressions de remplissage ventriculaire gauche, mesure du débit cardiaque ;
  • recherche de valvulopathies ;
  • géométrie des cavités droites et fonction du ventricule droit, évaluation des pressions pulmonaires, notamment de la pression artérielle pulmonaire systolique par mesure du flux d’insuffisance tricuspide, évaluation des pressions de remplissage ventriculaire droite ;
  • analyse du péricarde ;
  • coronarographie, pour rechercher une cause ischémique à l’insuffisance cardiaque ;
  • IRM cardiaque ; c’est un examen de plus en plus fréquemment demandé dans le bilan d’une insuffisance cardiaque pour l’évaluation cardiaque chez les patients anéchogènes ou porteurs de cardiomyopathie complexe, et pour la caractérisation du tissu myocardique, en particulier en cas de suspicion d’amylose cardiaque ;
  • radiographie thoracique de face ; elle reste un examen complémentaire utile en cas de suspicion d’insuffisance cardiaque et peut montrer une cardiomégalie, une surcharge vasculaire bilatérale, des épanchements pleuraux, voire des calcifications péricardiques en faveur d’une péricardite chronique ;
  • cathétérisme droit ; c’est l’examen clé lors dans la situation d’hypertension artérielle pulmonaire ; il permet de confirmer l’existence d’une hypertension pulmonaire pré- ou post-capillaire, ou la présence d’un dip-plateau lors des péricardites chroniques.
 

Œdèmes d’origine rénale

Les OMI sont l’une des caractéristiques cliniques des néphropathies d’origine glomérulaire ou lors de la diminution de l’excrétion sodée associée à la progression de la maladie rénale chronique. La présence d’œdèmes blancs, mous, indolores, bilatéraux doit impérativement conduire à rechercher une protéinurie très rapidement, par le biais d’une bandelette urinaire ou par un dosage du ratio protéinurie/créatininurie (RPC) sur un échantillon d’urine. L’existence d’une protéinurie significative (RPC > 300 mg/g) signe l’existence d’une anomalie de la barrière de filtration glomérulaire et doit faire réaliser un bilan plus large comprenant une échographie rénale, une mesure de la fonction rénale (créatinine plasmatique), de l’albuminémie et un examen cytobactériologique des urines (ECBU). L’ensemble du tableau syndromique oriente, dès les premiers examens, vers certaines lésions histologiques glomérulaires dont la présence est ensuite le plus souvent confirmée par une biopsie rénale (tableau 1).
 

Œdèmes d’origine hépatique

Ils s’observent au cours des cirrhoses, quelle qu’en soit la cause, et sont souvent associés à une ascite. La cirrhose a pour causes principales la consommation excessive d'alcool, le syndrome métabolique, les hépatites virales B ou C, des maladies génétiques comme l’hémochromatose ou la maladie de Wilson, ou des maladies dysimmunitaires comme les hépatites auto-immunes ou la cirrhose biliaire primitive. Le diagnostic est fondé sur l’histoire de la pathologie hépatique chronique, les signes d’insuffisance hépatique et d’hypertension portale (ictère, angiomes stellaires, hépatomégalie, ascite, circulation veineuse collatérale, signes d’insuffisance hépatocellulaire : baisse du TP, diminution du facteur V, hypoalbuminémie). Des OMI peuvent aussi s’observer en cas d’hypertension portale sans cirrhose au cours des thromboses des veines hépatiques (syndrome de Budd-Chiari) ou des maladies veino-occlusives associées à la greffe de cellules souches hématopoïétiques.
 

Œdèmes d’origine carentielle ou digestive

Des OMI peuvent survenir en cas de dénutrition profonde ou de pathologies digestives associées à une hypo­albuminémie. Cette hypoalbuminémie conduit à la formation d’œdèmes par les biais de la diminution de la pression oncotique. Dans les malnutritions prolongées protéino-énergétiques des enfants dans les pays en développement, les œdèmes sont constants et constituent le tableau clinique du kwashiorkor. Dans les pays développés, une carence d’apports peut être observée au cours de l’anorexie mentale, chez des patients gastrectomisés, après chirurgie bariatrique (sleeve, by-pass), chez des sujets âgés et isolés ou chez des personnes en grande précarité.
Les principales causes de gastro-entéropathies exsu­datives et malabsorption sont résumées dans le tableau 2. Elles peuvent être recherchées par la mesure de la clairance fécale de l’alpha-1-antitrypsine, qui est augmentée. La présence de carences martiale ou vitaminiques, voire d’une hypocalcémie, oriente vers une malabsorption digestive associée. Les explorations spécifiques (endoscopies, biopsies…) sont orientées par les autres éléments du tableau syndromique.
 

Œdèmes d’origine médicamenteuse

De nombreuses classes médicamenteuses sont responsable d’OMI, par des mécanismes physiopathologiques très divers (tableau 3).
 

Œdèmes par augmentation de la perméabilité capillaire

L’augmentation de la perméabilité capillaire est une situation rare, le plus souvent brutale, sous la forme de crises paroxystiques qui peuvent être généralisées ou locales. Dans les crises paroxystiques généralisées (syndrome d’hyperperméabilité capillaire idiopathique ou syndrome de Clarkson), les OMI sont un signe clinique secondaire en regard de la gravité du tableau clinique général qui est dominé par un état de choc sévère qui nécessite un remplissage massif pour maintenir l’hémodynamique. L’origine de cette pathologie est encore inconnue, mais il faut systématiquement rechercher une gammapathie monoclonale.

Causes des œdèmes locorégionaux

Il s’agit le plus souvent d’un œdème unilatéral plus ou moins localisé, éventuellement associé à des signes inflammatoires locaux. Il est lié à une augmentation du secteur interstitiel par déséquilibre des échanges entre le système vasculaire et l’interstitium.
 

Œdèmes locorégionaux sans signe inflammatoire, diagnostics différentiels

Œdèmes d’origine veineuse
Les principales causes en sont les suivantes :
  • les thromboses veineuses profondes : un œdème récent unilatéral non inflammatoire doit faire suspecter une thrombose veineuse profonde. Le diagnostic doit être confirmé par un écho-doppler veineux. Les D-dimères ont une bonne valeur prédictive négative. Un œdème ­bilatéral asymétrique peut être lié à une thrombose de la veine cave inférieure ;
  • l’insuffisance veineuse chronique : l’œdème d’origine veineuse est classé en stade C3 de la classification CEAP (C : clinique, fondée sur des signes objectifs ; E : étiologie ; A : anatomique des reflux et obstructions dans les veines superficielles, profondes et perforantes ; P : physiopathologie sous-jacente). L’œdème est le plus souvent bilatéral, parfois asymétrique, prédominant au niveau des chevilles sans atteinte de l’avant-pied (à la différence du lymphœdème), réversible après décubitus. Les signes et symptômes cliniques associés peuvent comprendre : sensation de jambes lourdes, télangiectasies/varicosités (stade C1), varices (stade C2), troubles trophiques cutanés (pigmentation, eczéma, hypodermite : dermite ocre) [C4], ulcère veineux cicatrisé (C5), ulcère veineux actif (C6). L’écho-doppler veineux est l’examen clé pour évaluer la fonction veineuse (reflux, dilatation veineuse, séquelles de thrombose veineuse profonde) ;
  • l’insuffisance veineuse post-thrombotique : le syndrome post-thrombotique correspond aux séquelles anatomiques et hémodynamiques de thromboses veineuses profondes ;
  • les compressions veineuses par un kyste poplité, compression de la veine iliaque commune gauche par l’artère iliaque commune droite et la surface osseuse du sacrum appelé syndrome de Cockett (ou de May-Thurner), compression des veines du petit bassin ou de la veine cave par des adénopathies, une tumeur, un anévrisme artériel ou une fibrose rétropéritonéale (médicaments, cancers…).
Lymphœdèmes
Il s’agit plutôt de diagnostics différentiels car ils sont en grande partie irréversibles.
Les lymphœdèmes sont des augmentations de volume d’un ou des deux membres inférieurs classés en formes primaires, d’origine constitutionnelle, parfois familiale (maladie de Milroy, liée à un variant pathogène du gène VEGFR-3), et en formes secondaires, en France essentiellement après traitements de cancers (pelviens : col utérin, endomètre, ovaires, prostate, anus, mélanome des membres inférieurs…) comprenant un ­curage ganglionnaire, parfois associé à de la radiothérapie (externe, curiethérapie). Dans le monde, la cause la plus fréquente des lymphœdèmes secondaires est la filariose lymphatique.
Avant de poser le diagnostic de lymphœdème primaire, il est nécessaire d’avoir éliminé toutes les autres causes d’œdèmes citées plus haut et un syndrome compressif abdominopelvien (scanner/IRM pelvien, TEP-scan). Il s’agit davantage d’un diagnostic différentiel que d’une cause d’œdème puisqu’il s’agit d’une maladie chronique, en grande partie irréversible, dont l’augmentation de volume est d’abord due à un épaississement cutané et une accumulation de tissu adipeux induits par la stase lymphatique, qui est minoritaire (fig. 2). Dans le lymphœdème primaire, l’atteinte débute par le pied avec des formes bilatérales sous-gonales et des formes unilatérales touchant le membre en totalité. Le signe de Stemmer est pathognomonique du lymphœdème : il s’agit de l’impossibilité de plisser la peau de la face dorsale, ou de la base du deuxième orteil (fig. 3).
Dans les lymphœdèmes secondaires, l’atteinte peut être uni- ou bilatérale (le traitement du cancer étant souvent médian), asymétrique et ne pas toucher le pied.
Le diagnostic est habituellement clinique, avec l’anamnèse, l’examen clinique, mais dans les formes primaires, la lymphoscintigraphie des membres inférieurs peut confirmer le diagnostic. Une injection intra­dermique de colloïdes d’albumine marqués au Tc99m est faite dans le premier espace interdigital des deux pieds avec des images prises après trente minutes de marche. Elle permet d’analyser la fixation ganglionnaire inguinale (absence/diminution), de voir un éventuel reflux sous-dermique (dermal backflow) et un passage dans le réseau lymphatique profond par la visualisation de ganglions poplités (normalement non visibles).
La principale complication des lymphœdèmes est la dermohypodermite bactérienne non nécrosante (érysipèle).
Lipœdème
Il s’agit d’une entité clinique très mal connue, correspondant à une répartition anormale, symétrique de tissu adipeux des hanches jusqu’aux genoux, voire aux chevilles (fig. 4). Il a des caractéristiques spécifiques : survenue quasi exclusive chez les femmes en situation d’obésité, histoire familiale identique dans 40 % des cas, douleurs cutanées spontanées ou lors d’une stimulation minime, ecchymoses spontanées, œdèmes après orthostatisme ou temps chaud, peu d’effet de la perte de poids sur l’aspect des membres inférieurs, absence d’atteinte du pied ou de signe de Stemmer.
Myxœdème prétibial
Il est lié à une hyperthyroïdie, et quasi exclusivement, à la maladie de Basedow, essentiellement sous la forme d’un œdème prenant peu le godet, mais parfois sous la forme pseudotumorale en rapport avec des dépôts de mucine dans les tissus. Là encore, il s’agit plutôt d’un diagnostic différentiel ; les lésions sont irréversibles, même après traitement de l’hyperthyroïdie.
Syndromes hypertrophiques
Il s’agit de diagnostics différentiels et de maladies rares, avec des mutations génétiques somatiques ou en mosaïque (post-zygotique) pour la plupart, qui entraînent une augmentation d’un ou plusieurs segments de membres. Le diagnostic est posé dans l’enfance. Il n’y a pas d’œdèmes mais une augmentation tissulaire (peau, muscle, os…). Parmi ces maladies rares, l’hypertrophie d’un ou plusieurs membres, souvent associée à d’autres anomalies cliniques, fait partie des syndromes hypertrophiques liés au gène PIK3CA (PIK3CA-related overgrowth spectrum, PROS) incluant le syndrome CLOVES (Congenital Lipomatous Overgrowth, Vascular malformations, Epidermal nevi, Skeletal and spinal anomalies) et le syndrome de Klippel-Trenaunay.
 

Œdèmes locorégionaux avec signes inflammatoires

Cinq causes sont décrites :
  • la dermohypodermite bactérienne non nécrosante, avec des signes généraux de survenue brutale (fièvre élevée, frissons), puis rougeur, douleur, augmentation de volume du membre inférieur, avec signes cutanés inflammatoires correspond au tableau clinique d’une grosse jambe rouge fébrile. Le terme d’érysipèle est associé au streptocoque, mais les dermohypodermites peuvent être liées à d’autres agents bactériens comme le staphylocoque ou les germes anaérobies ; l’arthrite : un œdème périarticulaire peut accompagner les arthrites, d’origine infectieuse, microcristalline ou auto-immune ;
  • le syndrome RS3PE (remittive seronegative symmetrical synovitis with pitting edema) ou polyarthrite aiguë œdémateuse bénigne récidivante du sujet âgé ; il associe des arthrites prédominant au niveau des poignets et des mains, un syndrome inflammatoire, une évolution par poussées. L’évolution est favorable avec une petite dose de corticoïdes et il est plus fréquemment observé chez les hommes de plus de 65 ans ;
  • le syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) : la face chaude de l’algodystrophie se caractérise par un œdème d’aspect pseudo-inflammatoire avec une augmentation de la chaleur locale, une peau luisante et rouge et une hyperhidrose, alors que lors de la phase froide l’œdème est froid ;
  • la myonécrose qui correspond à une augmentation de la pression à l’intérieur d’un compartiment fermé par les aponévroses inextensibles compromettant la vitalité musculaire, observée principalement au cours du syndrome des loges.

Bilan et attitude thérapeutique

L’orientation étiologique est souvent obtenue par les données de l’interrogatoire et de l’examen physique. Le choix des examens complémentaires (tableau 4) dépend de cette orientation, avec la recherche initiale des causes les plus fréquentes. Compte tenu de la multi­plicité des situations cliniques, il est difficile de détailler le traitement étiologique de tous les œdèmes des membres inférieurs. Le traitement symptomatique de la rétention hydrosodée excessive est fondé sur un régime peu salé et l’utilisation de diurétiques dont la posologie est adaptée à la natriurèse (natriurèse cible de 180 mmol/24 heures pour obtenir une diminution des œdèmes d’environ 1 L).

Conclusion

Le diagnostic positif des OMI est un diagnostic clinique habituellement facile. Le diagnostic étiologique est plus difficile et fait appel aux données de l’interrogatoire, de l’examen clinique et des examens complémentaires orientés. Les causes sont nombreuses et multiples, avec au premier plan l’insuffisance cardiaque, la cirrhose décompensée, les syndromes néphrotiques, les thromboses veineuses périphériques et l’insuffisance veineuse chronique. En général, les OMI isolés ne mettent pas en jeu le pronostic vital, excepté en cas d’épanchements ou œdèmes viscéraux ou d’une maladie thromboembolique. Il est aussi fréquent que plusieurs causes d’OMI soient associées chez un même patient.
 
Points forts
Œdèmes des membres inférieurs localisés ou généralisés

Le terme « œdème » désigne toute accumulation anormale de liquide dans un compartiment de l’organisme, plus particulièrement dans son secteur interstitiel.

Le diagnostic positif d’œdème des membres inférieurs est clinique, avec la présence du signe du godet.

Il existe des causes générales et loco-régionales.

Plusieurs mécanismes physiologiques, parfois intriqués, sont en cause dans les œdèmes des membres inférieurs.

Un interrogatoire et un examen clinique permettent d’orienter le diagnostic.

Il existe quatre principales causes : cardiopathies, néphropathies, hépatopathies, insuffisance veineuse chronique.

Parmi les autres causes plus rares une hypoalbuminémie (carentielle, perte digestive) ou une cause médicamenteuse est à rechercher en premier lieu.

Les principaux diagnostics différentiels des œdèmes des membres inférieurs chroniques sont les lymphœdèmes et les lipœdèmes.

Le traitement est avant tout celui de la cause, le plus souvent associé à un régime peu salé, à un diurétique et à des compressions élastiques.

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