La grossesse entraîne des modifications oculaires physiologiques qu’il faut savoir différencier des retentissements pathologiques. Ces derniers comportent à la fois l’aggravation des maladies oculaires préexistantes et la survenue de novo de pathologies ophtalmologiques spécifiques de cette période.

Modifications physiologiques

Le mélasma, chloasma ou encore « masque de grossesse », est une augmentation de la pigmentation périoculaire. Touchant 90 % des femmes,1 elle est bénigne et réversible.
D’autres manifestations physiologiques sans gravité peuvent survenir, tels que :
– un syndrome sec, marqué par une diminution de la sécrétion de larmes, entraînant parfois une sensation de corps étranger (« sable ») douloureuse et/ou une gêne à la lumière ou face aux écrans. Une intolérance aux lentilles de contact est possible (privilégier le port de lunettes) ;
– une diminution de la pression intra- oculaire (PIO) ;
– un ptosis bilatéral (affaissement des paupières). il traduit le relâchement musculaire global observé pendant la grossesse. De la même manière, les modifications hormonales s’accompagnent occasionnellement d’un œdème palpébral discret.
Une baisse d’acuité visuelle affectant la vision de loin est rapportée, du fait d’un œdème de la cornée. Cette myopisation minime (< 1 dioptrie) se résout en quelques semaines après l’accouchement.2 Une presbytie transitoire est également possible du fait d’une accommodation moins performante. Les muscles des corps ciliaires, responsables des mouvements du cristallin, sont moins toniques. Il n’est pas recommandé de changer de correction optique (lunettes, lentilles de contact) et encore moins d’entreprendre une chirurgie réfractive cornéenne. On conseille d’attendre 3 mois post-partum avant de faire contrôler la vision.
L’accouchement par voie basse a longtemps été suspecté d’être un facteur de risque de décollement rétinien chez les patientes ayant une myopie forte. Les efforts d’expulsion étaient censés augmenter la PIO, générant des modifications mécaniques entre le vitré et la rétine. Ces dernières étaient incriminées dans les déchirures puis le décollement de rétine. Afin de réduire ce risque, une césarienne était conseillée.
Les données actuelles de la littérature permettent de conclure qu’il n’y a pas lieu de suivre ces anciennes recommandations. Les lésions rétiniennes périphériques prédisposant au décollement de rétine ne s’aggravent pas pendant la grossesse ni au cours d’un accouchement par voie basse.3 Ainsi, il n’y a à plus aucune contre-indication à un accouchement naturel chez les patientes myopes (quel que soit le degré) et même en cas d’antécédent de décollement de rétine. En revanche, les efforts de poussée en expiration bloquée sont parfois à l’origine d’une hémorragie sous-conjonctivale sans baisse d’acuité visuelle et sans gravité.
Un examen ophtalmologique systématique en prévision d’un accouchement n’est pas justifié chez la femme hypermétrope, emmétrope ou faiblement myope. Pour celles fortement myopes, le suivi ophtalmologique habituel n’est pas modifié.
Un fond d’œil n’est indiqué qu’en cas de symptômes visuels : myodésopsies (« mouches volantes » ou corps flottants du vitré), phosphènes [éclairs lumineux], baisse d’acuité visuelle).

Retentissements pathologiques

Aggravation d’une maladie préexistante

La prévalence mondiale du diabète est en progression régulière et s’accompagne logiquement d’une augmentation du nombre de cas découverts parmi les femmes enceintes.
Le diabète gestationnel ne nécessite aucun suivi ophtalmologique systématique car, dans la majorité des cas, il n’y a pas de retentissement oculaire.
Il faut cependant se méfier des diabètes étiquetés à tort comme gestationnels et qui sont en réalité des types 2 méconnus. Leur part croissante chez les patientes enceintes génère plus d’inquiétude, car la grossesse est un facteur de risque avéré et indépendant d’apparition et de progression de la rétinopathie diabétique.4
Cette dernière progresse majoritairement au cours des 2 premiers trimestres, avec un pic de sévérité à la fin du deuxième (fig. 1). Chez la femme enceinte, la rétinopathie diabétique est aussi aggravée par une HTA, un mauvais contrôle glycémique, une équilibration du diabète trop rapide, un diabète ancien et un stade sévère en début de grossesse. Elle peut aboutir à une cécité : cette période à risque doit donc être encadrée avec soin.
Les recommandations insistent sur la nécessité de programmer le projet de maternité en veillant à ce que l’équilibre glycémique précède la conception. La surveillance est pluridisciplinaire (médecin généraliste, gynécologue, endocrinologue, ophtalmologiste). Un fond d’œil est conseillé à chaque trimestre chez la patiente diabétique. Cependant, la fréquence du suivi dépend du stade de rétinopathie diabétique initial et des facteurs de risque associés : elle est mensuelle dans les formes à risque et moindre dans la période post-partum car le risque de progression s’atténue au- delà des 12 mois suivant l’accouchement. En général, un fond d’œil est réalisé 6 mois après la délivrance.
Une photocoagulation laser pan- rétinienne peut être réalisée chez une patiente enceinte si la rétinopathie diabétique s’aggrave. Elle est possible dès le stade non proliférant sévère. En cas d’œdème maculaire, il est en général recommandé d’attendre l’accouchement avant de traiter. Les thérapeutiques habituelles (anti-VEGF injectés dans le vitré) sont en effet contre-indiquées durant la grossesse.
Concernant la maladie de Basedow, 40% des patients ont une atteinte ophtalmologique, le plus souvent réduite à un syndrome d’oeil sec ; 3 à 5 % d’entre eux sont sujets à une forme plus sévère, l’ophtalmopathie basedowienne.
S’il est habituel de dire que les signes cliniques de la maladie de Basedow connaissent une pause durant la grossesse puis ré- augmentent en post-partum, cela n’a pas été étudié spécifiquement à propos de l’atteinte ophtalmologique : la littérature sur le sujet ne permet pas d’apporter de conclusions ou de conseils particuliers.

Lésions oculaires spécifiques

Une rétinopathie de Valsalva peut survenir durant la grossesse et l’accouchement, lors d’efforts à glotte fermée (manœuvre homonyme). Elle provient d’une brutale augmentation de la pression veineuse intraoculaire, aboutissant possiblement à une rupture de capillaires rétiniens. Classiquement, cette pathologie se manifeste sous la forme d’une hémorragie maculaire rétinienne ou rétrohyaloïdienne (entre le vitré et la rétine) [fig. 2]. L’abstention thérapeutique et la surveillance sont souvent recommandées devant une évolution spontanément favorable.
La prééclampsie complique 2 à 8 % des grossesses. Ses critères diagnostiques sont doubles :
– une HTA gravidique, c’est-à-dire une PA systolique ≥ 140 mmHg ou une PA diastolique ≥ 90 mmHg survenant après 20 semaines d’âge gestationnel ;
– une protéinurie > 0,3 g/24 heures.
Des symptômes visuels, fréquents, surviennent chez 25 % des patientes.5 Les complications oculaires sont essentiellement la rétinopathie hypertensive, et dans une moindre mesure l’hémorragie du vitré ou le décollement de rétine exsudatif (non lié à une déchirure rétinienne). Ces lésions disparaissent dans la majorité des cas avec la résolution de la prééclampsie et la baisse de la PA. Leur traitement est donc étiologique.
Références
1. Marcos-Figueiredo P, Marcos-Figueiredo A, Meneres P, Braga J. Ocular changes during pregnancy. Rev Bras Ginecol Obstet 2018;40:32-42.
2. Goldich Y, Cooper M, Barkana Y, et al. Ocular anterior segment changes in pregnancy. J Cataract Refract Surg 2014;40:1868-71.
3. Landau D, Seelenfreund MH, Tadmor O, Silverstone BZ, Diamant Y. The effect of normal childbirth on eyes with abnormalities predisposing to rhegmatogenous retinal detachment. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 1995;233:598-600.
4. Morrison JL, Hodgson LA, Lim LL, Al-Qureshi S. Diabetic retinopathy in pregnancy: a review. Clin Exp Ophthalmol 2016;44:321-34.
5. Abu Samra K. The eye and visual system in the preeclampsia/eclampsia syndrome: What to expect? Saudi J Ophthalmol 2013;27:51-3.

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essentiel

La grossesse est une période à risque pour la patiente diabétique.

Le dépistage rétinien est alors systématique, en début de grossesse puis au minimum à chaque trimestre.

Dans toutes les autres situations, une consultation ophtalmologique n’est indiquée qu’en cas de symptomatologie visuelle.