Les principaux médicaments responsables d’effets indésirables ophtalmologiques
Quels sont les effets indésirables les plus graves et comment les reconnaître ?
Toxidermies, une urgence !
Il s’agit d’une urgence vitale et fonctionnelle ophtalmologique. Le patient doit bénéficier d’une surveillance journalière au sein d’une structure adaptée (le plus souvent en réanimation médicale).
Tout médicament nouvellement introduit peut entraîner une toxidermie. Ceux particulièrement impliqués sont les suivants : allopurinol, sulfamides anti-infectieux (cotrimoxazole, sulfadiazine), névirapine, antiépileptiques (carbamazépine, phénytoïne, lamotrigine, phénobarbital…), anti-inflammatoires non stéroïdiens (oxicams)…
Glaucome aigu par fermeture de l’angle : risque d’atteinte du nerf optique
Il s’agit d’une urgence ophtalmologique majeure, puisque le risque d’atteinte du nerf optique en lien avec l’hypertonie intraoculaire est important.
Tout médicament provoquant une mydriase peut en être responsable, essentiellement : bêta-2-mimétiques (salbutamol), lévodopa, médicaments à effet atropinique (atropine, scopolamine, imipraminiques, néfopam, mémantine, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine…), médicaments à effet sympathomimétique (adrénaline, noradrénaline, naphazoline, méthylphénidate, bupropion…), topiramate, etc.2
Traitements nécessitant une surveillance ophtalmologique systématique
Antipaludéens de synthèse : des complications irréversibles
Les patients sous antipaludéens de synthèse doivent bénéficier d’un suivi ophtalmologique rapproché : à l’instauration du traitement puis annuellement à partir de la cinquième année de traitement (effet dose-dépendant).8
Plusieurs facteurs de risque de toxicité rétinienne des antipaludéens de synthèse sont connus : une durée de traitement supérieure à cinq ans, molécule utilisée (la chloroquine est davantage responsable de complications que l’hydroxychloroquine), âge du patient (plus de 65 ans), insuffisance rénale ou hépatique, dose cumulée supérieure à 1 000 g et dose journalière supérieure à 400 mg, rétinopathie préexistante.
Antituberculeux : risque de cécité
Les patients sous antituberculeux doivent bénéficier d’un suivi ophtalmologique dont la fréquence dépend des molécules :9
- pour l’éthambutol, examen ophtalmologique initial (préthérapeutique ou dans la première semaine de traitement), à un mois, puis tous les deux mois si le traitement dure plus de deux mois, ou mensuel si le traitement dure moins de deux mois ou s’il existe des facteurs de risque de neuropathie ;
- pour l’isoniazide, bilan ophtalmologique seulement en cas de plainte fonctionnelle du patient (baisse d’acuité visuelle, altération de la vision des couleurs ou du champ visuel) ;
- pour le linézonide, bilan initial (préthérapeutique ou dans la première semaine de traitement) puis mensuel.
Plusieurs facteurs de risque de neuropathies optiques toxiques aux antituberculeux sont identifiés :1 insuffisance rénale, âge (plus de 65 ans), durée de traitement supérieure à deux mois, dose supérieure à 20 mg/kg/j, intoxication alcoolo-tabagique.
Même s’ils sont rarement prescrits en médecine générale, le médecin traitant est parfois amené à les renouveler : il est alors important de s’assurer qu’un suivi ophtalmologique approprié est bien effectué.
Corticoïdes : risque pour toutes les galéniques
- sous forme de collyre (dexaméthasone [Tobradex, Dexafree, Chibro-Cadron], fluorométholone [Flucon], sulfate sodique d’hydrocortisone [Softacort], etc.) ;
- sous forme de pommade (à base de dexaméthasone [Sterdex, Frakidex, Maxidrol], acétonide de triamcinolone [Cidermex]) ;
- sous forme de crème (désonide [Tridésonit, Locapred], bétaméthasone [Diprolène, Diprosone]…) ;
- sous forme inhalée (à base de béclométasone [Bécotide, Innovair], à base de fluticasone [Flixotide, Sérétide], à base de budésonide [Pulmicort, Symbicort]…) ;
- ou encore administrés par voie générale.
Les formes locales sont contre-indiquées en cas de suspicion d’atteinte herpétique ou de kératite microbienne (
Cataracte
Les corticoïdes (par voie générale, inhalés, instillés ou en application cutanée) peuvent accélérer la survenue d’une cataracte, le plus souvent sous-capsulaire postérieure. Celle-ci se traduit par une baisse d’acuité visuelle progressive. Il s’agit d’un effet indésirable fréquent mais le plus souvent acceptable en matière de bénéfice-risque.Choriorétinite séreuse centrale (CRSC)
Les corticoïdes peuvent également induire une baisse d’acuité visuelle associée à des métamorphopsies et des scotomes, en lien avec des décollements sous-rétiniens. Cette atteinte, réversible à l’arrêt des facteurs favorisants, peut cependant entraîner des cicatrices rétiniennes.Glaucome
Les corticoïdes sont à l’origine d’une élévation de la pression intra-oculaire, pouvant aboutir à un glaucome secondaire cortico-induit (Au total, les corticoïdes en collyre ou pommade ophtalmologique ne devraient pas être prescrits sans examen ophtalmologique préalable (en dehors du chalazion), d’autant plus que leurs indications sont en réalité restreintes (uvéite antérieure aiguë, rosacée oculaire, prévention de l’inflammation postopératoire…).
Cas particuliers des anticancéreux et immunomodulateurs
Que dire à vos patients ?
• Ne pas hésiter à consulter un ophtalmologiste en cas d’œil rouge avec douleur ou baisse d’acuité visuelle ou en cas d’apparition de symptômes visuels après l’introduction d’un traitement systémique.
• Les collyres ne sont pas des médicaments anodins : l’utilisation inappropriée de certains d’entre eux par automédication peut entraîner des séquelles visuelles irréversibles.
• Des informations utiles peuvent être trouvées sur le site https://www.ophtalmoclic.fr/
Prudence avec les antibiotiques locaux !
Les antibiotiques locaux (azithromycine [Azyter], tobramycine [Tobrex, Tobrabact], ciprofloxacine [Ciloxan], ofloxacine [Quinofree, Monoox], rifamycine…) ne doivent pas être utilisés par excès, car le risque de sélection de souches résistantes est important.
En cas de doute diagnostique, il est raisonnable de leur préférer les collyres antiseptiques (bromure de céthexonium [Monosept], dichlorhydrate de picloxydine [Vitabact], di-iséthionate d’hexamidine [Désomédine]…) et d’adresser les patients en consultation d’ophtalmologie.
2. Rousseau A, Labetoulle M. Atteintes ophtalmologiques des traitements systémiques (hors neuropathies optiques). EMC - Ophtalmol 2015;12(3).
3. Mgarrech M, Labetoulle M. Sécheresse oculaire secondaire à une prise médicamenteuse. Cah Ophtalmol 2012;(163):51‑2.
4. Rousseau A, Labetoulle M. Œil et médicaments : les nouveautés à connaître. Réal Ophtalmol 2017;(240):65‑6.
5. Tuil E, De Nicola R, Mann F, et al. Ophtalmologie en urgence. Paris: Elsevier Masson, 2018.
6. Arcani R, Pellerey M, Rouby F, et al. Un effet indésirable rare de l’amiodarone : la neuropathie optique. Rev Med Interne 2019;40(12):826‑30.
7. Trad S, Bonnet C, Monnet D. Uvéite médicamenteuse et effets indésirables des médicaments en ophtalmologie. Rev Med Interne 2017;39(9):699-710.
8. Couturier A, Giocanti-Aurégan A, Dupas B, et al. Mise à jour des recommandations sur la toxicité rétinienne des antipaludéens de synthèse. J Fr Ophtalmol 2017;793‑800.
9. Orssaud C, Nguyen DT, Rouzaud C, et al. Dépistage et prévention des neuro- pathies optiques toxiques aux anti-mycobactériens : proposition de recommandations. J Fr Ophtalmol 2022;(45): 495‑503.
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