De nombreux médicaments peuvent entraîner des effets indésirables ophtalmologiques, dont la sévérité varie selon le type d’atteinte.

Les principaux médicaments responsables d’effets indésirables ophtalmologiques

Le tableau 1 regroupe les principales molécules en cause (les plus importantes à connaître dans le cadre de la pratique de la médecine générale y sont indiquées en gras).1-7

Quels sont les effets indésirables les plus graves et comment les reconnaître ?

Certaines atteintes ophtalmiques peuvent relever d’une urgence fonctionnelle, voire vitale ; elles nécessitent une prise en charge dans les heures suivant le diagnostic. Il est donc indispensable de savoir les repérer.

Toxidermies, une urgence !

Sur le plan ophtalmologique, les toxidermies se manifestent initialement par une conjonctivite aiguë, éventuellement associée à une kératite ou à des ulcères cornéens. Les complications tardives sont des remaniements palpébraux, une sécheresse et une inflammation oculaire intense parfois responsables d’une opacification cornéenne séquellaire (fig. 1A) ou encore de brides conjonctivales (fig. 1B).1
Il s’agit d’une urgence vitale et fonctionnelle ophtalmologique. Le patient doit bénéficier d’une surveillance journalière au sein d’une structure adaptée (le plus souvent en réanimation médicale).
Tout médicament nouvellement introduit peut entraîner une toxidermie. Ceux particulièrement impliqués sont les suivants : allopurinol, sulfamides anti-infectieux (cotrimoxazole, sulfadiazine), névirapine, antiépileptiques (carbamazépine, phénytoïne, lamotrigine, phénobarbital…), anti-inflammatoires non stéroïdiens (oxicams)…

Glaucome aigu par fermeture de l’angle : risque d’atteinte du nerf optique

La crise aiguë de glaucome par fermeture de l’angle se manifeste par une douleur intense, brutale, associée à des céphalées, des nausées, voire des vomissements, ainsi qu’à une baisse d’acuité visuelle et une mydriase aréactive.
Il s’agit d’une urgence ophtalmologique majeure, puisque le risque d’atteinte du nerf optique en lien avec l’hypertonie intra­oculaire est important.
Tout médicament provoquant une mydriase peut en être responsable, essentiellement : bêta-2-mimétiques (salbutamol), lévodopa, médicaments à effet atropinique (atropine, scopolamine, imipraminiques, néfopam, mémantine, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine…), médicaments à effet sympathomimétique (adrénaline, noradrénaline, naphazoline, méthylphénidate, bupropion…), topiramate, etc.2

Traitements nécessitant une surveillance ophtalmologique systématique

Antipaludéens de synthèse : des complications irréversibles

Les antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine [Plaquenil], chloroquine [Nivaquine]) peuvent être à l’origine d’une maculopathie irréversible avec séquelles sur l’acuité visuelle centrale. Cette atteinte est cependant évitable si les signes précoces – initialement détectables sur le champ visuel – sont dépistés.
Les patients sous antipaludéens de synthèse doivent bénéficier d’un suivi ophtalmologique rapproché : à l’instauration du traitement puis annuellement à partir de la cinquième année de traitement (effet dose-dépendant).8
Plusieurs facteurs de risque de toxicité rétinienne des antipaludéens de synthèse sont connus : une durée de traitement supérieure à cinq ans, molécule utilisée (la chloroquine est davantage responsable de complications que l’hydro­xychloroquine), âge du patient (plus de 65 ans), insuffisance rénale ou hépatique, dose cumulée supérieure à 1 000 g et dose journalière supérieure à 400 mg, rétinopathie préexistante.

Antituberculeux : risque de cécité

Les antituberculeux peuvent être responsables d’une neuropathie optique irréversible avec séquelles sur le champ visuel, voire cécité complète. Cette atteinte est évitable si les signes précoces en sont dépistés.
Les patients sous antituberculeux doivent bénéficier d’un suivi ophtalmologique dont la fréquence dépend des molécules :9
- pour l’éthambutol, examen ophtalmologique initial (préthérapeutique ou dans la première semaine de traitement), à un mois, puis tous les deux mois si le traitement dure plus de deux mois, ou mensuel si le traitement dure moins de deux mois ou s’il existe des facteurs de risque de neuropathie ;
- pour l’isoniazide, bilan ophtalmologique seulement en cas de plainte fonctionnelle du patient (baisse d’acuité visuelle, altération de la vision des couleurs ou du champ visuel) ;
- pour le linézonide, bilan initial (préthérapeutique ou dans la première semaine de traitement) puis mensuel.
Plusieurs facteurs de risque de neuropathies optiques toxiques aux antituberculeux sont identifiés :1 insuffisance rénale, âge (plus de 65 ans), durée de traitement supérieure à deux mois, dose supérieure à 20 mg/kg/j, intoxication alcoolo-tabagique.
Même s’ils sont rarement prescrits en médecine générale, le médecin traitant est parfois amené à les renouveler : il est alors important de s’assurer qu’un suivi ophtalmologique approprié est bien effectué.

Corticoïdes : risque pour toutes les galéniques

Les corticoïdes peuvent induire une hyper­tonie intra-oculaire et des atteintes ophtalmologiques plus ou moins sévères,1 quelle que soit leur voie d’utilisation :
- sous forme de collyre (dexaméthasone [Tobradex, Dexafree, Chibro-Cadron], fluorométholone [Flucon], sulfate sodique d’hydrocortisone [Softacort], etc.) ;
- sous forme de pommade (à base de dexaméthasone [Sterdex, Frakidex, Maxidrol], acétonide de triamcinolone [Cidermex]) ;
- sous forme de crème (désonide [Tridésonit, Locapred], bétaméthasone [Diprolène, Diprosone]…) ;
- sous forme inhalée (à base de béclométasone [Bécotide, Innovair], à base de fluticasone [Flixotide, Sérétide], à base de budésonide [Pulmicort, Symbicort]…) ;
- ou encore administrés par voie générale.
Les formes locales sont contre-­indiquées en cas de suspicion d’atteinte herpétique ou de kératite microbienne (fig. 2).
 

Cataracte

Les corticoïdes (par voie générale, inhalés, instillés ou en application cutanée) peuvent accélérer la survenue d’une cataracte, le plus souvent sous-capsulaire postérieure. Celle-ci se traduit par une baisse d’acuité visuelle progressive. Il s’agit d’un effet indésirable fréquent mais le plus souvent acceptable en matière de bénéfice-risque.
 

Choriorétinite séreuse centrale (CRSC)

Les corticoïdes peuvent également induire une baisse d’acuité visuelle as­sociée à des métamorphopsies et des scotomes, en lien avec des décollements sous-rétiniens. Cette atteinte, réversible à l’arrêt des facteurs favorisants, peut cependant entraîner des cicatrices rétiniennes.
 

Glaucome

Les corticoïdes sont à l’origine d’une élévation de la pression intra-oculaire, pouvant aboutir à un glaucome secondaire cortico-­induit (fig. 3 et 4). La particularité de cette atteinte est qu’elle évolue insidieusement et reste souvent asymptomatique. Il est donc indispensable de s’enquérir des antécédents éventuels d’hypertension intra-­oculaire avant de prescrire de tels traitements, et de s’assurer qu’un contrôle régulier est réalisé chez un ophtalmologiste en cas de prescription prolongée.
Au total, les corticoïdes en collyre ou pommade ophtalmologique ne devraient pas être prescrits sans examen ophtalmologique préalable (en dehors du chalazion), d’autant plus que leurs indications sont en réalité restreintes (uvéite antérieure aiguë, rosacée oculaire, prévention de l’inflammation postopératoire…).

Cas particuliers des anticancéreux et immunomodulateurs

Même s’ils sont rarement prescrits en médecine générale, il est important d’être informé des effets indésirables ophtalmologiques potentiels de ces molécules afin de pouvoir adresser les patients de manière appropriée (tableau 2).4,5,7,10,11 Leur arrêt éventuel reste cependant du res­sort du prescripteur, en pesant le rapport bénéfice-risque.
Encadre

Que dire à vos patients ?

• Ne pas hésiter à consulter un ophtalmologiste en cas d’œil rouge avec douleur ou baisse d’acuité visuelle ou en cas d’apparition de symptômes visuels après l’introduction d’un traitement systémique.

• Les collyres ne sont pas des médicaments anodins : l’utilisation inappropriée de certains d’entre eux par automédication peut entraîner des séquelles visuelles irréversibles.

• Des informations utiles peuvent être trouvées sur le site https://www.ophtalmoclic.fr/

Encadre

Prudence avec les antibiotiques locaux !

Les antibiotiques locaux (azithromycine [Azyter], tobramycine [Tobrex, Tobrabact], ciprofloxacine [Ciloxan], ofloxacine [Quinofree, Monoox], rifamycine…) ne doivent pas être utilisés par excès, car le risque de sélection de souches résistantes est important.

En cas de doute diagnostique, il est raisonnable de leur préférer les collyres antiseptiques (bromure de céthexonium [Monosept], dichlorhydrate de picloxydine [Vitabact], di-iséthionate d’hexamidine [Désomédine]…) et d’adresser les patients en consultation d’ophtalmologie.

Références
1. Souteyrand G, Thumann G, Chronopoulos A. Toxicité médicamenteuse et ophtalmologie. Rev Med Suisse 2015; (499):2374‑80.
2. Rousseau A, Labetoulle M. Atteintes ophtalmologiques des traitements systémiques (hors neuropathies optiques). EMC - Ophtalmol 2015;12(3).
3. Mgarrech M, Labetoulle M. Sécheresse oculaire secondaire à une prise médica­menteuse. Cah Ophtalmol 2012;(163):51‑2.
4. Rousseau A, Labetoulle M. Œil et médi­caments : les nouveautés à connaître. Réal Ophtalmol 2017;(240):65‑6.
5. Tuil E, De Nicola R, Mann F, et al. Ophtalmologie en urgence. Paris: Elsevier Masson, 2018.
6. Arcani R, Pellerey M, Rouby F, et al. Un effet indésirable rare de l’amiodarone : la neuropathie optique. Rev Med Interne 2019;40(12):826‑30.
7. Trad S, Bonnet C, Monnet D. Uvéite ­médicamenteuse et effets indésirables des médicaments en ophtalmologie. ­ Rev Med Interne 2017;39(9):699-710.
8. Couturier A, Giocanti-Aurégan A, ­Dupas B, et al. Mise à jour des recommandations sur la toxicité rétinienne des antipaludéens de synthèse. J Fr Ophtalmol 2017;793‑800.
9. Orssaud C, Nguyen DT, Rouzaud C, et al. Dépistage et prévention des neuro­- pathies optiques toxiques aux anti-­mycobactériens : proposition de recommandations. J Fr Ophtalmol 2022;(45): 495‑503.
10. Dupas B. Effets indésirables oculaires des inhibiteurs de MEK. Images En Dermatol 2017;X(2):60-2.
11. Lumbruso-Le Rouic. Complications oculaires des chimiothérapies et des thérapies ciblées. Lett Cancérologue 2017;XXVI(10):3.

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