Exclusif ! Pour plusieurs épidémiologistes, l’arrivée d’omicron signerait la fin de la pandémie, et l’Espagne a déjà déclaré vouloir rétrograder le Covid en maladie endémique. Au-delà de sa moindre virulence, pourquoi ce variant est-il si différent ? Qui sera son « successeur » ? Que savons-nous du sous-variant d’omicron BA.2 ? Quels sont les critères pour passer à la phase postpandémique et arrêter de tester massivement ? Entretien avec le Pr Bruno Lina, virologue, CNR des virus des infections respiratoires, faculté de médecine Lyon-Est.
L’évolution du SARS-CoV-2 – avec l’apparition de variants – semble surprendre… n’avons-nous pas des leçons à tirer des pandémies historiques ?
S’il est important d’analyser les pandémies du passé pour essayer de comprendre ce qui se passe et surtout l’anticiper, l’exemple dont nous disposons est tout de même lointain : il s’agit de la pandémie liée au coronavirus OC43, datant de la fin du XIXe siècle. Les connaissances sur l’évolution initiale de ce virus sont très limitées : sur la période concernée, nous ne sommes pas capables de décrire le pas évolutif sur l’échelle d’un an alors qu’aujourd’hui nous suivons l’évolution du SARS-CoV-2 chaque semaine voire chaque jour. Finalement, nous n’avons pas d’expérience sur le potentiel évolutif des coronavirus humains. C’est la première fois qu’un effort sans précédent est fait pour surveiller un virus circulant à l’échelle planétaire, de manière transparente et avec un partage de données rapide.
Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que ce coronavirus OC43, qui fait partie des 4 coronavirus humains (bénins) qui circulent de façon endémique, continue à évoluer sur un rythme lent, avec l’apparition d’un variant qui dérive du variant précédent sur une période d’une dizaine d’années. Le rythme d’évolution des coronavirus saisonniers est nettement moins rapide que celui de la grippe, par exemple.
Quant au SARS-CoV-2, son potentiel évolutif va probablement s’atténuer mais, en ce moment, il est encore très important, avec des variants significatifs – c’est-à-dire ayant un impact à l’échelle internationale – qui apparaissent environ tous les 6 mois : le premier, c’était le variant alpha (au mois de novembre 2020), puis le delta (en mars-avril 2021), enfin omicron en octobre 2021.
Pourquoi pour certains épidémiologistes l’arrivée d’omicron signerait la fin de la pandémie ?
Tous les variants précédents à omicron dérivaient de la même racine, le virus de Wuhan. Après omicron, qui a inexorablement déplacé tous les autres variants, que se passera-t-il ? Son successeur dérivera-t-il de la souche sauvage ? L’apparition du variant BA.2 (qui découle d’omicron) semble indiquer une bascule : les variants ne vont plus dériver de la racine mais d’un des variants. Cela voudrait dire que les virus initiaux vont disparaitre au profit de ces virus moins dangereux mais plus infectieux. C’était ce qu’on avait imaginé comme l’évolution logique de ce coronavirus vers une phase postpandémique et ensuite saisonnière.
Comment expliquer l’émergence d’omicron ?
Les variants précédents (alpha, bêta, gamma, delta…) étaient caractérisés par des variations moléculaires pouvant être associées à une augmentation de la transmissibilité et à un échappement immunitaire partiel, mais ils n’avaient pas des variations antigéniques significatives capables d’entraîner une baisse de l’efficacité protectrice des vaccins et de l’immunité acquise lors de l’infection avec les virus initiaux. On pense que ces variants, après avoir acquis un certain nombre de mutations, étaient confrontés à une « impasse évolutive ». C’est à cette occasion que d’autres variants qui testent de nouvelles possibilités évolutives apparaissent. Avec une quarantaine de mutations au niveau de la spicule, omicron n’a plus rien à voir avec la souche originale ! Il a probablement une marge d’évolution plus importante, permettant de générer des variations antigéniques. Il pourrait ainsi représenter un nœud évolutif majeur concomitant à une évolution vers une circulation plus endémique.
Son évolution ressemblera-t-elle donc à celle de la grippe, ce qui implique une « mise à jour » périodique du vaccin ?
Sujet à une forte pression immunitaire, le virus de la grippe a un potentiel évolutif élevé, notamment au niveau de la protéine HA de surface. Étant donné qu’il acquière des modifications progressives très petites mais continues, on parle d’un phénomène de « glissement antigénique » : on peut imaginer un virus qui est sur une pente faible verglassée, et qui s’éloigne petit à petit, en parallèle de la capacité de la réponse immunitaire à nous protéger. Le vaccin a une efficacité modérée mais intéressante si la souche vaccinale correspond à celle qui circule. Mais dès que le virus dérive, les anticorps induits par le vaccin ne sont plus efficaces. Sa composition est donc mise à jour tous les ans. Le SARS-CoV-2 pourrait évoluer de cette façon, c’est une hypothèse en effet, mais cela suppose un rythme évolutif soutenu, ce qui n’est pas le cas des coronavirus saisonniers.
Que savons-nous du sous-variant d’omicron BA.2 ?
Au niveau de la protéine Spike, BA.2 a une quinzaine de mutations supplémentaires par rapport à omicron BA.1. Au Danemark, il est majoritaire, mais il circule aussi en Europe du Nord (Suède, Norvège) ; au 27 janvier, il y a peu de cas en Europe du Sud (une centaine en France, 300 en Angleterre).
Pourquoi cette flambée au Danemark ? Ce pays a vu une introduction précoce d’omicron BA.1 à partir de l’Afrique du Sud. Quand le BA.2 est apparu (localement ou importé, on ne sait pas), il a été responsable de 2 épisodes majeurs de supercontamination : cela accélère énormément la propagation d’un lignage dans un pays. On n’a pas encore de données robustes pour confirmer qu’il a un avantage de transmission par rapport à omicron BA.1, car il est très difficile à cultiver. Actuellement, un seul laboratoire aux Pays-Bas aurait réussi à le faire. Nous sommes en train d’essayer, en utilisant des lignées cellulaires particulières, mais il pousse beaucoup moins bien que les autres variants…
Les pays qui ont opté pour la stratégie zéro Covid ne sont-ils pas mis à mal par ces nouveaux variants qui sont certes moins virulents mais très contagieux ?
La stratégie zéro Covid n’a du sens que si elle est accompagnée par une campagne de vaccination massive, pour que la population – qui n’a pas été exposée à l’infection – soit quand même protégée. Autrement, elle sera confrontée à la circulation explosive d’un virus qui sera de mieux en mieux adapté à l’homme et entraînera des épidémies encore plus importantes.
L’Espagne a déclaré vouloir « rétrograder le Covid en maladie endémique ». Quels sont les critères pour qu’on puisse passer à cette phase et arrêter de nous tester sans cesse ?
Nous avons tous envie de lever le pied, mais il faut le faire dans de bonnes conditions. Car cela implique forcément de faire le deuil d’un certain nombre d’indicateurs de surveillance. C’est une question très compliquée mais nous devons réfléchir sur quand et comment basculer d’une surveillance exhaustive à une surveillance qui pourrait ressembler à celle de la grippe.
À propos de l’épidémie de grippe, où en est-on cette année ?
La grippe n’a pas disparu mais l’épidémie est moins importante que prévu. On a eu une centaine de cas en réanimation, davantage d’enfants hospitalisés que d’habitude. Les virus circulants sont essentiellement de type A ; on a l’impression que les virus de type B ont presque disparu, mais il faut rester prudent. Aujourd’hui, nous sommes « protégés » par la circulation du coronavirus – grâce à des phénomènes de compétition virale – mais si la circulation baisse avant la fin du mois de mars, comme on le souhaite tous, il est possible qu’il y ait une petite remonté de l’épidémie grippale au printemps.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien