Depuis l’identification du variant omicron fin novembre, des équipes du monde entier essayent de comprendre les propriétés de ce variant et la menace qu’il représente. Les premières études de laboratoire commencent à émerger, mais aussi les données de vraie vie, notamment depuis l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne.
Ce variant omicron inquiète car il a une trentaine de mutations dans sa protéine Spike – la cible principale des réponses immunitaires – dont certaines, lorsqu’elles sont présentes dans d’autres variants du SARS-CoV-2, affectent la capacité des anticorps à reconnaître le virus et à bloquer l’infection.
Un échappement aux vaccins ?
Les résultats préliminaires sur la capacité du variant omicron à échapper à l’immunité ont été mis en ligne de façon quasi-simultanée par des équipes travaillant en Afrique du Sud, Allemagne, Suède, Autriche et aux États-Unis.
Les scientifiques ont utilisé (selon les études) deux approches in vitro pour tester la capacité des sérums de patients vaccinés ou précédemment infectés à neutraliser le variant omicron : soit des virus isolés à partir d’individus infectés par omicron, soit des « pseudovirus », c’est-à-dire des particules virales d’un autre virus génétiquement modifiées pour exprimer la protéine Spike du variant omicron.
Les résultats des différentes équipes suggèrent qu’omicron est capable d’atténuer la capacité neutralisante des anticorps plus que tout autre variant circulant actuellement. Mais l’ampleur de cette réduction est très variable selon les études : l’activité neutralisante des sérums des personnes vaccinées avec Pfizer (deux doses) serait réduite de 20 à 40 fois par rapport aux premiers virus pandémiques, avec une perte d’activité d’au moins 10 fois par rapport au variant delta. La diminution serait encore plus importante en cas de vaccination par AstraZeneca, avec une activité neutralisant souvent en dessous de la limite de quantification du test de neutralisation.
Certaines de ces études – celles de l’équipe d’Alex Sigal (Afrique du Sud), de Sandra Ciesek (Allemagne) et de Janine Kimpel (Autriche) – montrent aussi que les personnes infectées avant ou après la vaccination sont celles qui s’en sortent le mieux en termes de protection, leur sérum ayant une meilleure capacité neutralisante. Cela n’est pas surprenant, puisque, lors de l’infection, le système immunitaire rencontre le virus entier et non seulement la protéine de l’enveloppe (comme dans le cas de la vaccination), ce qui génère une réponse plus « complète » vis-à-vis des différents variants…
Le rappel est-il capable de « restaurer » l’efficacité vaccinale ?
Le laboratoire Pfizer s’est empressé de révéler dans un communiqué de presse qu’« une troisième dose du vaccin BNT162b (Pfizer) confère un niveau d’anticorps neutralisants similaire à celui observé contre le virus sauvage après deux doses », mais les données brutes ne sont pas disponibles. Dans l’étude de Sandra Ciesek, le « boost » (3e dose) permet d’augmenter la capacité neutralisante, mais celle-ci reste réduite par rapport à celle observée contre le variant delta et semble s’épuiser rapidement avec le temps (variant omicron : 58 % 15 jours après la 3e dose puis 25 % à 3 mois, versus 95 %-100 % pour le variant delta).
Ces études mise en ligne en preprint n’ont pas encore été évaluées par les pairs, il est donc difficile d’en tirer des conclusions. De plus, ces expériences in vitro indiquent une tendance générale et n’englobent pas la diversité de la réponse immunitaire, qui, on le répète, ne se limite pas aux anticorps neutralisants, mais implique aussi les cellules T et B mémoire. Par ailleurs, ces travaux n’indiquent pas dans quelle mesure la capacité des vaccins à protéger contre les formes graves est affectée.
À la fin, ce seront les analyses statistiques des études épidémiologiques qui seront les plus concluantes.
Premières données de vie réelle : Afrique du Sud
Une première étude mise en ligne par une équipe sudafricaine – qui consiste en une analyse rétrospective des données épidémiologiques – suggère que levariant omicron cause plus de réinfections que les autres lignées chez des individus préalablement infectés (augmentation d’un facteur 2,39).
Pour le moment, les données de terrain indiquent que le nombre d’hospitalisations croît dans les dernières semaines, en parallèle à l’augmentation exponentielle du nombre des cas, mais que la durée d’hospitalisation, le taux d’admission en soins critiques et la mortalité intra-hospitalière sont moindres par rapport aux vagues précédentes. Il est quand même difficile de transposer ces données en France, compte tenu des disparités entre ces pays (âge plus jeune de la population sudafricaine, taux de vaccination différent…).
Les données de la Grande-Bretagne : transmissibilité, efficacité des vaccins
Le Royaume-Uni et le Danemark (pays qui ont un bon suivi de l’épidémie Covid notamment au niveau du séquençage) observent déjà une croissance très rapide de ce variant (figure 1).
Dans son dernier rapport technique du 10 décembre 2021, l’UK Health Security Agency estime qu’omicron a un taux de croissance de 0,35 par jour. Le temps de doublement des cas dus à ce variant est estimé à 2,5 jours. « Si omicron continue de croître au rythme actuel, le nombre de cas devrait atteindre celui observé avec le delta très prochainement ». Ce variant représente déjà, le 13 décembre, 20 % des cas de Covid en Angleterre et 40 % des infections à Londres.
Figure 1. Cas cumulés des variants en Angleterre, indexés par jours depuis le cinquième cas signalé (au 5 décembre 2021).2
D’après ce même rapport de l’UK Health Security Agency, les données épidémiologiques obtenues dans le cadre familial et auprès de sujets contacts indiquent aussi un avantage de transmissibilité. Le risque de transmission dans le foyer familial à partir d’un cas index infecté par le variant omicron serait 3,2 fois supérieur à celui observé en cas de sujet index dû au variant delta ; le risque qu’un sujet contact devienne un cas secondaire confirmé est 2,09 fois plus élevé ; au sein du foyer familial, le taux d’attaque secondaire (évalué à partir des données du contact tracing en routine) est de 21,6 % avec le variant omicron versus 10,7 % avec delta.
Quant à l’efficacité de la vaccination, l’analyse a inclus 581 cas omicron et 56 439 cas delta.
À l’exception des personnes ayant reçu leur deuxième dose de Pfizer 2 à 9 semaines auparavant (jeunes adultes qui ont récemment reçu leur 2e dose), l’efficacité du vaccin sur les formes symptomatiques chutait à 48 % entre la 10e et la 14e semaine après la deuxième dose, puis déclinait encore à 34 %-37 % à 15 semaines.
Ces premières estimations suggèrent donc que l’efficacité du vaccin contre un Covid symptomatique (léger à modéré) est inférieure pour omicron par rapport au delta, même si, compte tenu du nombre limité de cas analysés, elles sont sujettes à une incertitude importante et doivent être affinées.
L’administration d’une dose de rappel sera-t-elle la clé pour vaincre ce variant ? Une 3e dose de Pfizer administrée 5-6 mois après un schéma vaccinal complet avec Pfizer permet d’atteindre une efficacité vaccinale modérée à élevée contre l’infection, de l’ordre de 70 % à 75 %, au moins pendant une courte période après l’injection (figure 2). Mais, à ce stade, on ne dispose pas d’une donnée fondamentale : la protection conférée par le rappel sera-t-elle durable ? pendant combien de temps ?
Figure 2. Efficacité vaccinale vis-à-vis de la maladie symptomatique après la seconde dose ou la dose de rappel (3e dose) pour les sujets ayant reçu le vaccin Pfizer.4
Ces données sur la perte d’efficacité contre les formes symptomatiques ne reflètent probablement pas la protection contre les formes graves, qui est finalement le paramètre le plus important à considérer dans le contexte actuel où le SARS-CoV-2 est en train de devenir « endémique ».
En effet, avec les variants précédents, l’efficacité du vaccin contre l’hospitalisation et le décès a été supérieure à la protection conférée contre les infections bénignes. Il faudra probablement attendre encore quelques semaines pour connaître cette donnée…
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
1. UK Health Security Agency. Covid-19 variants identified in the UK. 13 décembre 2021.
2. UK Health Security Agency. SARS-CoV-2 variants of concern and variants under investigation in England. Technical briefing. 10 décembre 2021.
3. Callaway E. Omicron likely to weaken COVID vaccine protection. Nature 8 décembre 2021.
4. Andrews N, Stowe J, Kirsebom F, et al. Effectiveness of COVID-19 vaccines against the Omicron (B.1.1.529) variant of concern (pre-print). décembre 2021.