Bien qu’aspécifiques, les anomalies des ongles peuvent révéler une pathologie sous-jacente. Intégrés à l’interrogatoire et à un examen clinique complet, certains signes orientent vers des diagnostics précis. Par Sylvain Lescuyer, service de médecine interne des Hospices civils de Colmar.
Pigmentation unguéale
Différents types de pigmentation de l’ongle sont possibles :
– une coloration parallèle à la lunule est d’origine endogène (maladie de Wilson, alcaptonurie, médicaments) [fig. 1A] ;
– une coloration parallèle à la cuticule est d’origine exogène (henné, brou de noix) [fig. 1B] ;
– une bande longitudinale trouve son origine dans la matrice (mélanonychie banale) [fig. 1C].
La mélanonychie en bande est très fréquente chez les patients à phototype foncé. Elle ne doit pas être négligée car le mélanome est unguéal dans la moitié des cas dans cette population. Les autres causes de mélanonychie sont locales (frictions, traumatismes, nævus, infections) ou générales (mêmes causes que la mélanodermie).
Le mélanome unguéal est reconnaissable par plusieurs signes : apparition tardive de la mélanonychie, bande irrégulière ou d’évolution rapide, largeur supérieure à 3 mm, débord de la pigmentation au repli sus-unguéal ou au lit unguéal, altération de la tablette unguéale.
Leuconychies
L’ongle de Terry est une leuconychie proximale s’étendant jusqu’à 2 mm du bord libre de l’ongle. Cet aspect était autrefois associé à la cirrhose hépatique (fig. 2).
L’ongle de Lindsay ou ongle moitié-moitié (half and half) était autrefois associé à l’insuffisance rénale chronique évoluée. La leuconychie s’étend jusqu’à la moitié de la tablette.
La distinction entre ces deux aspects est discutable. Ils ont été décrits dans d’autres pathologies telles que l’insuffisance cardiaque, la dénutrition, les syndromes carentiels ou le diabète. Ils sont parfois liés au vieillissement ; leur observation doit amener à rechercher une pathologie sous-jacente, au moins par l’examen clinique.
Koïlonychie : doser le fer
La déformation de l’ongle en cuiller est aspécifique (fig. 3). En dehors de toute orientation, seule la carence martiale doit être recherchée de façon systématique.
Onycholyse : pas forcément une mycose !
L’onycholyse (ongle décollé de ses attaches ventrales) est très aspécifique et en rapport avec des causes locales ou générales. Elle est souvent associée à tort à une infection fongique (fig. 4A). L’absence de confirmation microbiologique et les nombreuses autres causes possibles (traumatismes répétés [fig. 4B et 4C], expositions professionnelles, psoriasis [fig. 4D], médicaments, autres causes systémiques, etc.) peuvent conduire à un traitement inutilement fastidieux et coûteux. Il est donc recommandé de faire pratiquer un prélèvement de confirmation (section jusqu’à l’ongle sain et grattage de la kératose sous-unguéale). Si une onychomycose est confirmée, il faut instaurer un traitement adapté (encadré).
Hémorragies en flammèches
Lorsqu’elles sont causées par des traumatismes (jardinage, travail de force, percussions), les hémorragies en flammèches sont peu nombreuses, fines, distales, noires et localisées au niveau des premiers doigts de la main dominante (fig. 5A).
Elles sont symptomatiques d’une pathologie sous-jacente lorsqu’elles sont récentes, nombreuses, pourpres, larges et étendues à la partie proximale de l’ongle (fig. 5B). Un examen complet et des analyses biologiques s’imposent afin d’éliminer ses causes possibles : endocardites, vascularites, hémopathies, troubles de l’hémostase, syndromes hyperéosinophiliques et microthrombotiques.
Lésion particulière et typique : la tumeur glomique
Il s’agit d’une tumeur bénigne développée à partir du glomus neuromyoartériel unguéal dévolu à la thermorégulation. Elle se manifeste par une lésion unique sous-unguéale (rarement périunguéale ou pulpaire), pas toujours colorée (rouge-bleue), douloureuse à la stimulation tactile et aux variations thermiques (au froid notamment). Deux signes cliniques en sont caractéristiques : le signe de Love (stimulation du point gâchette par une pointe mousse) et le signe d’Hildreth (soulagement de la douleur par la pose d’un garrot au bras).
Que dire aux patients ?
Devant tout changement notable dans l’apparence des ongles : consultez votre médecin traitant.
L’onycholyse n’est pas spécifique d’une infection fongique. Une consultation médicale et un prélèvement local peuvent permettre d’éviter un traitement long, coûteux et inutile.
Traiter les onychomycoses
La prise en charge doit être adaptée à l’agent pathogène en cause. Elle dépend également du nombre de doigts ou d’orteils atteints et de l’existence ou non d’une atteinte matricielle.
En cas de lésion paucidactylique (1 à 4 ongles atteints), concernant moins du tiers distal de la hauteur de la tablette, des solutions filmogènes sont prescrites. Devant une atteinte multidactylique et/ou matricielle, on associe un antifongique systémique. Attention à certains effets secondaires liés à ces traitements per os : éruptions cutanées, troubles digestifs peu sévères, toxicité hépatique (rare mais pouvant être grave, justifiant une surveillance de la fonction hépatique sous itraconazole).
Afin d’optimiser le traitement médical, il convient d’éradiquer la charge fongique avec un débridement qui peut être mécanique, chimique ou chirurgical.
Enfin, la lutte contre les facteurs favorisants est essentielle pour éviter les rechutes : bien sécher les pieds et les espaces interdigitaux, chaussage adéquat lors de la marche sur des surfaces à forte densité en dermatophytes (piscines, douches communes, gymnases), décontaminer chaussures et chaussons (poudres ou lotions antifongiques), en porter des neufs après guérison mycologique ; couper les ongles court, surveiller les espaces interdigitaux, sources de recontamination des ongles.
Lescuyer S. Examen clinique des mains [partie 2].Rev Prat Med Gen 2022;36(1067);219-23.
Pour en savoir plus :
Zaraa I. Pathologie unguéale.Rev Prat Med Gen 2019;33(1015);103-8.