Les onychomycoses sont des infections fongiques de l’appareil unguéal provoquées par des dermatophytes dans 60 à 70 % des cas, plus rarement des moisissures (20 %) ou des levures (10 à 20 %). Leur prévalence en Europe est estimée entre 0,5 et 24 % selon l’origine de l’infection. Il s’agit donc d’un motif fréquent de consultation, même si aucune donnée de prévalence n’existe en médecine générale en France. La majorité des onychomycoses à dermatophytes sont causées par Trichophyton rubrum et Trichophyton mentagrophytes et concernent les ongles des orteils. Les onychomycoses à levures sont principalement attribuées à la famille des Candida spp. et touchent le plus souvent les ongles des mains de patients prédisposés. Enfin, parmi les moisissures les plus fréquemment impliquées, on retient Scopulariopsis brevicaulis, Acremonium spp., Aspergillus spp., Fusarium spp. et Neoscytalidium.1,2
Diagnostic en trois étapes
Le diagnostic des onychomycoses est initialement clinique ; il doit être, si possible, confirmé par un prélèvement myc
ologique, qu’il s’agit de bien savoir interpréter.1-3
La clinique, d’abord !
Le tableau clinique des onychomycoses diffère selon qu’elles sont dues à des dermatophytes, des levures ou des moisissures.
Onychomycoses à dermatophytes, surtout sur les ongles des pieds
Les onychomycoses à dermatophytes atteignent surtout les ongles des pieds. Beaucoup plus exceptionnellement, ce sont les ongles des mains qui sont concernés (Tinea manuum), et dans ce cas une seule main est touchée (two feet-one hand syndrome). Un intertrigo interdigito-plantaire ou une desquamation plantaire est souvent associé ; il convient de les rechercher.
Plusieurs formes cliniques ont été décrites, dont les principales sont les suivantes :
- la forme sous-unguéale distolatérale est de loin la plus fréquente. Cliniquement, elle est caractérisée par une onycholyse d’abord distolatérale progressant vers la partie plus proximale de la tablette unguéale, une hyperkératose sous-unguéale, un amincissement de la tablette unguéale et une coloration blanche (leuconychie) ou jaune (xanthonychie), souvent hétérogène, d’un ou plusieurs ongles (
- la forme sous-unguéale proximale est rare et doit faire systématiquement rechercher une immunodépression sous-jacente. L’atteinte est d’emblée matricielle. Cliniquement, une leuconychie proximale qui s’étend ensuite en distalité avec la croissance de l’ongle est observée ;
- la forme superficielle se caractérise par la pénétration de l’organisme pathogène au niveau de la partie superficielle de la tablette unguéale, induisant ainsi des taches blanchâtres ou leuconychies proximales et/ou distales.
Candida : pas toujours pathogène
Les Candida non albicans ne sont pas toujours pathogènes (comme les moisissures) et peuvent coloniser une onycholyse préexistante dont la cause n’est pas liée à la mycose. Un prélèvement positif à Candida doit donc être interprété avec beaucoup de précaution.
Les Candida spp. sont souvent pathogènes, en particulier chez les patients immunodéprimés ou diabétiques, chez ceux ayant une prédisposition génétique (candidoses cutanéo-muqueuses chroniques) ou lorsqu’il existe des facteurs environnementaux favorisants (milieux humides, professions exposées [boulangers, cuisiniers]). Les onychomycoses à Candida affectent un ou plusieurs doigts (surtout le majeur) et il existe une inflammation péri-unguéale ou périonyxis (
Moisissures : plutôt en zones tropicales
Se développant particulièrement dans les zones tropicales, les onychomycoses à moisissures peuvent toucher les ongles des pieds.
Fusarium spp., moisissure ubiquitaire des végétaux, est responsable d’un tableau clinique spécifique : il atteint souvent l’annulaire chez des femmes jeunes sans explication physiopathologique connue. Le diagnostic est posé devant une atteinte monodactyle avec onycholyse et œdème périunguéal (
Prélèvement mycologique en cas de doute et avant traitement
Un prélèvement mycologique est indiqué en cas de doute diagnostique et, autant que possible, avant l’instauration d’un traitement oral prolongé. Il doit être réalisé sur un ongle propre et sans vernis, lavé et brossé à l’eau et au savon afin de limiter les contaminations environnementales. Une fenêtre thérapeutique d’au moins trois mois doit être respectée si un traitement local ou systémique a été prescrit auparavant. Le prélèvement peut être effectué au cabinet ou dans un laboratoire d’analyses médicales ayant, si possible, une orientation en mycologie.
Comment interpréter les résultats ?
Bien que de nouvelles techniques émergent (PCR notamment), la référence pour identifier le germe reste l’examen direct associé à la culture.
Candida albicans n’est normalement pas présent sur la peau saine. Ainsi, la mise en évidence de colonies de Candida albicans en culture oriente vers une onychomycose à Candida, quel que soit le résultat de l’examen direct. Ce n’est pas le cas pour les autres levures ou les autres Candida — dont le caractère pathogène est affirmé par la présence de pseudofilaments.
Les moisissures sont, quant à elles, souvent présentes sur la peau, voire sur la kératine, sans caractère pathogène. L’isolement d’une moisissure en culture sans autre champignon, associé à un examen direct montrant des filaments évocateurs, fait suspecter une onychomycose à moisissures. Ce diagnostic est toutefois à confirmer par de nouveaux prélèvements dont les résultats doivent être identiques aux précédents (
De nombreux diagnostics différentiels doivent être évoqués, même si une onychomycose peut coloniser un ongle pathologique (
Traitement : objectif zéro récidive
Après débridement, le mode d’administration du traitement (local ou systémique) et le choix de la molécule à utiliser doivent être évalués en fonction du terrain et du germe retrouvé.1,4,5
Débridement indispensable pour limiter la charge fongique
Trois techniques de débridement permettent, dans un premier temps, de limiter la charge fongique et sont un préalable pour rendre le traitement efficace :
- le débridement mécanique consiste à couper, à l’aide d’une pince à ongles, les zones de la tablette unguéale atteinte (décollées ou épaisses) ;
- si la détersion mécanique est impossible, un débridement chimique est tenté par application d’une pommade à l’urée à 40 ou 50 % en occlusion sous film plastique pendant une dizaine de jours, en protégeant la peau périunguéale. Le patient est ensuite reconvoqué pour un débridement mécanique ;
- le recours au débridement chirurgical sous anesthésie locale est nécessaire en cas d’hyperkératose majeure ou d’atteinte proximale. Il est réalisé par un dermatologue.
Local ou systémique : choisir le bon mode d’administration
Les onychomycoses à dermatophytes ne guérissent pas spontanément, et l’intertrigo inter-orteil associé peut être une porte d’entrée bactérienne et favoriser le risque d’érysipèle.
Un traitement systémique est indiqué dans les situations suivantes :
- onychomycose sous-unguéale distolatérale avec une atteinte de plus de 50 % de la tablette unguéale, une atteinte matricielle (zone proximale de l’ongle) et une tablette unguéale de plus de 2 mm d’épaisseur ;
- onychomycose sous-unguéale proximale ;
- plus de trois ongles atteints ;
- risque de mauvaise adhésion au traitement local.
En dehors de ces critères ou si le patient a des contre-indications au traitement systémique, un traitement local peut être initié, associé à un débridement de l’ongle.
En cas d’atteinte sévère, le traitement local peut être associé au traitement systémique pour un effet synergique.
Quel traitement systémique ?
Le traitement systémique doit être adapté au germe (évoqué sur l’aspect clinique et confirmé autant que possible par les résultats du prélèvement), aux comorbidités et aux autres traitements du patient. La réalisation d’un antifongigramme n’est pas recommandée.
Les traitements utilisés sont la terbinafine, l’itraconazole et, plus rarement, le fluconazole (
Les bons réflexes pour éviter les récidives
Il est indispensable de traiter toutes les atteintes fongiques de façon concomitante. En cas d’onychomycose à dermatophytes, les atteintes interdigitales et plantaires associées doivent être traitées, en utilisant un traitement systémique si les lésions sont profuses.
L’utilisation d’une poudre antifongique est conseillée pour décontaminer les chaussures.
Il ne faut pas hésiter à prolonger le traitement en cas d’atteinte clinique persistante – une réévaluation se fait généralement à six mois de traitement. En pratique, la durée de traitement est d’environ six mois pour les mains et neuf mois pour les pieds.
En pratique, comment bien prescrire ?
Pour une efficacité et une tolérance optimales, il est important de connaître les spécificités des différents traitements.5-9
Traitements locaux : solutions filmogènes et vernis
L’amorolfine 5 % nécessite une ou deux applications par semaine sur l’intégralité de la tablette unguéale atteinte, jusqu’à repousse complète d’un ongle sain (environ six mois au niveau des ongles des doigts et neuf mois au niveau des orteils). Il est important de préciser au patient qu’il doit retirer les couches de film avec un dissolvant avant toute nouvelle application. Un vernis cosmétique peut être ensuite posé, mais en respectant un délai minimal de dix minutes.
Le ciclopirox 8 % existe en solution filmogène ou en vernis ; il nécessite une application par jour sur l’intégralité de la tablette unguéale atteinte, jusqu’à repousse complète d’un ongle sain. De même que pour l’amorolfine, l’ongle doit être nettoyé au dissolvant une fois par semaine si la forme en solution filmogène est utilisée.
Traitements systémiques : des effets indésirables exceptionnels
La terbinafine et le fluconazole ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. En pratique, des schémas de traitement séquentiels sont souvent utilisés (traitement à des doses plus élevées une semaine par mois) pour améliorer l’observance et la tolérance.
La griséofulvine est encore utilisée pour traiter les onychomycoses de l’enfant en l’absence d’AMM de la terbinafine pour cette classe d’âge. Cependant, en cas de ruptures de production, la terbinafine peut être utilisée à des doses adaptées au poids (
La réticence des patients à prendre un traitement systémique, et parfois même des médecins généralistes à le prescrire, est fréquente. Elle est liée à la crainte de survenue d’effets indésirables qui sont en réalité assez exceptionnels. Il est habituellement conseillé de contrôler le bilan hépatique avant le début du traitement puis toutes les quatre à six semaines. Sous terbinafine, le bilan préthérapeutique est suffisant chez le patient jeune et sans antécédent ; il est cependant recommandé de l’alerter sur la nécessité d’un arrêt immédiat du traitement en cas d’ictère, de prurit, ou de syndrome pseudo-grippal.
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