Dans les recommandations françaises actuelles pour le traitement des lombalgies aiguës, les opioïdes ne sont recommandés qu’en deuxième intention, après échec des antalgiques non opioïdes (paracétamol, AINS), à la dose efficace la plus faible et pour la durée la plus courte possible (maximum 14 jours). Toutefois, une nouvelle étude randomisée suggère que les opioïdes ne devraient pas être prescrits du tout dans cette indication.
Cette étude a été conduite dans 157 centres de soins primaires en Australie entre février 2016 et mars 2022. Dans ce pays, comme en France, les recommandations indiquent que les opioïdes ne doivent être prescrits qu’en deuxième intention pour les lombalgies ou cervicalgies aiguës, en cas d’échec ou de contre-indication des autres traitements pharmacologiques. Pourtant, près de deux tiers des patients consultant pour ce type de douleurs reçoivent une prescription d’opioïdes en première ligne…
Étant donné cette fréquence d’utilisation, les chercheurs ont donc voulu évaluer l’efficacité et la sûreté à court terme (effets indésirables) et à long terme (risque de mésusage) d’un traitement de courte durée par antalgiques opioïdes dans ces situations.
La valeur ajoutée de l’étude ? Il s’agit du premier essai contrôlé contre placebo sur les antalgiques opioïdes dans cette indication sans ajout d’un autre médicament antalgique et avec un suivi de 12 mois (alors que la plupart des études similaires ont des suivis à court terme). De plus, soulignent les auteurs, l’étude n’est pas sponsorisée par l’industrie pharmaceutique.
Pas mieux qu’on placebo
Les chercheurs ont recruté 347 adultes, d’âge moyen 44,7 ans, ayant une lombalgie et/ou une cervicalgie au moins d’intensité modérée, depuis maximum 12 semaines. Les participants ont été aléatoirement assignés (1:1) soit au groupe traité par oxycodone-naloxone (jusqu’à 20 mg d’oxycodone/jour per os), soit au groupe placebo, pour une durée de traitement allant jusqu’à 6 semaines. Les deux groupes recevaient, en plus, les conseils usuels (rester actif et éviter l’alitement). L’analyse finale a inclus 89 % des patients initialement randomisés.
À l’issue du traitement, aucune différence significative dans les scores de douleurn’a été observée entre le groupe traité et le groupe placebo : 2,78 dans le premier contre 2,25 dans le second ; il n’y avait pas de différence entre les hommes et les femmes à cet égard, ni entre les participants ayant une lombalgie ou une cervicalgie. À noter : seuls 58 % des participants ont fourni des données sur l’observance au traitement, dont un peu plus de la moitié déclaraient être observants, c’est-à-dire prendre plus de 80 % du traitement prescrit. Toutefois, l’observance ne différait pas entre les deux groupes, et ces proportions sont similaires à celles observées dans d’autres études sur la lombalgie – pouvant refléter la pratique en vie réelle.
De plus, le suivi à long terme a révélé une amélioration plus marquée dans le groupe placebo, concernant la douleur mais aussi la qualité de vie. Par exemple, à la semaine 52, il y avait une différence, bien que légère, dans la sévérité de la douleur en faveur du placebo. Quant à la qualité de vie, si la différence n’était pas significative pour les scores physiques, une différence légère mais significative était constatée sur les scores de santé mentale, en faveur, là encore, du placebo.
Concernant les effets indésirables, davantage de patients du groupe traité ont rapporté des effets indésirables liés aux opioïdes, en particulier la constipation (7,5 %, versus 3,5 % dans le groupe placebo). Par ailleurs, si le risque de mésusage ne différait pas entre les deux groupes à 12 ni à 26 semaines, il était significativement plus élevé à la semaine 52 chez les patients ayant eu un traitement par opioïdes (20 % des participants, contre 10 % du groupe placebo).
Les auteurs soulignent que ces résultats non seulement confirment ceux des études précédentes – qui ne trouvaient pas ou peu d’efficacité des opioïdes dans les lombalgies, cervicalgies ou autres douleurs musculosquelettiques aiguës –, mais vont plus loin, suggérant que ces médicaments peuvent avoir des effets délétères sur le long terme même après une utilisation courte raisonnée. C’est pourquoi ils plaident pour que les recommandations soient mises à jour en supprimant les opioïdes de l’arsenal thérapeutique dans ces indications.