Chaque année, 10 millions de Français bénéficient d’au moins une prescription d’antalgique opioïde. Face aux risques d’addiction et de surdosage associés, les nouvelles recos de la HAS précisent de façon très détaillée les indications et la conduite à tenir en fonction de chaque situation clinique (type de douleur et de patient). Ce qu’il faut retenir pour le MG.
Les États-Unis et l’Angleterre font face à un nombre important de décès imputables à la surconsommation d’opioïdes. Si en France la situation semble moins problématique, on constate une tendance à l’augmentation du recours à ces médicaments.
L’enjeu de ces recommandations est d’assurer la juste prescription des antalgiques opioïdes, sans en restreindre l’accès aux patients. Elles décrivent la conduite à tenir devant toutes les situations pour lesquelles un médecin peut être amené à faire de telles prescriptions.
– Plus de distinction entre opioïdes faibles et forts : quelle que soit leur puissance pharmacologique, leur balance bénéfices/risques est d’abord corrélée à la dose utilisée. Les risques de trouble de l’usage ou de surdose sont communs à tous ces médicaments.
– Lors de chaque prescription, évaluer systématiquement la nécessité d’une dispensation de naloxone « prête à l’emploi » (antidote d’une surdose) ; expliquer le cas échéant les modalités d’utilisation au patient et à son entourage.
– Informer le patient sur les effets indésirables les plus fréquents, les signes d’alerte précoce en cas de surdose ; insister sur le fait de ne pas augmenter les doses ou la fréquence des prises ni la durée de traitement sans avis médical et de pas donner son traitement à une autre personne.
1. Douleur aiguë chez un patient sans consommation d’opioïdes en cours
Les opioïdes ont une AMM en première intention dans les douleurs aiguës et sévères (score à l’échelle numérique [EN] ≥ 6/10), en l’absence de traitement étiologique. Cependant, ils ne sont jamais recommandés dans la crise migraineuse, quelle que soit l’intensité de la douleur. Ils doivent être prescrits en deuxième intention (après échec des antalgiques non opioïdes : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]) dans les douleurs dentaires, la lombalgie aiguë, les traumatismes simples du rachis (contractures musculaires, « coup du lapin ») et distaux des membres (entorses ou blessures mineures sans signes de lésions tissulaires), la colique néphrétique.
En cas de douleurs modérées (4 ≤ EN < 6), en l’absence d’amélioration sous antalgiques non opioïdes, ils peuvent être proposés en seconde intention. Attention : le fentanyl transmuqueux, d’action rapide, n’est ni indiqué (pas d’AMM) ni recommandé dans la douleur aiguë (risque de dépression respiratoire ou de trouble de l’usage).
Quelles modalités ?
Il est recommandé de prescrire un opioïde :
− à la dose efficace la plus faible ;
− à libération immédiate uniquement ;
− et pour la durée la plus courte possible (maximum 14 jours).
Réévaluer à court terme afin de s’assurer du soulagement de la douleur et d’une bonne tolérance. Si un traitement antalgique opioïde est toujours nécessaire, une forme à libération prolongée pourra être discutée en cas de douleur continue.
Figure 1
Source : HAS. Traitement antalgique opioïde de la douleur aiguë chez les patients sans consommation d’opioïdes en cours. 10 mars 2022.
2. Douleur aiguë chez un patient avec consommation d’opioïdes en cours
Il s’agit des patients traités par un antalgique opioïde pour une douleur chronique ou par un médicament de substitution aux opioïdes, ou bien des patients ayant un trouble de l’usage (consommation de médicaments opioïdes hors traitement médical ou de substances opioïdes illicites).
Hors chirurgie, le traitement dépend de l’intensité de la douleur ainsi que du type de médicament de substitution (MSO, méthadone, buprénorphine), comme illustré dans l’algorithme ci-dessous.
Figure 2
Source : HAS. Traitement antalgique opioïde de la douleur chez les patients avec consommation d’opioïdes en cours. 10 mars 2022.
Si le patient est traité par opioïde à libération prolongée pour une douleur chronique, une nouvelle titration avec un opioïde à libération immédiate est recommandée, associée au traitement en cours. Cela peut nécessiter secondairement un ajustement temporaire de la dose d’opioïde de fond (à libération prolongée), tant que la cause de la douleur aiguë subsiste.
3. Douleur chronique non cancéreuse
Les antalgiques opioïdes peuvent être envisagés en dernière intention – lorsque l’ensemble des autres propositions thérapeutiques, médicamenteuses ou non, ont été essayées – dans certaines douleurs chroniques : lombalgie/lomboradiculalgie, arthrose, neuropathies et autres maladies évolutives (maladies neurodégénératives, situations palliatives évoluées non liées au cancer, etc.).
Ils ne sont pas recommandés dans les douleurs pelviennes chroniques, musculosquelettiques (autres qu’une lombalgie/lomboradiculalgie chronique, une arthrose ou des douleurs neuropathiques), ni les céphalées primaires, ni les migraines, ni les douleurs nociplastiques (dysfonctionnelles). Le traitement par tramadol chez les patients atteints de fibromyalgie ne peut être envisagé qu’après avis spécialisé (consultation douleur).
Quelles modalités ?
Il faut toujours réaliser une évaluation biopsychosociale du patient pour rechercher les facteurs de risque de trouble de l’usage ainsi que les coprescriptions à risque, notamment de benzodiazépines ou de gabapentinoïdes. Établir avec le patient des objectifs thérapeutiques réalistes de diminution de l’intensité douloureuse, d’amélioration fonctionnelle ou d’amélioration de la qualité de vie (pas d’objectif « zéro douleur » !).
Instaurer le traitement de façon progressive, avec des réévaluations régulières en début de traitement afin d’ajuster la posologie et de surveiller les effets indésirables. Pas de fentanyl transmuqueux ni transdermique (ce dernier est envisageable en cas d’insuffisance rénale chronique modérée à sévère).
Durant les 6 premiers mois de traitement : réévaluer la douleur du patient au minimum tous les mois en recherchant systématiquement si les objectifs thérapeutiques sont atteints, s’il existe des effets indésirables ou des signes de trouble de l’usage. En l’absence de bénéfice clinique, ne pas dépasser une dose quotidienne de 120 mg/j EMO (équivalent morphine orale).
Demander un avis spécialisé (médecin de la douleur, addictologue, psychiatre) en cas de : situations douloureuses complexes ; patients ayant un trouble de l’usage de substances actuel ou antérieur ou ayant des troubles psychiques ; absence de bénéfice clinique après 3 à 6 mois de traitement.
Au-delà de 6 mois de traitement continu, tenter une décroissance, voire un arrêt progressif, afin de constater si le traitement est toujours justifié ou si une dose inférieure serait suffisante.
Figure 3.
Source : HAS. Traitement antalgique opioïde de la douleur chronique non cancéreuse. 10 mars 2022.
Pour en savoir plus :
Traitement de la douleur liée au cancer :
HAS. Bon usage des médicaments opioïdes : antalgie, prévention et prise en charge du trouble de l’usage et des surdoses. 24 mars 2022.
Diagnostiquer un trouble de l’usage d’opioïdes :
HAS. Diagnostic du trouble de l’usage d’opioïdes. 10 mars 2022.
Spécificités concernant la femme enceinte ou allaitante :
HAS. Spécificités concernant la femme enceinte ou allaitante. 10 mars 2022.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien