Objectifs

Expliquer les principes de l’organisation des soins en France.
Présenter les missions des ARS.
Justifier la notion de « territorialité » pour l’organisation des soins.
Analyser de manière critique les évolutions de recours aux soins (quantitativement et qualitativement) au regard des évolutions épidémiologiques, économiques, technologiques, professionnelles et socioculturelles.
Préciser les qualités d’un indicateur utilisé dans l’organisation ou la régulation des activités cliniques et professionnelles (selon ses finalités : informative ou support de décision).
Identifier les éléments clés nécessaires aux notions de coordination, de continuité et de globalité des soins (parcours de soins ou de santé).
Expliquer les principes et finalités des parcours de soins, de la coordination des professionnels ainsi que de la gradation des soins.

Principes d’organisation des systèmes de soins dans le monde

Il est classique de définir l’État-providence en distinguant deux grands modèles : l’État-providence bismarckien, fondé en Allemagne par les lois de 1880, et l’État-providence beveridgien qui, fondé sur le rapport des « social insurance and allied services » de 1942 (dit « rapport Beveridge »), naît au Royaume-Uni après la Seconde Guerre mondiale. Le premier est fondé sur le mécanisme des assurances sociales, dans lequel les prestations sont la contrepartie de cotisations, tandis que le second, financé par l’impôt, fournit des prestations accessibles à tous les membres de la société.
Encore aujourd’hui le principe de financement de l’ensemble des systèmes de soins répond à cette dichotomie « bismarckien ou beveridgien »* et, d’une manière plus générale, les systèmes de soins sont constitués de trois composantes qui interagissent entre elles :

  • les professionnels de santé ;
  • les institutions nationales et infranationales en charge de leur financement, et, par-là, de leur organisation ;
  • les patients et leur entourage.

Les divers systèmes se distinguent également selon l’accessibilité aux soins et par le statut et les modes de rémunération des professionnels, ainsi que par l’échelle d’organisation des soins, depuis une centralisation prédominante, comme en France, ou bien une régionalisation, voire une large place donnée aux initiatives locales, comme respectivement en Allemagne et dans les pays scandinaves.

Trois niveaux de soins

À l’international comme en France, trois niveaux de soins sont classiquement différenciés :

  • la mission des soins de premier recours (ou de proximité ou, selon une terminologie inspirée des Anglo-Américains, de « soins primaires ») correspond à la fourniture, dans la continuité, de services sanitaires coordonnés et complets aux populations. Ils sont supposés être accessibles à tous les usagers et satisfaire à la plupart des besoins de soins, dans le contexte d’une médecine de famille et communautaire, ce qui permet de proposer des services personnalisés grâce à la bonne connaissance des usagers et de leur mode de vie. Les professionnels des soins de premier recours sont les médecins généralistes mais tout autant les infirmiers, les pharmaciens d’officine, les kinési­thérapeutes et de plus en plus les « nouveaux métiers » (coordonnateurs de soins, assistants de santé, médiateurs, « pratiques avancées »… sont en constant développement). La notion d’« équipe de santé » élargit leur domaine d’intervention à la prévention et à la réponse aux besoins sociaux, qui sont des déterminants importants de l’état de santé ;
  • les soins secondaires relèvent des professionnels de santé spécialisés, qu’ils exercent en ville ou en établissements de soins publics et privés (plateaux techniques) ;
  • la notion de soins tertiaires est inconstamment retrouvée : elle se réfère le plus souvent à des services hospitaliers hautement spécialisés.

Modes d’organisation des soins dans les « pays développés »

Les modes d’organisation des soins varient selon les pays ; cependant, les distinctions sont finalement moindres que généralement admis ou supposé et surtout en voie de réduction avec la mondialisation. Les modalités de financement, d’organisation des soins, d’accès aux soins et de rémunération des professionnels sont, pour une large mesure, interdépendantes.
Le financement et les droits aux soins sont assurés à l’ensemble de la population :

  • soit par l’État à travers l’impôt : National Health Service au Royaume-Uni, service national de santé en Espagne, Scandinavie ;
  • soit par des caisses d’assurances sociales alimentées par les cotisations d’entreprises et de salariés dont les représentants sont chargés de la gestion ; en Allemagne, ces caisses sont financées et gérées de façon mixte par les entreprises et les régions.

La régulation du système fait appel, à l’international, à deux mécanismes principaux :

  • la rémunération des professionnels. La régulation à ce niveau est rendue nécessaire par le fait que le financeur délègue aux médecins la prescription de traitements, services et bien médicaux de plus en plus coûteux. La rémunération– à titre individuel – des médecins est fondée soit sur le salaire ou la « capitation », soit sur le paiement à l’acte. Chacune de ces modalités comporte des risques : le salaire favorise peu la productivité, la capitation peut amener le médecin à minimiser les services rendus dans la mesure où il est le créancier résiduel des économies réalisées ; le paiement à l’acte expose au risque de surconsommation. Ainsi, dans les systèmes fondés sur le salaire ou la capitation, le régulateur tente de réduire ces risques en introduisant souvent une part de rémunération « à la performance » pour les activités qu’il souhaite encourager, comme au Royaume-Uni. Dans les systèmes où le paiement à l’acte domine, le régulateur met en place une enveloppe plafond de dépenses ou introduit une part de rémunération forfaitaire incitant aux « pratiques efficientes ». Ces principes s’appliquent aussi au système hospitalier : au Royaume-Uni, les hôpitaux jugés performants bénéficient d’une grande autonomie financière et sont mis en concurrence les uns avec les autres ; aux États-Unis, les hôpitaux dont le taux de réhospitalisation à trente jours pour cinq pathologies cibles est supérieur à la moyenne régionale sont frappés depuis 2012 d’une pénalité financière ;
  • la diffusion de recommandations** fondées sur l’état de la science pour la prise en charge des patients. Ces recommandations sont cependant en général non opposables aux professionnels, sauf dans certains systèmes hautement régulés et intégrés comme les principaux opérateurs de soins, publics ou privés, aux États-Unis.

Ces deux mécanismes de régulation peuvent être articulés dans le cas du paiement de « bundle », sorte de forfait, qui représente une rémunération globale pour la mise en œuvre d’un épisode de soins, séquencé et recommandé pour son efficience (encadré 1). Un exemple en est la prise en charge de patients à risque de réhospitalisation depuis l’admission jusqu’après la sortie (comme pour la mise en place d’une prothèse de hanche) : dans ce cas, la rémunération peut s’appliquer à l’ensemble des activités et des personnels hospitaliers et ambulatoires. Ce type de « rémunération d’équipe » est en cours d’expérimentation dans de nombreux pays, dont la France ; elle se heurte à la conception traditionnelle de l’exercice individuel.
Le modèle d’organisation du premier recours varie selon les pays :

  • modèle étroitement régulé par l’État en Espagne, Finlande et Suède. Dans ce modèle, les professionnels sont en général salariés ;
  • modèle professionnel hiérarchisé dans lequel le médecin généraliste est le pivot du système aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Dans ce modèle, la rémunération des professionnels est partagée en une part fixe assurée par un salaire ou une « capitation » et une part variable liée à l’activité. Au Royaume-Uni, les cabinets de médecins généralistes gèrent des budgets de soins et ont la faculté de choisir les services hospitaliers au moindre coût ;
  • modèle professionnel dans lequel les acteurs ont une marge d’initiative pour s’organiser en Allemagne et en Belgique. Dans ce modèle, la rémunération à l’acte est prépondérante.

L’accès aux soins primaires est soit contrôlé et sectorisé selon le lieu d’habitation comme au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves ou en Espagne, soit laissé au libre choix des personnes comme en Allemagne, en Belgique ou en France.
L’accès aux soins spécialisés (et de plus en plus aux services d’urgence hospitalière) est le plus souvent régulé par le premier recours, avec l’obligation pour les patients de choisir un médecin traitant (en général généraliste) qui a un rôle d’orientation dans le système de soins (gatekeeping) ; ceci est le cas en Allemagne, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, dans les pays scandinaves et au Royaume-Uni.
Une fonction d’appui aux médecins généralistes est développée dans de nombreux pays. Cela libère le médecin de nombreuses tâches qui ne sont pas en réalité de sa compétence et lui permet de réduire le risque de surmenage ou d’épuisement professionnel. Au Royaume-Uni, les médecins généralistes exercent dans le cadre de cabinets intégrés, avec d’autres médecins spécialistes et avec des infirmières qui ont un rôle important d’assistance et d’accompagnement des patients entre les consultations médicales (nurse practitioners) ; certaines de ces infirmières sont spécialisées pour accompagner des patients atteints de maladies chroniques (case management). Ceci est également le cas en Suède. En Allemagne, les cabinets de généralistes disposent d’assistants de soins qui jouent un rôle important dans les pratiques de prévention, d’éducation et la réalisation d’actes techniques simples. Aux États-Unis, les programmes de « disease management » font une place accrue aux infirmières dans le suivi des patients, et affectent aux patients les plus complexes un accompagnement individualisé par des « case managers » (fig. 1). Cette tendance vers l’exercice en équipe pluridisciplinaire est concrétisée aux États-Unis par le modèle des « patient-centered medical homes » (PCMH) qui offrent, en particulier pour les malades âgés et polypathologiques, un suivi coordonné par une équipe pluriprofessionnelle, incluant le plus souvent des travailleurs sociaux.

Le cas particulier des États-Unis

Le système de soins aux États-Unis avait deux spécificités – en voie de réduction – par rapport à la plupart des autres pays développés :

  • une grande fragmentation : les deux tiers des personnes bénéficient d’une assurance privée, avec des risques couverts très variables. Deux programmes publics procurent une assurance à des populations qui ne bénéficient pas de ce système : Medicare pour les personnes âgées de 65 ans et plus et pour les personnes handicapées, et Medicaid pour les familles en dessous du seuil de pauvreté (ainsi que le programme SCHIP pour les enfants) ;
  • une part importante de la population (environ 15 %, ce qui correspond à près de 50 millions de personnes et explique pour partie les mauvais indicateurs de santé) n’a pas de couverture maladie…

Ces deux spécificités sont en voie de réduction du fait de l’« affordable care act » (réforme Obama), voté en 2012, qui oblige tous les Américains à se doter d’une assurance maladie (en prévoyant une aide financière pour ceux qui ne peuvent y parvenir). Pendant les quatre années de son mandat, l’administration Trump a plutôt contrarié la mise en œuvre de cette réforme de la santé.
Le système de soins américain conserve une troisième spécificité, qui constitue plutôt un avantage. Cela concerne les opérateurs de soins, organismes publics ou privés, comme la Veterans Administration, le Kaiser Permanente ou la Mayo Clinic ; ces opérateurs, historiquement cantonnés dans des établissements hospitaliers classiques, ont entrepris et réussi leur « virage ambulatoire » en réduisant considérablement leur capacité d’accueil en lits classiques et en déployant des alternatives à l’hospitalisation traditionnelle, permettant souvent de délivrer les soins en « ambulatoire » dans d’excellentes conditions de sécurité et en suscitant l’adhésion des patients. En réalité, ce virage ambulatoire – fruit des évolutions scientifiques, technologiques et sociétales – et l’évolution vers un système de soins « intégré » (c’est-à-dire organisant une continuité de la prise en charge des malades, du domicile au plateau technique et retour) est également à l’œuvre dans la plupart des pays développés depuis le début du XXIe siècle (cela est plus délicat en France, où les différences de statuts entre médecine hospitalière et médecine ambulatoire – générant des intérêts antagonistes – compliquent cette évolution vers un système intégré).

Organisation du système de santé français

Pratiquement 100 % de la population y bénéficie d’une assurance maladie. L’assurance maladie « obligatoire », alimentée par les cotisations des entreprises et des salariés, finance la majeure partie (75 %) des dépenses de santé, suivie des complémentaires santé (notamment les mutuelles) et des particuliers, par les impôts (contribution sociale généralisée) ou leurs dépenses personnelles (ticket « modérateur »). La couverture maladie universelle (CMU) et l’aide médicale d’État (AME) sont offertes aux personnes en situation de précarité (7 % de la population) et leur permet de bénéficier de soins gratuits.
La gouvernance du système de soins est partagée entre le ministère de la Santé et les caisses d’assurance maladie. Ces dernières sont réunies dans une Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et le rôle principal est joué par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) couvrant 90 % de la population.
Le Parlement vote annuellement une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), qui fixe le plafond et l’orientation des dépenses de santé.
L’État s’appuie sur des agences spécialisées de santé comme l’Agence pour la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), sur les avis de la Conférence nationale de santé, instance qui regroupe des représentants des usagers et des professionnels, et sur une autorité indépendante, la Haute Autorité de santé (HAS). La HAS est chargée d’élaborer des recommandations pour les pratiques et les parcours de soins en liaison avec les professionnels, de certifier les établissements hospitaliers et d’évaluer les traitements et dispositifs, y compris dans leur dimension médico-économique.
Le corps médical, en augmentation constante, en dépit des pénuries durement ressenties par la population, est légèrement supérieur à 200 000 professionnels. Plus de 40 000 ont une activité hospitalière salariée (dont près de 10 000 hospitalo-universitaires, chargés de l’enseignement et de la recherche) et près de 120 000 ont un statut « libéral » et exercent quasi exclusivement en ville. Toujours « en ville », le nombre de médecins qui choisissent un mode d’exercice salarié est en constante augmentation (alors que les installations en « libéral » déclinent), en particulier dans des structures de type « centre de santé » où les conditions d’exercice sont souvent moins astreignantes.
Les soins de premier recours sont organisés selon un modèle professionnel. Ils sont assurés pour l’essentiel par des médecins et professionnels de santé exerçant en ville. Les soins spécialisés sont à la fois assurés par des spécialistes exerçant en ville (dont le nombre très important – voisin de 60 000, c’est-à-dire autant que les généralistes – est une particularité du système français et explique pour partie les difficultés actuelles*** d’accès aux soins) et à l’hôpital. Le paiement à l’acte reste traditionnellement le mode de rémunération des médecins généralistes et des médecins spécialistes exerçant en ville ou en établissement hospitalier privé. 25 % des médecins (11 % des généralistes et 41 % des spécialistes) exercent en « secteur 2 » et appliquent des dépassements d’honoraires à la charge des usagers. Le mode de rémunération des médecins évolue cependant vers une diversification : depuis 2004, les « médecins traitants » perçoivent un forfait annuel de 40 euros pour chacun de leurs patients atteints d’une « maladie de longue durée » ; depuis 2012, les médecins peuvent bénéficier d’une part de rémunération forfaitaire (la ROSP : rémunération sur objectifs de santé publique) calculée selon un ensemble de critères portant sur l’équipement de leur cabinet, la conformité aux recommandations de leurs prescriptions et, dans une certaine mesure, les résultats cliniques obtenus ; plus récemment, les médecins ont également obtenu un forfait annuel de 5 euros pour chacun des patients les ayant choisis comme médecin traitant et des suppléments de rémunération pour les patients âgés de 85 ans ou plus. L’ensemble de ces diversifications peut représenter près de 20 % de la rémunération annuelle. De plus, de nouvelles modalités de rémunération sont en cours de développement en France, en particulier les « forfaits structure » au bénéfice des regroupements pluriprofessionnels et diverses dispositions de l’accord-cadre interprofessionnel favorisant l’exercice coordonné (en l’état, tout cela peut donner le sentiment d’une complexité excessive, mais la simplification est peut-être en vue…).
Les établissements de soins se répartissent entre hôpitaux publics, hôpitaux privés et hôpitaux à but non lucratif. Les professionnels exerçant à l’hôpital public sont salariés, et l’introduction de la tarification à l’activité (T2A), en remplacement de la dotation globale qui prévalait jusqu’alors, représente une tentative de lier partiellement le financement des hôpitaux à leur production de soins ; cependant, les critères sur lesquels sont fondés cette T2A ont conduit à de vives critiques de ce mode de financement, qui devrait donc être réadapté. Un mode de financement complémentaire « à la qualité », fondé sur l’analyse de plusieurs indicateurs cliniques, doit également être progressivement développé.
L’accès aux soins primaires est libre (c’est cette caractéristique qui avait propulsé la France au premier rang d’un classement mondial établi par l’Organisation mondiale de la santé en 2001) mais, depuis 2004, les usagers doivent choisir un médecin traitant qui est responsable de coordonner leur « parcours de soins » et de les adresser aux spécialistes si nécessaire. L’accès direct aux spécialistes reste possible mais donne lieu à une pénalité financière, excepté pour certaines spécialités comme l’ophtalmologie, la gynécologie ou la pédiatrie, qui restent d’accès libre.
Les modes d’exercice évoluent. En effet, jusqu’à peu, la France se signalait par l’absence d’une fonction d’appui à l’exercice des médecins généralistes, dont la pratique reste encore isolée dans la majorité des cas. Une impulsion a été donnée avec la loi « Ma santé 2022 », mais sa mise en œuvre reste progressive et partielle.
Depuis quelques années, et souvent à l’initiative des professionnels eux-mêmes, on observe la croissance rapide de regroupements – maisons (MSP), pôles et centres de santé pluriprofessionnels – qui organisent des conditions d’exercice enfin modernisées. On dénombre ainsi en 2022 près de 2 000 MSP où exercent près de 8 000 généralistes, ce qui correspond pratiquement au quart des généralistes actifs. Il en résulte le plus souvent des possibilités d’accès aux soins restaurées pour la population environnante et une attractivité renouvelée pour les professionnels (alors qu’au sein de ces regroupements, les compétences et rôles peuvent être utilement redistribués entre l’ensemble des professions soignantes et sociales).
La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) adoptée en 2009 avait introduit d’importantes réformes dans l’organisation du système de santé, avec trois points particulièrement notables :

  • la tentative de décentralisation de la gouvernance au niveau des régions, avec la création des agences régionales de santé (ARS) qui regroupent l’ensemble des organismes de l’État au niveau de la région. Les ARS ont la mission de piloter la politique de santé au niveau de la région en coordonnant les soins ambulatoires, hospitaliers, sociaux et médico-sociaux à travers un Plan régional de santé (PRS) répondant aux besoins de la population (encadré 2). Un des objectifs est de mieux organiser les soins à l’échelle des « territoires de santé », concept encore un peu flou et qui suppose l’émergence d’une responsabilité populationnelle qui devrait être portée par des professionnels appelés à se regrouper sur un territoire donné. Force est néanmoins de reconnaître que les ARS restent sous le contrôle étroit du ministère parisien.

Le financement des soins ambulatoires reste cependant pour l’essentiel sous la responsabilité des caisses primaires d’assurance maladie, et celui des aides sociales sous la responsabilité des conseils départementaux et des communes, de façon indépendante des ARS ;

  • la définition des missions et des services rendus par les « soins de premiers recours », avec un renforcement du rôle des médecins généralistes en matière de prévention, d’éducation pour la santé, de continuité des soins et d’orientation des patients. D’autres acteurs sont appelés à jouer un rôle pour assurer ces missions, dont les pharmaciens et les infirmiers. La loi prévoit ainsi des « protocoles de coopération » entre professionnels qui rendent possibles des transferts d’activités ou d’actes de soins en dehors des décrets de compétence, après validation du protocole par la HAS et autorisation par les ARS ;
  • la loi de 2002 (dite loi « Kouchner ») avait consacré les droits des usagers en matière d’information, de consentement éclairé, d’accès à leur dossier médical, de réparation du risque sanitaire et avait établi une représentation des usagers au sein des établissements de santé (commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge [CRUQPC] et conseils d’administration). En 2009, la loi a réaffirmé ces droits des usagers, en particulier par l’authentification de l’éducation thérapeutique.

En 2016 (loi de modernisation du système de santé), les 891 hôpitaux publics ont été appelés à se regrouper en 135 groupements hospitaliers de territoires (GHT ; allant de 2 à 20 établissements). On peut considérer ces regroupements en cohérence avec une structuration des territoires de santé et tout autant avec une gradation des soins, chaque GHT ayant vocation à réorganiser son offre de soins depuis les services constituant l’hôpital de proximité jusqu’à des services hautement spécialisés. Tout cela pouvant nécessiter du temps…
Cette même loi instituait également les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui justement encourageaient – y compris financièrement – les professionnels libéraux et ambulatoires à s’émanciper d’un exercice individuel sinon isolé, pour adhérer à un modèle d’exercice davantage coordonné**** de manière à structurer les soins de proximité dans un territoire donné. Au début de l’année 2022, une centaine de CPTS se déclaraient fonctionnelles et le double élaboraient leur projet, cela aussi pouvant nécessiter du temps.

Parcours de soins ou de santé

Évolutions épidémiologiques, économiques, technologiques, professionnelles et socioculturelles ayant conduit aux parcours de soins ou de santé

Le terme de « parcours » est apparu au début des années 2000 dans notre système de soins (et quasi simultanément dans les autres pays développés, avec d’autres termes recouvrant sensiblement les mêmes notions – mais souvent plus explicites comme le « integrated care pathway » des Anglo-Saxons). Le « parcours » bénéficie d’un rationnel bien établi, avec une dimension politique manifeste puisqu’une communication du gouvernement au début de l’année 2013 précisait : « ... c’est dorénavant à partir du parcours de la personne, patient, personne âgée, personne handicapée, que doit s’organiser le système de santé, pour supprimer peu à peu les ruptures dans la prise en charge provoquées par les cloisonnements… ». Ce propos politique avait été solidement préparé par les travaux du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), instance mise en place en 2003 par le ministre Jean-François Mattei et qui avait rendu en mars 2012 un avis – dans un document de 31 pages à étudier dans toutes nos facultés– au sein duquel se trouve l’explication suivante : « L’attention portée à la qualité d’un parcours’’ suppose de passer d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de parcours’’. C’est-à-dire une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une qualité d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante. »
Pour étayer ce rationnel, il faut insister sur les données épidémiologiques et sociales qui motivent l’évolution vers les parcours : avant tout, le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques. Dans tous les pays développés, les très nombreuses naissances survenues dans les années d’après-guerre (les baby boomers) se traduisent désormais par un accroissement conséquent du nombre de personnes de plus de 65 ans (encadré 3). De surcroît, ces sujets âgés cumulent affections chroniques et comorbidités (puisque les progrès sanitaires et scientifiques des 50 dernières années leur ont permis de survivre aux épisodes aigus et évolutions/complications morbides de leurs maladies).
En réalité, la nécessité d’avoir à faire face aux maladies chroniques avait été anticipée voilà une vingtaine d’années par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ainsi, dans un document synthétique daté de 2005, intitulé « La lutte contre les maladies chroniques », l’OMS indiquait : « (…) Dans les années à venir, plus d’un quart de la population européenne devrait avoir plus de 65 ans. Or au moins 3 % des hommes de plus de 60 ans sont atteints de plusieurs affections chroniques, et le nombre de comorbidités augmente progressivement avec l’âge. Les soins aux patients atteints de maladies chroniques exigent des services de santé capables de prendre en charge des maladies complexes qui durent toute la vie et nécessitent une démarche axée sur le patient. »
Dans un autre document, l’OMS indiquait également : « De nombreux auteurs ont noté que la formation, l’éducation et l’éventail des compétences des personnels de santé d’aujourd’hui n’étaient pas adaptés pour prendre en charge les patients atteints d’affections chroniques. Qui plus est, alors que de nombreux soignants traitent aujourd’hui au quotidien des patients souffrant de diabète, d’asthme ou de cardiopathies, ils indiquent qu’ils sont mal préparés pour coordonner ces soins et éduquer les patients atteints de ces maladies chroniques. La raison pour laquelle ces soignants sont mal préparés est très simple : la prise en charge des malades chroniques est différente de celle des patients souffrant de pathologies épisodiques et/ou aiguës. Les patients présentant des problèmes de santé chroniques ont besoin de soins qui soient coordonnés dans le temps et qui prennent en compte leurs besoins, leurs valeurs et leurs préférences. Ils ont besoin qu’on leur apprenne à s’auto-prendre en charge pour prévenir les complications prévisibles et que les soignants comprennent la différence fondamentale qui existe entre une maladie passagère qui est diagnostiquée et soignée et une affection chronique qui demande à être gérée sur de nombreuses années. »
Moins de dix années plus tard, les alertes de l’OMS ont été amplement confirmées. Ainsi, un travail publié en 2012 dans The Lancet2 montre que, sur une base de près de 2 millions de sujets écossais, représentatifs de la population générale, la moitié souffre, dès 50 ans, d’au moins une affection chronique et qu’au-delà de 65 ans la multimorbidité devient largement majoritaire (fig. 2). De surcroît, cette étude permet d’apprécier la prévalence des comorbidités ; ainsi, par exemple, les sujets atteints d’insuffisance coronarienne souffrent également, pour 23 % d’entre eux, d’un diabète, pour 19 % de bronchopneumopathie chronique obstructive, pour 16 % d’insuffisance cardiaque et pour un tiers de troubles anxiodépressifs. Cela confirme que l’on ne peut plus guère privilégier un modèle – ni pour l’organisation des soins ni pour la formation des étudiants – selon lequel un malade correspondrait à une maladie ; c’est donc de la coordination et de la complémentarité entre des professionnels médicaux, soignants et sociaux, autour du patient et de ses maladies chroniques – c’est-à-dire pendant de nombreuses années – qu’il est question.
Pour préciser cette finalité, les travaux préparatoires du HCAAM sont utiles : … « La médecine de parcours demande un travail soignant plus collectif. Elle appelle la combinaison de soins de premier recours populationnels, c’est-à-dire tournés vers la prise en charge globale des besoins de santé d’une population sur un territoire donné, et d’une médecine de spécialité et de plateau technique, plus interventionnelleaux moments qui l’exigent. »
Le système de soins français est donc confronté, tout comme ceux des autres pays développés, à trois défis majeurs : d’une part, une croissance des dépenses de santé constamment supérieure à celle du produit intérieur brut et qui n’est pas soutenable à terme ; d’autre part, une augmentation importante du nombre de personnes âgées en voie de dépendance, atteintes de maladies chroniques/comorbidités et nécessitant une prise en charge médicale et sociale en dehors du secteur hospitalier classique ; ces deux premiers défis sont liés dans la mesure où près des deux tiers de ces dépenses de santé correspondent aux malades vieillissants chroniques et polypathologiques qui représentent moins de 10 % de la population et pour lesquels il est essentiel d’assurer des soins efficients. Enfin, le troisième défi concerne la formation initiale des futurs professionnels de santé, lesquels doivent être encouragés au travail en équipe coordonné, dans une pluriprofessionnalité où les hiérarchies traditionnelles n’ont plus guère de sens.

Vers un exercice pluriprofessionnel coordonné

Ce travail soignant davantage collectif suppose une adaptation des valeurs professionnelles – individualisme, autonomie et indépendance – auxquelles étaient traditionnellement attachés les médecins et par extension nombre d’autres professionnels de santé. Par chance, les nouvelles générations semblent beaucoup plus disposées à un travail en équipe, le cas échéant pluriprofessionnel, principalement parce que les modalités pratiques de l’« exercice regroupé » (particulièrement dans le cas du premier recours) s’accommodent beaucoup mieux des nouvelles manières de travailler et permettent de mieux concilier un métier avec une vie personnelle et familiale.
Et la chose n’est pas propre à la France. La plupart des autres pays développés connaissent des évolutions comparables. Il en est ainsi, aux États-Unis, des « patient-centered medical homes » (PCMH), dont une première revue méthodique3 a été publiée dans les Annals of Internal Medicine. Des éléments probants sur la manière dont les professionnels exercent et dont les malades sont pris en charge y sont cités, de même que des résultats positifs en matière de prévention primaire et même de réduction des recours aux hospitalisations en urgence pour des sujets âgés. Ainsi, il se pourrait bien que l’évolution en cours vers un exercice en équipe coordonnée soit le moyen de produire ces parcours, qui s’imposent dès lors que « les malades sont devenus savants et les maladies chroniques ».

Relation médecin-malade : la décision est davantage négociée

Si les évolutions sociales, scientifiques et sanitaires survenues en particulier depuis le milieu du XXe siècle se sont traduites par une transition épidémiologique marquée par la « chronicisation » des états morbides, les malades ont également changé. Ils vieillissent souvent avec les pathologies qui les atteignent et dont ils meurent, heureusement, de moins en moins.
Surtout, ces malades et leur entourage sont devenus savants, au point que la relation médecin-malade – qui continue fondamentalement d’être fondée sur le colloque singulier – s’en est trouvée modifiée.
Ainsi, le mode de relation dominant « ordonnateur-­exécutant », habituel en médecine, vient d’évoluer progressivement vers une relation de type contractuel, où la décision est davantage négociée. Certes, il s’agit là d’une évolution qui concerne l’ensemble des relations sociales ; cependant, l’impact a été particulièrement sensible en pratique médicale, où sans se payer de mots, il apparaît de plus en plus que le malade et son entourage s’associent à la prise de décision les concernant, au point que le vocable de décision médicale… partagée s’en est trouvé quasiment consacré. Pour autant, il ne faut pas ignorer que cette évolution connaît ses propres limites, assez bien précisées par l’auteur B. Schwartz, quand il affirme dans les colonnes du New York Times : « De fait, le point où le choix tyrannise les patients plus qu’il ne les libère pourrait bien exister »
À l’origine de ce nouveau savoir, on trouve évidemment les médias, et parmi eux le nouveau vecteur d’accès à la connaissance qu’est internet.
Au cours des quinze dernières années, les sites auxquels les patients peuvent se connecter – à l’échelle de la planète – pour trouver des informations sur leur santé ont connu un développement considérable. Évidemment, la question de la qualité de ces informations est déterminante, et plusieurs initiatives privées et publiques ont été prises dans ce sens.
Pour l’essentiel, les patients ont accès aux informations en utilisant deux stratégies principales :

  • d’abord, en surfant sur des sites dédiés qui se sont donné la mission d’informer les patients et plus largement le public. Parmi les très nombreuses réalisations accessibles sur le Net, plusieurs des sites développés par nos voisins britanniques constituent des modèles de référence. C’est notamment le cas du site Best Health, développé par The Evidence Centre du British Medical Journal Group. Ce site avait été créé en 2003 (il s’appelait alors Best Treatments, et le changement de dénomination marque le glissement des objectifs du « curatif » vers le « préventif/éducatif »). Le projet consistait à mettre à la disposition des patients – et le cas échéant des médecins – des informations sur la maladie qui les touche et sur les traitements qui peuvent leur être proposés. Ces informations sont « evidence-based », ce qui signifie qu’elles sont issues de travaux dont la pertinence scientifique et la rigueur méthodologique ont été vérifiées et sont précédées d’un avis à l’internaute indiquant « qu’un rendez-vous avec un médecin provoque autant de questionnements qu’il apporte de réponses aux interrogations soulevées » ;
  • ensuite, en participant à des forums, dans le cadre desquels les malades partagent leurs expériences. De telles initiatives peuvent éventuellement être soutenues par les associations qui se constituent et où les patients trouvent utile et intéressant de se réunir. La question de la supervision par les médecins et autres professionnels de santé de ce qui s’écrit sur le forum est évidemment posée. On peut cependant tenir compte des expériences développées. Ainsi, par exemple, depuis une dizaine d’années, une équipe de neurologues de la Harvard Medical School de Boston est attentive aux développements de l’éducation des patients sur le Net. Cette attention s’est notamment traduite par la constitution de groupes de parole intitulés « braintalk communities », au sein desquels les patients améliorent la maîtrise de leur propre maladie. En réalité, au cours de cette décennie, cette équipe est passée d'une conception « top down » à une conception « bottom up » des services qui sont à la disposition des patients. Autrement dit, ce sont les patients – et non pas les équipes médicales – qui définissent les règles, les fonctionnalités et les contenus des services auxquels ils accèdent par le Net.

Indicateurs en santé

De nombreux indicateurs sont utilisés dans le secteur de la santé (démographie, épidémiologie, contrôle de gestion, évaluation, information des usagers, etc.).
Un « indicateur » est un élément analysable de la pratique clinique pour lequel il a été démontré (ou bien il existe un fort degré d’accord entre plusieurs professionnels) qu’il peut être utilisé pour apprécier la qualité d’une pratique.
Un « indicateur »4 et, par extension, la procédure d’analyse/évaluation doivent autant que possible être caractérisés par :

  • une forte validité (terme souvent mal compris et mal utilisé), autrement dit l’indicateur doit permettre effectivement d’analyser ce qu’il importe d’analyser ce qu’il importe d’analyser (comme disent les Américains « We should measure what matters*****) ;
  • une forte acceptabilité/faisabilité, autrement dit l’analyse de l’indicateur (son recueil, son interprétation, son exploitation, etc.) doit être aisée à réaliser et ne consommer ni trop de ressources ni trop de temps humain (jamais de double saisie).

Et le cas échéant par :

  • une forte sensibilité, autrement dit d’éventuelles variations doivent apparaître sans délai ;
  • une forte reproductibilité/fiabilité, autrement dit les résultats constatés ne doivent pas être fantaisistes.

De manière générale, un indicateur – qui traduit la quantification d’un état, d’un paramètre – est le support « objectivé » d’une démarche d’information, d’analyse, d’évaluation ou d’aide à la décision.
L’utilité potentielle d’un indicateur dépend avant tout de sa capacité à refléter une réalité mais aussi de sa simplicité de recueil (ou « d’acquisition ») et d’interprétation. Dans le domaine de la santé, les données ne sont pas toujours disponibles (ni donc aisées à acquérir), notamment de manière automatisée.

Qualité des soins

La qualité des soins est un concept multidimensionnel. Par exemple, l’Institute of Medicine la définit comme « la capacité des services de santé destinés aux individus et aux populations d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ».
C’est aussi un concept contingent. En effet, les modèles d’évaluation de la qualité du service rendu par le système de soins qui prévalent aujourd’hui en France sont différents selon le point de vue. Ainsi, pour les professionnels de santé, la qualité est centrée sur la pratique professionnelle et inclut les dimensions directement en lien avec le processus de production et le résultat des soins : organisation, efficacité, sécurité, satisfaction des patients, et pertinence des pratiques ; le patient s’intéresse plus spécifiquement au résultat ressenti des soins (efficacité, sécurité, satisfaction) et au coût restant à sa charge ; le citoyen peut intégrer la question de l’équité (accessibilité) et du coût socialisé ; le régulateur, quant à lui, s’intéresse aussi aux questions d’efficience et aborde la qualité sous l’abord de performances en intégrant en complément les notions d’activité, de productivité et de dépense engagée.

Indicateurs de qualité et de sécurité des soins

Les indicateurs de qualité et de sécurité des soins ont pour objectif d’évaluer la qualité et la sécurité de la prise en charge des usagers. Un indicateur de qualité et de sécurité des soins est une variable mesurant un état de santé, une pratique ou la survenue d’un événement et permettant d’évaluer la qualité des soins et son évolution dans le temps. Il permet l’explicitation et l’évaluation des pratiques, étapes préalables à leur amélioration. Ces indicateurs s’appliquent à des pratiques cliniques ou organisationnelles et évaluent le plus souvent la conformité à des standards de pratique.

Trois niveaux d’analyse par les indicateurs de qualité et de sécurité des soins

Très classiquement, trois types d’indicateurs de qualité en santé sont distingués :

  • les indicateurs de structure décrivent les moyens disponibles pour la production de soins. Ce sont des mesures simples et sans ambiguïté. Cependant, leur interprétation est sujette à caution car la qualité des soins n’est pas toujours proportionnelle aux moyens disponibles ;

– les indicateurs de processus décrivent les actions mises en œuvre. Ils sont relativement simples à calculer et ne nécessitent en général pas d’ajustement car ils varient peu selon les caractéristiques des patients. Ils permettent d’identifier sans délai si des pratiques sont conformes à un « état de l’art » et par là de mettre en place facilement des correctifs ;

  • les indicateurs de résultats mesurent le résultat d’une prise en charge. Ils permettent de mesurer l’impact des stratégies de prise en charge. Il peut s’agir d’indicateurs d’efficacité ou de sécurité de la prise en charge, comme des indicateurs fondés sur des données cliniques (valeurs de pression artérielle…) ou paracliniques (examens biologiques…), ou plus globalement de réadmission hospitalière ou de mortalité, ou encore d’indicateurs mesurant la fréquence de survenue de complications. Ils ont également plusieurs limites : en particulier, l’horizon temporel d’évaluation du résultat final d’un épisode de soin est le plus souvent lointain, ce qui rend difficile ou illusoire son appréciation en l’absence de système d’information ad hoc.

Le résultat peut aussi être évalué à partir du point de vue du patient, par des indicateurs de satisfaction ou d’expérience. De tels indicateurs apportent des informations précieuses, mais leur interprétation doit être prudente car le patient n’est pas toujours en mesure d’évaluer la qualité des divers aspects de la prise en charge qui lui est proposée.

Modalités d’utilisation des indicateurs de qualité et de sécurité des soins

Les indicateurs de qualité et de sécurité des soins peuvent être utilisés pour trois finalités principales qui ne sont ni exclusives ni systématiquement portées par tous les indicateurs :

  • l’accompagnement d’un exercice professionnel (en particulier dans le but de l’amélioration continue) comme le délai de prise en charge dans le cadre d’une situation clinique d’urgence. Ainsi, un indicateur permet de fixer des objectifs cibles, et peut être utilisé pour inciter les professionnels à atteindre un objectif. L’incitation peut également revêtir une finalité financière (ou mixte) comme la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui institue un « paiement à la performance » (le paiement à la performance [P4P] initié par les Anglo-Saxons est en réalité introduit dans la plupart des systèmes de soins des pays développés). Il existe également de manière expérimentale pour les établissements de santé ;
  • le support à une décision gestionnaire ou administrative, comme l’allocation de ressources financières. Il contribue à l’analyse de la qualité du service rendu de manière à définir les priorités d’action et à la contractualisation entre les offreurs de soins et le régulateur ;
  • pour finir, des indicateurs font également l’objet d’une diffusion publique afin de répondre à la demande de transparence que portent les usagers. Cette diffusion publique vise aussi l’incitation indirecte des professionnels à l’amélioration.

Les « palmarès » hospitaliers constituent pour les médias une publication régulière et l’opportunité des meilleures ventes. Ils sont aussi très présents sur internet, également portés par les assureurs complémentaires qui proposent, selon les cas, ce service à leurs adhérents ou en accès libre. Tous sont fondés sur des exploitations des indicateurs produits dans les établissements de santé publics ou privés. Ils répondent à une attente légitime du citoyen de disposer d’une information comparative sur l’offre de soins hospitaliers, attente non spécifique qui touche aujourd’hui divers secteurs d’activité commerciaux ou non. Si leur méthodologie n’est le plus souvent pas irréprochable, ils ont le mérite de poser la question de la qualité de l’offre de soins.
C’est dans ce contexte que la Haute Autorité de santé est missionnée pour assurer la coordination de l’élaboration et la diffusion d’une information sur la qualité des prises en charge en établissements de santé à destination des usagers. Cette offre d’information qui se veut lisible et pédagogique a vocation à diffuser l’information de référence et à s’intégrer au sein d’un service public d’information en santé appelé de ses vœux par plusieurs ministres de la Santé successifs.

* À l’origine, le système de sécurité sociale français emprunte davantage au modèle bismarckien que beveridgien ; cependant, sa logique assurantielle a été quelquefois contournée, par exemple en généralisant dès 1995 le bénéfice de la Sécurité sociale sur des critères de résidence et non plus d’activités salariées, ou en étendant la couverture à des populations non cotisantes comme les étudiants, puis, en 2000, en instituant la couverture médicale universelle (CMU).** Ces recommandations qui étaient surtout produites à partir des années 1990 par des « agences parapubliques » comme le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) britannique ou la Haute Autorité de santé (HAS) en France sont désormais le plus souvent initiées par les structures professionnelles (collèges ou sociétés savantes).*** C’est en effet le maintien d’une ventilation à l’internat de l’ordre de 50/50 entre futurs généralistes et futurs spécialistes, proportion maintenue tout au long des années 1990 et au-delà, qui explique ce nombre élevé de spécialistes (dont la majorité exercent en ville). Une ventilation 60/40 au bénéfice des généralistes pendant toutes ces années aurait permis d’accroître le nombre de médecins généralistes en exercice et d’atténuer sensiblement les difficultés actuelles d’accès aux soins (mais c’est une autre histoire).**** À l’évidence, cette « coordination » entre professionnels dépend – au-delà de l’évolution des valeurs professionnelles qui jusque-là prônent l’autonomie et l’individualisme – de la généralisation et de l’usage routinier des nouveaux moyens de communication (messagerie sécurisée, logiciels métier communiquant, dossier médical partagé et volet médical de synthèse, sans négliger les diverses fonctionnalités de télésanté – ainsi, le Kaiser Permanente et ses 15 millions d’affiliés aux États-Unis a enregistré dès 2019 un nombre annuel de consultations en distanciel supérieur au nombre de consultations classiques en face-à-face).***** Voir aussi Pronovost PJ, Miller J, Newman-Toker DE, Ishii L, Wu AW. We should measure what matters in bundled payment programs. Ann Intern Med 2018;168(10):735-6.

Points forts
Organisation du système de soins. Sa régulation. Les indicateurs. Parcours de soins

POINTS FORTS À RETENIR

L’organisation d’un système de soins est le résultat d’interactions complexes entre trois types d’intervenants : les professionnels, les gestionnaires et politiques (qui réglementent le cadre d’exercice) et les patients (dont la voix commence tout juste de se faire entendre).

Les soins de premier recours, ou de proximité, ou encore selon des termes anglo-américains « primaires », sont – à l’échelle de l’ensemble des pays développés – en cours de réorganisation, afin d’assurer au mieux l’accès et la continuité des soins. Pour cela, le passage d’un exercice le plus souvent individuel à un exercice pluriprofessionnel, coordonné et le cas échéant en « équipe » et l’usage routinier des nouvelles technologies sont déterminants.

Les années qui viennent vont voir les médecins recentrer progressivement leur activité sur le diagnostic et le pronostic ; les activités de liaison, de suivi, de coordination et progressivement de prévention ou d’éducation seront de plus en plus assurées par les autres professions soignantes et les travailleurs sociaux.

Les modes de rémunération sont en cours de diversification, avec l’introduction progressive de « forfaits », le cas échéant bonifiés.

Le grand nombre de patients atteints d’une ou plusieurs maladies traitées et d’évolution très prolongée sous traitements nécessite une réorganisation du système de soins. C’est ce qu’on appelle les « parcours » pour les malades, où les étapes successives de leur prise en charge, soit au domicile, soit sur des plateaux techniques, soit en hospitalisation de jour ou bien classique, sont « programmées » de manière à ce que la coordination entre tous les intervenants soit optimale et qu’il n’y ait pas de délai ni de rupture des soins.

L’éducation thérapeutique, et par là une certaine « autonomisation » du malade, est engagée. Cela va de pair avec une information croissante des patients, en particulier via les possibilités offertes par internet ; pour autant, les « décisions médicales partagées » n’ont pas vocation à s’imposer toujours et partout.

Les indicateurs – le plus souvent exprimés en pourcentage et traduisant une réalité clinique, par exemple 55 % des hypertendus sont correctement équilibrés – prennent une importance croissante dans les systèmes de santé, leur fonctionnement quotidien et leur organisation. Ce développement est évidemment lié à celui de l’informatique professionnelle, qui doit finir par constituer une aide et non une charge, en particulier via une « automatisation » qui doit libérer les professionnels. Il faut cependant se garder d’une emprise trop importante des « chiffres » et se soucier avant tout de leur utilité pour les malades.

Message auteur

Organisation du système de soins. Sa régulation. Les indicateurs. Parcours de soins

Dans le cadre d’un examen, des « questions de cours » sur l’organisation du système de santé, son financement, le rôle des ARS, ou même les qualités/limites d’un indicateur peuvent toujours tomber.

De même, lors d’une mise en situation ou dans le cadre d’un dossier clinique, des questionnements sont tout à fait possibles sur les parcours de soins, permettant de distinguer les différents intervenants et les étapes successives, en particulier pour des maladies fréquentes comme l’insuffisance cardiaque ou la bronchopneumopathie chronique obstructive.

Encadre

1. Passer du high-volume care au high-value care

En janvier 2019, un rapport* avait été rendu, à partir d’une commande ministérielle, sur une « réforme des modes de financement et de régulation ». En clair, il s’agissait d’une réforme des modes de rémunération des médecins. Le rapport introduisait le « paiement combiné », c’est-à-dire, à côté du paiement à l’acte, de nouvelles formules de rémunération des médecins de type forfaitaire (éventuellement bonifiée « à la performance »).

En réalité, il s’agissait de passer d’une rémunération fondée sur le high-volume (d’actes) et d’y substituer la high-value (du service médical rendu), ce qui constitue une évolution majeure du rationnel sur lequel les médecins sont rémunérés.

Tout cela a été très bien analysé, expliqué et porté par des collègues et leaders professionnels, notamment nord-américains, depuis plusieurs années. En conservant les termes originaux (la traduction en français est plutôt laborieuse alors que le vocable original est tout à fait explicite), il s’agit de passer d’une rémunération fondée sur le high-volume (d’actes) à une rémunération fondée la high-value ; cette high-value est définie par deux termes : d’une part la mise en œuvre des « bonnes pratiques » et d’autre part l’utilité ressentie par les patients ; qui pourrait s’en plaindre ?

Cela suppose que les médecins, tout au long de leur pratique auprès des patients, saisissent** des données qui, traduites en indicateurs, permettent de caractériser la high-value de leur démarche et de leurs prescriptions. Cela nécessite également que ces données reflètent fidèlement les réalités cliniques et soient aisées à traiter.

Reste qu’une telle évolution du rationnel peut susciter les craintes des médecins, d’autant qu’à ce jour de tels indicateurs sont souvent contestés, en particulier pour leur difficulté à traduire correctement les réalités cliniques, et leur nombre le plus souvent très excessif.

* https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dicom_financement_ma_sante_2022_synthese_vdef.pdf

** Là aussi, la maturité des systèmes d’information (logiciels-métier interopérables) est indispensable (de même que l’intégration automatique dans les dossiers médicaux des données biologiques et des données cliniques issues des dispositifs mobiles portés par les patients).

Encadre

2. Les principales missions dévolues aux Agences régionales de santé

Pilotage de la politique de santé :

veille et sécurité sanitaires, organisation de la permanence des soins ;

définition, financement et évaluation des actions de prévention et de promotion de la santé ;

anticipation et gestion des crises sanitaires, en liaison avec le préfet ;

élaboration des schémas régionaux d'organisation des soins (SROS).

 

Régulation selon des dimensions territoriale et économique :

définition des territoires de santé et organisation de l’accès aux soins sur ces territoires ;

autorisation de la création des établissements et services de soins et médico-sociaux, contrôle de leur fonctionnement et allocation de leurs ressources ;

définition et mise en œuvre avec les organismes d’assurance maladie et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie des actions propres à prévenir et à gérer le risque assurantiel santé en région ;

évaluation et promotion de la qualité des actions de formation des professionnels de santé.

Encadre

3. L’espérance de vie en France

L'espérance de vie a presque doublé au cours du XXe siècle.

Au milieu du XVIIIe siècle, la moitié des enfants mouraient avant l'âge de 10 ans, et l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. Elle atteint 30 ans à la fin du siècle, puis fait un bond à 37 ans en 1810, en partie grâce à la vaccination contre la variole. La hausse se poursuit à un rythme lent pendant le XIXe siècle, pour atteindre 45 ans en 1900. Au cours du XXe siècle, les progrès sont plus rapides, à l’exception des deux guerres mondiales. Les progrès liés à l’hygiène et à l’asepsie réduisent la mortalité infantile : 15 % des enfants nés en 1900 meurent avant 1 an, 5 % de ceux nés en 1950 et 0,4 % (4,4 pour 1 000 exactement) de ceux nés en 2000. Après 1950, ce sont les progrès dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires et les cancers qui contribuent à l’accroissement de l’espérance de vie. En 2000, l’espérance de vie en France atteint 79 ans, et elle dépasse 80 ans en 2004.

Selon l’Insee, l’espérance de vie à la naissance, comme l’espérance de vie en bonne santé (c’est-à-dire sans limitations d’activités ou sans incapacités majeures), répond à un enjeu de bien-être et mesure les résultats globaux de la politique de santé. Les différences par catégories sociales témoignent des inégalités à prendre en compte dans ce domaine.

Le nombre d’années de vie en bonne santé des hommes et des femmes de l’UE-27 augmente régulièrement. En France, en 2020, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance att­eint 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes. Entre 2008 et 2020, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance des femmes a augmenté de 1 an et 5 mois. Ce­tte augmentation est cependant essentiellement due à l’évolution observée entre 2019 et 2020 : entre 2008 et 2019, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance des femmes est en effet restée stable. La forte augmentation de l’espérance de vie sans incapacité à la naissance des femmes observée entre 2019 et 2020 demande donc à être confirmée en 2021. Celle des hommes augmente sur la même période de 1 an et 8 mois, en continuité avec l’évoluon observée depuis plusieurs années.

Pour en savoir plus

Gilles Pison. France, 2004 : L’espérance de vie franchit le seuil de 80 ans. Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques [INED]. Mars 2005;410:1-4.

État de santé de la population. Insee Références. 25/11/2021

Références

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3. Jackson GL, Powers BJ, Chatterjee R, Bettger JP, Kemper AR, Hasselblad V, et al. The patient centered medical home. A systematic review. Ann Intern Med 2013;158(3):169-78.
4. Campbell SM, Braspenning J, Hutchinson A, Marshall MN. Research methods used in developing and applying quality indicators in primary care. BMJ 2003;326(7393):816-9.
Beland F, Hollander MJ. Integrated models of care delivery for the frail elderly: International perspectives. Gac Sanit 2011;25(S):138-46.
Bindman AB, Majeed A. Organisation of primary care in the United States. BMJ 2003;326:631-4.
Blumenthal D et al. The performance improvement imperative. Utilizing a coordinated, community-based approach to enhance care and lower costs for chronically Ill patients. https://vu.fr/IKEw
Brunn M, Chevreul K. Prise en charge des patients atteints de maladies chroniques. Concepts, évaluations et enseignements internationaux. Santé Publique 2013;25:87-94.
Genet N et al. Home care across Europe. Current structure and future challenges. European Observatory on Health Systems and Policies 2012;27. https://vu.fr/PFtb
HCAAM. Avenir de l’assurance maladie : les options du HCAAM. Avis adopté à l’unanimité lors de la séance du 22 mars 2012. https://vu.fr/WSFA

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