La pancréatite chronique (PC) est caractérisée par des phénomènes inflammatoires intrapancréatiques récidivants, à l’origine d’une destruction du tissu exocrine et endocrine à long terme. L’intensité de ces phénomènes peut varier et se traduire par des manifestations cliniques diverses. Les anciennes classifications qui différencient pancréatite aiguë, récidivante et chronique sont obsolètes. Quand un facteur de risque constitutionnel ou environnemental est à l’origine d’une inflammation chronique du pancréas, on peut déjà parler de pancréatite chronique, même si les examens morphologiques sont « encore presque normaux ».
L’incidence et la prévalence de la PC ne sont pas clairement connues, car il y a un véritable problème de définition et de diagnostic, notamment dans les formes précoces où les anomalies ne sont pas caractérisables en imagerie. Les estimations issues de la littérature sont donc largement sous-évaluées. Ainsi, l’incidence serait de 4 à 32/100 000 et la prévalence de 26 à 99/100 000.1, 2
Le diagnostic morphologique repose sur un des deux éléments suivants : calcifications pancréatiques (parenchymateuses ou intracanalaires) et anomalies canalaires (alternance de dilatations et de sténoses). Il s’agit alors de formes avancées non réversibles. La scanographie pancréatique est l’examen de référence mettant en évidence les calcifications, la wirsungo-IRM révèle les lésions canalaires. La cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) n’a aucune indication à visée diagnostique. Dans les formes débutantes, les signes morphologiques peuvent être ténus, et l’écho-endoscopie pancréatique est alors un examen de choix.
La PC est donc la résultante soit d’un phénomène inflammatoire chronique (notamment au cours des pancréatites génétiques), soit de la multiplication de pancréatites aiguës.3

Quelles sont les causes ?

Au cours des dernières décennies, trois catégories étaient décrites : l’alcoolisme chronique, les pancréatites idiopathi­ques, et les autres causes dites « rares et marginales ». La physiopathologie de la PC étant aujourd’hui mieux comprise, cette classification est obsolète. Même si l’alcoolisme chronique reste prédominant en Occident et rend compte de plus de 80 % des PC, les interactions avec des anomalies génétiques, des troubles métaboliques et le tabagisme chronique sont maintenant de mieux en mieux appréhendées et expliquent une grande part de la physiopathologie. C'est pourquoi seuls 5 % des alcooliques chroniques feront une pancréatopathie au cours de leur vie.
Des facteurs de susceptibilité sont intriqués, la PC étant le fruit d’interactions multiples entre : consommation chronique d’alcool, de nicotine, facteurs héréditaires, obstructifs, immunologiques et métaboliques. Quelle que soit la cause prédominante, l’histoire naturelle et les complications restent similaires, seuls varient le délai et la fréquence d’apparition : douleurs aiguës et chroniques, insuffisance pancréatique exocrine et endocrine, et cancer du pancréas.

Haro sur le tabac !

Une méta-analyse a estimé un risque de PC pour les fumeurs actifs à 2,8 (1,8-4,2) et 2,5 (1,3-4,6) après ajustement sur la consommation d’alcool. Un effet-dose était constaté : le risque relatif de PC était de 2,4 (0,9-6,6) et 3,3 (1,4-7,9) pour des consommations respectives de < 1 et ≥ 1 paquet/j. Le tabagisme est un facteur de risque indépendant de pancréatite quels que soient les autres facteurs associés : alcoolisme, génétique...
Cette relation est dose-dépendante et modifie l’histoire naturelle. Le tabac favorise les formes graves, les calcifications, les complications et la survenue de cancer. Le sevrage doit être un objectif thérapeutique quel que soit le stade de la maladie.

Focus sur l’obésité

C’est probablement un nouveau facteur de risque. Dans des études de cohorte, il accroît la sévérité des pancréatites aiguës (RR : 2,48 [1,34-4,6]), le risque de complications locales (RR : 2,58 [1,2-5,57]), de mortalité (RR : 3,81 [1,22-11,83]). On peut se demander si l’obésité n’est pas en elle-même un facteur de risque indépendant de pancréatite. La masse adipeuse sous-cutanée et viscérale s’apparenterait à une nouvelle glande endocrine jouant un rôle central dans le métabolisme des lipides et des glucides. Elle synthétise cytokines et hormones – TNFα, interleukine-6, adiponectine, leptine, résistine et Plasminogen activator inhibitor-1 – à l’origine d’un syndrome inflammatoire chronique. Est-ce suffisant pour provoquer des lésions de pancréatite ? Des études cliniques et expérimentales sur modèles murins tentent de le démontrer.
D’un point de vue épidémiologique, dans une étude américaine chez 1 035 patients avec PC suivis pendant 6 ans, l’obésité était le seul facteur de risque trouvé dans plus de 30 % des cas. Il est très vraisemblable que son statut de facteur de risque indépendant de pancréatite soit prochainement validé sur de grandes cohortes.

Complications de la pancréatite chronique

Plus de 80 % des patients ont des douleurs aiguës, récidivantes ou chroniques requérant un traitement. Elles sont à l’origine d’une dépendance aux opiacés, d’une désocialisation, de problèmes familiaux et professionnels. La physiopathologie est complexe. La prise en charge, en milieu spécialisé, prend en compte les dimensions psychologique et sociale. Les traitements endoscopiques et chirurgicaux doivent être discutés au cas par cas. Il est primordial d’obtenir un sevrage complet de l’alcool mais également du tabac, facteur de risque majeur de douleur chronique.4
L’insuffisance pancréatique exocrine (IPE) se caractérise par une stéatorrhée, des selles abondantes, nauséabondes, collantes, parfois à l’origine d’une perte de poids. L’examen de référence est le dosage de l’élastase fécale, effectué en routine en laboratoire sur un petit échantillon de selles sans régime spécifique préalable. Une valeur < 200 µ/µg de selles signe une IPE.
Le diabète, complication tardive au cours de l’histoire naturelle, est de type 3 dit pancréatoprive. Il peut être traité initialement par des antidiabétiques oraux, puis rapidement par une insulino­thérapie.
La PC est un facteur de risque bien connu de l’adénocarcinome du pancréas. Si elle est d’origine alcoolique, le risque est estimé à 20 fois celui en population générale. Cependant, le taux brut de cancer n’est que de 4 % par an. Ainsi le dépistage systématique n’est pas recommandé. Seule la PC génétique liée à des mutations du gène PRSS1 fait l’objet d’un dépistage annuel à partir de 40 ans et en milieu spécialisé (risque de cancer estimé à 80 fois celui de la population générale).
Toutefois, il faut être extrêmement vigilant chez tous les malades. En cas de réapparition de douleur ou d’amaigrissement non expliqués, de diabète, une scanographie pancréatique est recommandée pour éliminer une tumeur sous-jacente.

Prise en charge

Un sevrage alcoolique mais égale­ment tabagique doit être obtenu dans un service d’addictologie. Un soutien psychologique, et le traitement d’un syndrome dépressif doivent toujours être discutés.
Une évaluation nutritionnelle est recommandée chez ces patients souvent amaigris. Des compléments oraux peuvent être proposés, voire une nutrition entérale en cas de dénutrition sévère.
Pour les douleurs chroniques, toutes les alternatives thérapeutiques (antalgiques, adjuvants, relaxation, hypnose, endoscopie parfois, chirurgie rarement) doivent être discutées pour limiter la prescription de dérivés morphiniques au long cours.
L’insuffisance pancréatique exocrine, affirmée par le dosage de l’élastase fécale, est traitée par des extraits pancréatiques à prendre lors (et au milieu) de chaque repas. La quantité est à adapter à la prise alimentaire (charge calorique). Un minimum de 40 000 UI d’enzymes par repas est recommandé.
En cas d’insuffisance pancréatique chronique, la recherche de carences vitaminiques est biannuelle (vitamines A, E, D, B9, B12, ferritinémie). Une supplémentation doit être prescrite régulièrement en fonction des carences. Dépistage annuel du diabète (glycémie à jeun).
En cas de résurgence de douleur pan­créatique, d’amaigrissement non expliqué et lors de l’apparition d’un diabète, une scanographie pancréatique s’impose pour éliminer une tumeur pancréatique évolutive.

Encadre

Causes de pancréatite chronique

Alcoolisme chronique

Durée d’exposition > 10 ans

 

Tabagisme chronique

Durée minimale d’exposition > 10 ans

 

Causes obstructives

Pancréas divisum, sténose canalaire post-traumatique, tumeur bénigne ou d’évolution lente, malformation pancréatique

 

Troubles métaboliques

Hypercalcémie, hypertriglycéridémie

 

Pancréatite auto-immune

 

Génétique

Gènes en cause : PRSS1, CFTR, SPINK1, CTRC, CaSR, CPA1, Cel-Hyb

Références

1.  Global Burden of Disease Study 2013 Collaborators. Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 301 acute and chronic diseases and injuries in 188 countries, 1990-2013: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. Lancet 2015;386:743-800.
2. Yadav D, Lowenfels AB. The epidemiology of pancreatitis and pancreatic cancer. Gastroenterology 2013;144:1252-61.
3. Kleeff J, Whitcomb DC, Shimosegawa T, et al. Chronic pancreatitis. Nat Rev Dis Primers 2017;3:17060.
4. Drewes AM, Olesen AE, Farmer AD, Szigethy E, Rebours V, Olesen SS. Gastrointestinal Pain. Nat Rev Dis Primers 2020;6:1.

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essentiel

Le diagnostic de pancréatite chronique repose sur scanner ET IRM pancréatique.

La douleur, complication fréquente (80 %), est difficile à soulager. PAS d’opiacés au long cours.

L’insuffisance pancréatique exocrine requiert une supplémentation enzymatique ad vitam et un suivi biologique biannuel pour limiter les carences.

La pancréatite chronique expose au risque d’adénocarcinome du pancréas.