Les brûlures de l’enfant en Guyane peuvent nécessiter un transfert en métropole pour le recours à des soins de réanimation si le pronostic initial vital et/ou fonctionnel est mis en jeu. La rééducation qui s’ensuit est souvent longue, ce qui induit, entre autres, une rupture de l’enfant avec son environnement familial. Les défis sont multiples : prévention, formation des professionnels de santé en Guyane pour permettre un retour plus précoce des enfants, prise en charge des brûlures peu sévères mais, du fait de leur localisation, à haut risque de séquelles fonctionnelles.
Une étude a été réalisée concernant tous les enfants hospitalisés pour brûlures au centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne entre janvier 2010 et décembre 2022. Elle a permis d’inclure 358 patients, dont 9,5 % ont dû être transférés en métropole. Ces patients avaient un âge moyen de 3,8 ans et 70 % d’entre eux avaient moins de 5 ans.1
Guyane : une population jeune, multi-ethnique et précaire
La Guyane est une région et un département français d’outre-mer situé en Amérique du Sud. Elle est la plus grande région de France et la moins peuplée,2 son territoire étant à 90 % recouvert par la forêt amazonienne.
La population guyanaise recensée comptait 288 133 habitants en 2020, avec une part des moins de 14 ans d’environ un tiers. La croissance démographique y est soutenue : la variation annuelle moyenne de la population a été de 2,1 % entre 2014 et 2020.2
Il existe une immigration provenant principalement du Brésil, d’Haïti et du Suriname (environ 36 % de la population) et 4 000 Hmongs (issus des réfugiés du Laos en 1974 et 1977). Le nombre d’Amérindiens, premiers habitants du territoire, est estimé à moins de 10 000 personnes.3 Les Guyanais de langue maternelle créole représentent environ un tiers de la population, les Antillais créolophones 5 % et les Guyanais d’origine métropolitaine 13 %. Les Bushinengués (environ 6 % de la population) sont des descendants d’esclaves ayant fui les plantations hollandaises voisines aux XVIIIe et XIXe siècles pour se réfugier dans la forêt. À partir de la fin du XIXe siècle, Chinois, Saint-Luciens et Syrio-Libanais ont immigré en Guyane, de même que des travailleurs originaires du sous-continent indien, arrivés dans les Caraïbes après l’abolition de l’esclavage.3
En 2020, 45,4 % de la population n’avait aucun diplôme ou certificat d’études primaires. Le taux de chômage était de 32 %.2
Un accès aux soins difficile
Le littoral, les bassins urbains de Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou et Cayenne concentrent l’essentiel des services de soins. Il existe en Guyane trois hôpitaux principaux (le centre hospitalier de Cayenne Andrée-Rosemon [CHAR], le centre hospitalier de l’ouest guyanais [CHOG] à Saint-Laurent-du-Maroni et le centre médico-chirurgical de Kourou), ainsi que dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS) [figure].
Y exercent aussi des professionnels de santé libéraux et y sont implantés des réseaux de soins (pour la périnatalogie, par exemple). Un établissement de soins médicaux et de réadaptation (SMR) pédiatrique, en hospitalisation de jour, a été inauguré à Cayenne en 2016.
Pour certains sites, les difficultés d’accès et de déplacement sont grandes. Au sud de la Guyane notamment, la forêt amazonienne rend la pénétration du territoire difficile ; aucune route nationale ne dessert l’intérieur du territoire.
Si la Guyane est le port spatial de l’Europe, les déplacements vers les communes de l’intérieur ne peuvent parfois se faire que par avion ou par voie fluviale ; la navigation y est dangereuse durant la saison des pluies ou du fait de l’existence de « sauts » ou de passages rocheux. L’ensemble de ces contraintes rend long et compliqué l’accès aux soins pour certains patients.
Les pathologies observées sont aiguës et chroniques, infectieuses et non infectieuses, cosmopolites et tropicales. Elles sont parfois bien spécifiques à la Guyane (intoxication au mercure liée à l’orpaillage, par exemple).4
Brûlés en Guyane, soignés en métropole
Les enfants atteints de brûlures sévères en Guyane et dont le pronostic vital et/ou fonctionnel est engagé sont adressés à l’hôpital Trousseau (Paris), en réanimation pédiatrique des brûlés.
L’hôpital de pédiatrie et de rééducation (HPR) de Bullion assure, quant à lui, une activité de services de SMR ; il accueille des patients ayant une pathologie chronique (polyhandicap, maladies métaboliques, pathologies digestives), des brûlures sévères ou pour rééducation à la suite d’une intervention chirurgicale.
Impact d’un transfert de longue durée
On compte 4 % de patients guyanais à l’HPR de Bullion, dont environ la moitié hospitalisés pour brûlures.5
À l’heure actuelle, il n’existe pas, en Guyane, de structures de soins permettant d’assurer la rééducation pluridis-ciplinaire post-brûlure (soins de cicatrisation, postures cutanées, réalisation d’orthèses et de vêtements compressifs, chirurgie des séquelles, prises en charge diététique et psychologique…). Cela induit de longues hospitalisations en -métropole, d’autant que le prurit post-brûlure entraîne des plaies qui allongent la durée de cicatrisation.6 Cela n’est pas sans conséquences pour ces enfants : perte de la langue vernaculaire, perturbation du lien parent-enfant, en particulier s’ils ne peuvent pas être accompagnés.
Par ailleurs, lors du retour en Guyane, l’accès à une offre de soins de rééducation, au renouvellement des orthèses ou de vêtements compressifs et à un suivi médical est difficile, d’autant plus si les patients ne résident pas sur le littoral.
Quelques pistes pour améliorer le suivi en Guyane
D’abord, former
Une formation sur la prise en soins des cicatrices de brûlures et le dépistage des séquelles a été organisée avec un médecin de CDPS et l’équipe médicale et paramédicale de l’établissement de SMR. En effet, la rééducation doit être assurée tout au long de la maturation cicatricielle, et la surveillance cutanée doit être poursuivie jusqu’à la fin de la croissance.6
Faciliter les liens entre SMR guyanais et de métropole
Les patients originaires des communes de l’intérieur peuvent avoir recours aux CDPS, où le médecin assure le suivi. Un projet de téléconsultation pour avis médical avec le médecin du SMR de Bullion est en cours de construction, avec possibilité de rééducation intensive et éventuelle reprise chirurgicale durant une hospitalisation en métropole ou rééducation intensive en cas de séquelle fonctionnelle. Il est également envisagé de partager le programme d’éducation thérapeutique entre les deux SMR pour la poursuite de l’éducation et de l’accompagnement.
S’appuyer sur les maisons d’accueil et les réseaux
Le projet IPOK, déployé en 2021, met à disposition une maison d’accueil pour les personnes en situation de handicap et leur famille (à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni) devant se déplacer sur le littoral à cause du handicap.7 Il pourra peut-être permettre la prise en charge des enfants pour rééducation post-brûlure.
Le réseau de pharmacies permettant la prise de mesures et le renouvellement des vêtements compressifs est en cours d’organisation.
L’objectif à terme est de permettre un retour en Guyane plus précoce des enfants hospitalisés, de poursuivre la prise en charge à proximité de leur domicile et de dispenser des soins spécifiques aux patients dont le transfert en métropole n’est pas indispensable.
Le plus grand défi reste celui de la prévention, message pouvant être difficile à entendre par des populations parfois précaires et pratiquant l’agriculture sur brûlis (abattis).8
Parcours d’enfants guyanais brûlés : trois cas pour illustrer
Indispensable médiation culturelle
Un garçon âgé de 6 ans, issu d’une communauté bushinenguée, originaire de Grand-Santi (commune de l’ouest guyanais distante de 239 km de Cayenne) [figure] est tombé dans le brasier allumé pour l’abattis familial. La surface cutanée brûlée s’élève à 65 %.
Les premiers soins ont été donnés deux heures après la brûlure dans le centre de santé de Grand-Santi, puis l’enfant a été transporté par le SAMU en hélicoptère à l’hôpital de Cayenne. Devant les troubles de conscience et la sévérité de la brûlure, le transfert vers l’hôpital Trousseau de Paris a été programmé deux jours plus tard. De multiples greffes de peau ont été nécessaires durant le séjour de quatre mois et demi ; l’enfant a ensuite été transféré à l’HPR de Bullion pour la suite de la prise en charge.
À l’arrivée, une brûlure sévère avec lyse de greffe et un retard de cicatrisation important entretenu par un prurit ont été constatés, surtout au niveau des deux membres inférieurs. L’enfant avait, par ailleurs, une atteinte majeure des deux pieds avec les chevilles en équin, les pieds en varus, et des griffes dorsales des orteils. Il a été pris en charge quotidiennement pour des postures cutanées et des soins de cicatrisation. L’équipe pluriprofessionnelle a rencontré des difficultés dans la prise en charge globale, notamment du fait de la douleur majorée par des croyances culturelles. Les échanges avec la mère accompagnante et l’instituteur en Guyane ont permis d’apporter des réponses afin d’améliorer son accompagnement. Il est resté sept mois à l’HPR de Bullion. Une année plus tard, l’enfant a été de nouveau hospitalisé à Bullion – cette fois de façon programmée – pour prise en charge de syndactylies au niveau des orteils du pied droit.
Cet exemple permet de montrer l’importance de connaître les coutumes, habitudes de vie et culture des enfants hospitalisés.
Former l’entourage aux soins
Un garçon âgé de 5 ans, issu d’une famille guyanaise d’origine métropolitaine, a été brûlé par des braises au domicile à Saül, commune centrale située à 180 km de Cayenne, uniquement accessible par voie aérienne [figure].
La surface corporelle brûlée était d’environ 6 %, au niveau de la main et de l’avant-bras droit circulaire en proximal.
L’enfant a été pris en charge à l’hôpital de Cayenne, avec analgésie multimodale et réfection d’un pansement sous anesthésie générale, puis transféré à l’hôpital Trousseau de Paris.
Devant l’absence de cicatrisation spontanée des brûlures, une greffe de peau a été réalisée. L’hospitalisation a duré un mois et demi. Il a ensuite été transféré à l’HPR Bullion, où il est resté cinq mois pour la poursuite des soins de cicatrisation.
En raison de l’isolement de la commune de Saül et de l’absence de professionnel de rééducation sur place, il a été exceptionnellement décidé de former la mère à la réalisation des postures cutanées. La présence et l’implication parentale ont été un réel levier pour permettre un retour précoce au domicile.
Un éloignement aux lourdes conséquences
Un garçon de 19 mois, issu d’une famille bushinenguée, résidant près de Paramaribo (capitale du Suriname, distante de plus de 150 km de Saint-Laurent-du-Maroni), est tombé dans un seau d’eau bouillante destiné au bain de sa sœur.
Il a été hospitalisé à l’hôpital de Paramaribo pendant un mois, durant lequel il aurait eu des excisions chirurgicales au bloc et des réfections régulières de pansements en chambre sous sédation. Le compte rendu et le carnet de santé n’étaient pas disponibles. À la sortie de l’hôpital de Paramaribo, une consultation a été effectuée au centre hospitalier de l’ouest guyanais (CHOG). L’enfant avait alors des brûlures non cicatrisées sur 35 % de la surface cutanée totale, au niveau des flancs, du dos et des membres inférieurs. Son état a nécessité une hospitalisation de quarante-huit heures pour réhydratation, correction des troubles ioniques, perfusion d’albumine, puis un transfert vers le centre hospitalier de Cayenne a été organisé. Il y est resté dix jours pour stabilisation dans un contexte d’œdème aigu pulmonaire de surcharge, puis de choc septique à point de départ cutané et urinaire avec défaillance hémodynamique. Il a ensuite été transféré au service de réanimation des brûlés de l’hôpital Trousseau de Paris où il a bénéficié de deux greffes de peau mince. L’hospitalisation a duré deux mois, avant une admission à l’HPR de Bullion. Les soins locaux ont été poursuivis et la rééducation avec postures cutanées débutée. Des vêtements compressifs ont été confectionnés sur mesure. Il a ensuite été pris en charge en psychomotricité et sur le plan psychologique ; cette hospitalisation a duré quatre mois supplémentaires.
Avant la sortie, une visioconférence a été organisée pour informer la mère des soins à poursuivre. Un homme se présentant comme l’oncle de l’enfant a pu faire office de traducteur pour la mère non francophone. Il s’est également rendu disponible pour accueillir l’enfant à son retour à l’aéroport de Cayenne et le ramener à sa mère. Lors d’un appel téléphonique une semaine après la sortie, l’oncle a transmis plusieurs informations à l’infirmière de coordination d’éducation thérapeutique de Bullion :
- les relations entre l’enfant et sa mère avaient été difficiles au retour, du fait de la séparation de plusieurs mois ;
- les vêtements compressifs n’étaient plus adaptés en raison d’une perte de poids ; l’enfant s’était habitué à la nourriture proposée au SMR de métropole et refusait celle préparée par sa mère. Des conseils hygiénodiététiques ont pu être donnés.
2. Insee. Dossier complet. Département de la Guyane (973). Novembre 2023 (en ligne, consulté en décembre 2023). Disponible sur https://bit.ly/3RcTh5B
3. Zouari I. La Guyane, une mosaïque de populations. Population & Avenir 2015;725(5):15-7.
4. Epelboin L, Abboud P, Abdelmoumen K, et al. Panorama des pathologies infectieuses et non infectieuses de Guyane en 2022. Med Trop Sante Int 2023:17;3(1):308.
5. Rapport d’activité 2022 de l’hôpital de pédiatrie et de rééducation Bullion.
6. Chambon F, Joly-Parets L, Boulenoir M, et al. Douleur dans la rééducation des brûlures de l’enfant. Rev Prat Med Gen 2023;37(1077);227-30.
7. Bourgarel S, Dimbour T, Marabet B. Offre et besoins dans le champ du handicap en Guyane. CREAI Nouvelle-Aquitaine. Délégation Guyane. 2022.
8. Tsayem Demaze M, Manusset S. L’agriculture itinérante sur brûlis en Guyane française : la fin des durabilités écologique et socioculturelle ? Cahiers d’Outre-Mer 2008;241-242:31-48.