Ni la personne âgée ni le personnel soignant ne désirent spontanément aborder en institution les questions relatives à la fin de vie. Comment le faire ?
L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) a établi des recommandations concernant la qualité de vie en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Elle explique que « les échanges avec les résidents autour de la mort, la leur et celle des autres, leur permettent d’exprimer, s’ils en ressentent le besoin, leurs doutes, angoisses et interrogations ».1 Les mots utilisés traduisent bien toute la difficulté de ce sujet. Le moment préconisé pour cette discussion n’est pas précisé. L’ANESM évoque simplement « au cours de son séjour ». Quelques pistes sur la façon de mener ces entretiens sont apportées, mais nous sentons tous que ce thème n’est pas plus neutre pour le patient que pour le professionnel.

Un sujet difficile pour le patient et le professionnel

Lorsqu’elles sont interrogées sur ce sujet lors de leur entrée en institution, certaines personnes âgées même très avancées en âge ou très malades déclarent qu’elles ne souhaitent pas anticiper. Elles envisagent d’en parler lorsqu’elles seront concernées.2, 3 D’autres pensent que leur médecin n’a pas le temps ou même que leurs éventuelles directives anticipées ne seront pas respectées.3 Dans une interview accordée à la fédération « Jusqu’à la mort accompagner la vie », Jérôme Alric rappelle que « l’humain n’a pas l’entière maîtrise de lui-même. Et parmi les choses qui échappent, il y a d’abord et en premier lieu le rapport à sa propre mort ». Il précise ce constat : « Le moi du patient qui va mourir, à la fois sait et ne sait pas ». « “Je me sais mortel, mais je me veux immortel”, disait Freud ».4 L’espace éthique de la Fédération hospitalière de France résume la difficulté de l’échange sur la fin de vie en ces termes : «  On voit donc très bien la complexité de ce processus puisqu’il s’agit d’arriver à ce que les deux protagonistes principaux que sont le médecin et la personne malade parviennent à aborder ce que ni l’un ni l’autre ne souhaitent : l’inefficacité des traitements et la perspective de la fin de la vie et de la mort ».5 Une revue de la littérature sur la planification anticipée des soins établit les faits suivants : si les médecins pensent que ces sujets relèvent de leur responsabilité, ce constat concerne, selon eux, surtout les patients atteints d’affections chroniques ou sévères plutôt que toute personne âgée. Ils notent des difficultés plus importantes avec les personnes polypathologiques qu’avec celles qui ont une pathologie bien identifiée et létale. Ce constat est mis en lien avec l’incertitude du déclin et du pronostic des premières. La crainte d’un effet négatif de ces discussions sur l’espoir que le patient met dans la relation médecin-patient est soulignée. La même étude mentionne aussi le manque de temps et de formation pour aborder ce sujet.3 Ces constats expliquent sans doute que ni les médecins traitants ni les gériatres ne parlent régulièrement de la fin de vie avec leurs patients.
Pourtant, le fait que ce sujet ne soit pas facile à approcher et qu’il génère de l’angoisse ne doit pas suffire pour ne pas l’aborder. L’enjeu n’est pas tant de « satisfaire » les résidents que de leur être utile. Et parfois être utile nécessite de déplaire. L’essentiel est donc probablement plus dans la forme (la façon dont la discussion est menée) que dans le fond. Dans son avis 121, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé affirme que « c’est probablement parce que la possibilité de rédiger des directives anticipées est évoquée trop tard et quelles sont dépourvues de valeur contraignante qu’elles ne sont le plus souvent pas formulées ».6 La loi du 2 février 2016 répond à une partie de ce constat : les « directives anticipées s’imposent au médecin… ».7 Pour autant, elle ne précise pas quand aborder le sujet.

Quand et comment aborder le sujet de la fin de vie ?

Les personnes âgées sont gênées, stressées, bouleversées et angoissées par cette question de la fin de vie :2, 3« La fin de vie est un temps marqué par les incertitudes et la peur.»8 L’entrée en EHPAD représente déjà un deuil voire plusieurs deuils (ancienne vie et ses habitudes, domicile, séparation d’avec un époux ou épouse, d’un animal de compagnie…). La période d’entrée en institution ne semble donc pas opportune pour aborder ce sujet.
L’ANESM place cette réflexion dans le programme d’accompagnement personnalisé. Elle note qu’il convient d’aborder la fin de vie avec le résident « au cours de son séjour en EHPAD ». Cela ne peut pas se concevoir dans les premières étapes du programme d’accompagnement personnalisé, proches de l’entrée du résident, sauf sous forme simple d’évocation pour permettre à la personne d’y réfléchir. En effet, il est nécessaire de placer ces discussions dans une prise en charge suffisamment longue pour qu’une relation de confiance soit établie, que la personne âgée soit parfaitement connue des soignants9 et qu’elle ait le temps d’élaborer sa réflexion progressivement sur ce sujet, à l’occasion de différentes discussions. Il ne s’agit pas d’un entretien unique mais bien d’un « cheminement » et même d’une « négociation permanente ».5 En EHPAD, plusieurs mois de séjour s’avèrent nécessaires pour installer une certaine sécurité sur le lieu de vie et ainsi permettre d’aborder ces questions angoissantes lorsque les résidents commencent à se sentir « chez eux » et ont pu créer des liens de confiance avec les soignants. Pour travailler ces sujets plus tôt, ne serait-il pas judicieux de s’appuyer sur la durée et la confiance qui sont le propre de la relation développée entre le médecin traitant et son patient ? Lorsque la dépendance compromet le maintien à domicile et que les discussions autour de l’entrée en institution deviennent nécessaires, la fin de vie pourrait être abordée au travers du lieu pour cette fin de vie. Le médecin traitant connaît l’histoire de vie de son patient, ce qui lui permet de l’aider dans sa réflexion. D’autres acteurs du soin peuvent être interpellés à ce moment-là par le patient : l’infirmière libérale, le service de soins à domicile, les proches… La pluridisciplinarité des interlocuteurs est ainsi citée comme un atout à plusieurs reprises. Elle inclut le médecin, les soignants mais aussi la personne de confiance ou des proches dans le cadre d’une éventuelle triangulation.3, 9 Cette pluridisciplinarité implique en revanche une coordination efficace afin d’assurer au patient une prise en charge continue et cohérente.8 Celle-ci repose sur une traçabilité des échanges, laquelle est facilitée en EHPAD par les réunions de transmissions et par le dossier médical informatisé. Au domicile, elle est possible dans le cadre d’un réseau par le biais de la coordination. Elle demande plus de rigueur et de volonté s’il s’agit d’un exercice libéral indépendant.
L’écoute, la reformulation sont des outils qui permettent de mieux comprendre les souhaits et les objectifs des patients mais aussi d’apprécier l’impact psychologique de l’échange afin d’éviter de le poursuivre s’il s’avère trop difficile pour la personne.5, 9 L’équipe ayant évalué les procédures mises en place au centre hospitalier universitaire de Brest pour rendre effectives la personne de confiance et les directives anticipées précise que « la façon dont les soignants parlent de ces prérogatives est aussi importante que la clarté de leurs connaissances ».2 Un autre auteur livre l’analyse qui suit sur le rôle du médecin : « La parole médicale n’a pas du tout la même résonance lorsque le médecin s’adresse au malade sur le registre du savoir ou lorsqu’il engage le registre de son humanité. Employé sans ménagement, le premier peut être brutal, criminel même... Le deuxième, par contre, relève d’un tout autre ordre. Sans renier l’apport du savoir, il appartient à la logique de la communication et de la solidarité humaine. Sa vérité n’est autre que le fruit d’un humble partage, celui d’une commune condition humaine, dans lequel le silence, l’écoute et la présence valent plus que tout ».10

Valoriser la formation à la communication du personnel soignant

Ces recommandations laissent entendre toute l’importance de la formation du personnel soignant. La prise en charge de la fin de vie comporte une dimension psychologique et spirituelle qui nécessite une implication personnelle des professionnels de santé et une réflexion sur leur propre finitude. « Vous ne pourrez aider un mourant que lorsque vous aurez reconnu que sa peur de mourir vous perturbe et réveille en vous des peurs très dérangeantes ».11 La formation doit aborder la façon d’être, la disponibilité, la formulation et les mots, l’importance de certains silences au regard de la psychologie concernant la fin de vie. Il s’agit de modifier les comportements, ce qui demande du temps et beaucoup de volonté tant de la part des enseignants que des enseignés.
La formation citée ci-dessus devrait rendre le personnel soignant sensible à ce ressenti de leurs interlocuteurs. Ainsi, si les directives anticipées et la personne de confiance sont des outils pour ouvrir cette discussion importante, il convient que les tutelles n’exigent pas que des directives anticipées soient rédigées pour tous les résidents : elles doivent être évoquées et proposées systématiquement mais leur rédaction ne peut pas se concevoir comme une obligation pour les personnes âgées. Cette remarque a d’autant plus d’importance que les directives anticipées et la personne de confiance facilitent souvent la prise en charge médicale des patients. Aussi, il est souhaitable que les professionnels gardent en permanence une réflexion éthique sur leurs interventions. En effet, ces discussions sur la fin de vie ont pour objectif de servir les patients, afin de leur permettre d’élaborer et de faire valoir des choix ainsi que de poser des mots sur leurs angoisses. Elles n’ont pas vocation à faciliter la tâche des réanimateurs sans recueillir l’avis du résident pas plus qu’elles n’ont pour but d’éviter aux soignants d’assumer les décisions qui leur reviennent si le patient leur confie clairement cette réflexion. La loi sur la fin de vie ouvre un droit aux patients. Il ne s’agit pas d’un devoir pour eux. En revanche, en tant que soignants, nous avons le devoir de leur offrir la possibilité de mettre en mots ce qui les angoisse ou ce qui importe pour eux en respectant leur rythme et leur capacité à affronter ces peurs.

DES SOIGNANTS DISPONIBLES

La fin de vie est un sujet important parce qu’angoissant. Il convient de l’aborder dans le cadre d’une relation de confiance qui repose sur la durée. La relation médecin traitant-patient offre parfois des moments pour évoquer ce sujet lorsque la perte d’autonomie amène le patient à se poser la question de son avenir avant l’entrée en institution. Ensuite, cette discussion peut s’inscrire dans le cours de la prise en charge en EHPAD mais au-delà du moment de deuil que représente l’entrée. Elle s’appuie alors sur les liens tissés entre le personnel et le résident et sur la sensibilité des soignants pour ajuster leur écoute et leurs réponses aux capacités du résident à avancer sur ce sujet. Parler de la fin de vie dépasse le cadre médical strict et doit s’appuyer sur une relation de confiance, d’une part, et sur une pluridisciplinarité avec des échanges en équipe, d’autre part.
Pour évoquer la fin de vie, il faut que les professionnels sachent entendre les personnes âgées : reporter toute discussion sur ce sujet dès lors que le résident n’est pas prêt à l’évoquer ou accepter d’en parler si celui-ci l’aborde spontanément. Cette disponibilité des soignants suppose que ceux-ci soient à tout moment « au clair » avec leur propre finitude, formés à l’écoute, à la psychologie de la fin de vie et à l’éthique autour de cette période. En effet, le but de ces discussions n’est pas de faciliter la décision de réanimer ou pas en cas de décompensation : il n’y a alors qu’un pas pour oublier de demander l’avis du patient. Il s’agit bien d’accompagner celui-ci dans ces choix et de n’assumer les décisions que si le malade en exprime le souhait.
Encadre

Cette tribune a été écrite à la suite d’un travail de recherche pilote. L’étude visait à déterminer s’il existait un moment clé pour aborder les directives anticipées. Le travail s’est centré autour d’un échantillon de quatre résidents entrant en EHPAD et pouvant bénéficier d’entretiens sur la fin de vie. Le verbatim a été recueilli et analysé. Chaque résident a été rencontré moins d’un mois après son entrée en institution puis de nouveau huit jours plus tard. L’entrée en EHPAD est-elle le bon moment pour aborder le sujet de la fin de vie ? Le fait d’avoir évoqué les directives anticipées avec les résidents leur permet-il d’avancer dans leur réflexion ? Telles étaient les questions auxquelles ce travail de recherche pilote tentait de répondre.Chacun des résidents, issu de milieu modeste, a fait preuve de difficultés pour s’approprier le sujet, avec un manque d’implication dans la discussion et des réponses par onomatopées. La première résidente, une femme de 77 ans, a éprouvé une angoisse telle que le premier entretien a dû être écourté. Elle a accepté le second, a désigné une personne de confiance et a évoqué la possibilité de vivre sa fin de vie à l’EHPAD. Le deuxième résident, un homme âgé de 63 ans, a ressenti de l’angoisse lors du premier entretien. Pendant le second, il a reconnu que le sujet méritait d’être abordé, a désigné une personne de confiance, a émis le souhait de ne pas souffrir et a évoqué la possibilité de finir ses jours à l’EHPAD, où le personnel est formé, plutôt qu’à l’hôpital. La troisième résidente, une femme âgée de 96 ans, pensait qu’il était normal d’aborder le sujet mais elle n’y avait pas réfléchi elle-même. Lors du second entretien, elle est parvenue à se demander si elle serait angoissée au moment de la fin. Le quatrième résident, un homme âgé de 81 ans, a exprimé le même fatalisme d’un entretien à l’autre : « Ben, de toute manière quand ce sera la fin, ce sera la fin… »

Références
1. Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Qualité de vie en EHPAD (volet 4). L’accompagnement personnalisé de la santé du résident. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, ANESM, septembre 2012 : p. 5, 81, 82, 84, 86, 88. www.has-sante.fr ou http://bit.ly/2LmnH6L

2. Floch M, Boles JM. Effectivité de la personne de confiance et des directives anticipées : évaluation de procédures institutionnelles au CHU de Brest. Rev Gen Droit Med 2011;39:7-22.

3. Sharp T, Moran E, Kuhn I, Barclay S. Do the ederly have a voice? Advance care planning discussions with frail and older individuals: a systematic literature review and narrative synthesis. Br J Gen Pract 2013;63:e657-68.

4. Schaerer R. Le malade doit-il vraiment affronter sa mort et le peut-il ? Questions posées à Jérôme Alric. Revue de la fédération JALMALV;104:19-23.

5. Fédération hospitalière de France, Espace éthique. Avis sur les contraintes éthiques des directives anticipées contraignantes concernant une personne atteinte d’une maladie grave. www.fhf.fr ou http://bit.ly/2DMv551

6. Comité consultatif national d’éthique. Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir. Avis 121 du CCNE, juin 2013. www.ccne-ethique.fr ou http://bit.ly/2PIZjuj

7. Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. JO du 3 février 2016 : texte 1 sur 124. https://www.legifrance.gouv.fr ou http://bit.ly/2WgJTQy

8. Borasio GD, Aubry R. La fin de vie. Ce que l’on sait. Ce que l’on peut faire. Comment s’y préparer. Paris : Éditions Eyrolles, 2016:105.

9. Senasson D. Comment parler à un mourant ? Rev Prat Med Gen 2011;25:296-8.

10. Burdin L. Parler la mort. Des mots pour la vivre. Paris : Éditions Desclée de Brouwer, 2008:43.

11. Sogyal R. Le livre tibétain de la vie et de la mort. Paris : Éditions de la Table Ronde, 2013:331.

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