Médecin généraliste à Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier), il est président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs depuis juin 2019 et coordonnateur du réseau de soins palliatifs de l’Allier depuis 14 ans.

Quelle est la différence entre soins palliatifs et soins de support ?

Les deux sont liés. Alors que les soins de support sont délivrés à chaque fois qu’un malade a besoin d’un accompagnement spécifique en complément du traitement de son affection, les soins palliatifs sont proposés aux personnes souffrant d’une maladie grave et évolutive. Beaucoup de gens croient qu’ils sont réservés à la toute fin de vie. En fait, ils commencent dès l’annonce d’un diagnostic potentiellement fatal. Au fur et à mesure de la prise en charge d’un patient atteint d’une maladie grave, les soins palliatifs prennent progressivement le pas sur les soins curatifs, ceux qui sont dirigés contre la maladie (un cancer quatre fois sur cinq).

À la SFAP, nous défendons une approche globale dirigée sur l’ensemble des souffrances, physiques, psychiques, spirituelles, celles du patient comme celles de son entourage, voire de son équipe soignante. Nous considérons la mort comme un processus naturel et nous refusons de la donner intentionnellement.

Quel est le rôle des généralistes dans les soins palliatifs ?

En moyenne, un médecin traitant s’occupe de trois à cinq fins de vie complexes à domicile par an. A priori, ça n’est donc pas très fréquent. Mais en fait si nous tenons compte de ce que je viens de dire, ça l’est bien davantage, parce qu’il intervient beaucoup plus tôt dans la prise en charge. C’est souvent lui qui est à l’origine du diagnostic ou de son annonce, ou tout au moins des premières investigations qui vont y conduire. Il sait très bien accompagner son patient dans cette période de « pré-annonce », par exemple en le revoyant deux ou trois jours après pour reformuler ce qu’a dit un spécialiste, vérifier ce qu’il en a compris, prescrire des traitements destinés à soulager la douleur et, au besoin, pour le conseiller sur les plans psychologique, social ou professionnel en l’orientant vers un psychologue, une assistante sociale, etc. Il devient le chef d’orchestre de l’ensemble de cette prise en charge : il fait des soins palliatifs sans le savoir, quotidiennement, pour beaucoup de ses patients !

Le problème est que bien souvent, à partir d’un certain stade évolutif, les malades voient beaucoup plus régulièrement, voire exclusivement, leurs spécialistes (oncologues ou autres) que leur médecin traitant. Celui-ci peut se sentir désinvesti, parfois même exclu. Cela peut durer des mois, voire des années et brutalement arrive un jour où il est contacté pour gérer à nouveau la prise en charge alors qu’il a le sentiment de ne plus connaître son malade. C’est pour cela qu’il faut conseiller aux patients de garder un lien régulier avec lui pour le tenir au courant de ce qui se passe.

Les généralistes ont également un rôle important pour les informer sur leurs droits. Ils sont notamment de plus en plus souvent sollicités pour les conseiller sur l’élaboration de leurs directives anticipées. On estime aujourd’hui que 14 % des individus les ont rédigées, contre 1 à 2 % il y a quelques années. Je pense qu’il faut que cela soit valorisé financièrement, comme une consultation complexe, parce que ça prend beaucoup de temps, cela peut nécessiter plusieurs rendez-vous.

Quand demander l’aide d’une équipe de soins palliatifs ?

Dans les mêmes circonstances que pour toute demande d’avis de spécialiste. La plupart du temps, il s’agit de problématiques chronophages requérant des compétences multiples, en particulier pour les traitements de la douleur. L’outil Pallia 10 peut aider à décider s’il est opportun de contacter une équipe de soins palliatifs. Il est également intéressant de se poser la question suivante : « Serais-je surpris si mon patient décédait dans les 12 mois ? ».

Comment sont organisés les soins palliatifs en France ?

En 2018, il y avait 139 unités de soins palliatifs dans les établissements de santé. Mais tous les départements n’en disposent pas.

On compte également 5 040 lits identifiés de soins palliatifs, situés dans des services hospitaliers sur tout le territoire. La question actuelle est de savoir s’il faut en créer plus, sachant que chaque lit donne droit à une majoration du financement du service, ou mieux les répartir et dans quel type d’hôpital. Je pense qu’il serait intéressant d’en réserver pour les hôpitaux de proximité dans lesquels exercent des médecins traitants. Par exemple, dans ma ville, l’hôpital le plus proche est à 30 ou 40 minutes de voiture. En revanche, nous avons un établissement de proximité avec en son sein un service de court et moyen séjour où les médecins traitants suivent eux-mêmes leurs patients. C’est très intéressant : en cas de situation trop complexe à domicile ou en EHPAD, ils peuvent décider d’adresser leur malade à l’hôpital régional pour bénéficier d’un plateau technique lourd, de faire appel à l’HAD (qui dépend des centres hospitaliers) ou de l’accueillir dans notre hôpital local. Cette dernière solution offre l’avantage au praticien de continuer à suivre son patient en collaboration avec l’équipe hospitalière et à celui-ci de ne pas s’éloigner de ses proches.

Il existe également dans les hôpitaux 424 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) avec des missions d’expertise et de recherche. Elles sont constituées de médecins, infirmières, psychologues, assistantes sociales et aides-soignantes. Principalement destinées aux patients hospitalisés pour une maladie grave et évolutive, elles peuvent aussi travailler en dehors des établissements.

En outre, il existe 90 réseaux de santé en soins palliatifs, dédiés à la prise en charge des malades chez eux. Ils sont malheureusement nombreux à disparaître actuellement parce qu’ils sont intégrés à des réseaux de soins coordonnés polyvalents ou à des plateformes territoriales d’appui.

Le danger est très grand de perdre l’expertise palliative à domicile, car c’est la coordination qui est favorisée. Pour compenser, les ARS demandent aux équipes mobiles de sortir de l’hôpital. Mais l’augmentation de leur budget ne suffit pas toujours pour assurer correctement cette mission supplémentaire.

Enfin, 22 équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) sont destinées aux enfants en situation palliative.

Quelle est la place des bénévoles ?

La SFAP en regroupe environ 6 000, répartis dans près de 350 associations. Leur rôle est très important : en plus de l’accompagnement du patient, ils apportent un regard citoyen et sont à l’origine de multiples initiatives, notamment pour sensibiliser le grand public.

Ce sont des individus de tous âges et, il faut le souligner, formés, encadrés et supervisés. La SFAP leur réserve un important budget de formation que nous aimerions encore augmenter. J’encourage vraiment le public à devenir bénévole : ils nous disent tous que c’est extrêmement enrichissant et passionnant.

Quelles sont vos préconisations ?

D’abord, les patients doivent pouvoir bénéficier le plus tôt possible de soins palliatifs, quels que soient leur âge, leur pathologie ou leur situation sociale. Pour cela, il faut informer les citoyens sur leurs droits concernant leur fin de vie et former tous les professionnels de santé.

En médecine générale, les étudiants ont actuellement un enseignement variable selon les facultés, en général une dizaine d’heures sur la prise en charge de la douleur et de la fin de vie. C’est insuffisant. Il faut les préparer à travailler en pluriprofessionnalité et avec des bénévoles, d’autant plus que les généralistes vont de plus en plus être confrontés à des situations palliatives du fait de la démographie du pays, du virage ambulatoire du système de santé et des souhaits des individus.

De 50 à 80 % désirent mourir à domicile, alors que ça n’est possible actuellement que pour 23,5% d’entre eux.

Certaines situations imposent le décès à l’hôpital, mais on peut quand même faire en sorte que davantage de patients décèdent chez eux ou en EHPAD. Ainsi, il faut faire un effort pédagogique en direction du public pour éviter les problématiques jusqu’au-boutistes de proches qui tiennent à ce que les traitements soient maintenus, quoi qu’il en coûte. Dans ces situations, le dialogue est crucial.

Il faut développer la spécialisation : un quart des médecins en soins palliatifs vont prendre leur retraite dans les 5 ans et il manque déjà la moitié des effectifs dans une structure sur quatre.

Actuellement, on a la possibilité de faire un DU ou un DIU, et une formation spécifique transversale (FST) d’une durée d’un an après l’internat se met en place. Il faut aussi pouvoir intéresser des médecins en milieu de carrière.

La SFAP développe des apprentissages en e-learning. Celui sur la sédation est bientôt disponible, c’est une commande de la Direction générale de la santé.

Il est très important que les soins de nursing puissent être assurés à domicile par du personnel qualifié : certains échecs de maintien à la maison sont dus uniquement à l’impossibilité de bénéficier de soins d’hygiène. On trouve beaucoup moins de professionnels prêts à s’y investir que disponibles pour les fonctions de coordination…

Il faut revaloriser ces soins, notamment en développant le travail en équipes pluriprofessionnelles : les aides-soignantes et les auxiliaires de vie sont précieuses dans nos échanges autour des patients. Le nombre de places en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) doit être augmenté, leur prix de journée revalorisé (aujourd’hui, il est dérisoire dès que les soins sont un peu lourds) et les collaborations SSIAD-HAD développées. Actuellement, elles ne sont possibles que si le patient est pris en charge préalablement par un SSIAD.

Les infirmières libérales refusent de plus en plus de faire les toilettes parce qu’elles sont débordées. Leur nombre augmente, mais celui des personnes dépendantes vivant chez elles aussi et bien plus rapidement. Pourquoi ne pas intégrer les aides-soignantes dans les maisons de santé en les associant à des infirmières libérales ?

Enfin, il faudra bien un jour s’attaquer à la difficulté de communiquer dès qu’il s’agit de fin de vie.

Encadre

Quelles missions pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ?

Créée en 1990, la SFAP est une société savante regroupant des bénévoles d’accompagnement et près de 10 000 soignants libéraux ou hospitaliers impliqués dans la démarche palliative, qu’ils travaillent dans les unités, les équipes mobiles ou les réseaux de soins palliatifs : médecins, infirmières, psychologues, kinésithérapeutes, aides-soignantes, travailleurs sociaux, etc. Constituée en association loi 1901, son activité s’organise autour de 4 pôles. Mobilisation et fédération de tous les acteurs aux niveaux régionaux et national, par la création d’espaces de débats et de réflexion. Développement et transmission des savoirs, avec un fort accent sur la recherche et la formation et un congrès annuel qui rassemble plus de 2 500 personnes sur 3 jours (le prochain aura lieu du 24 au 26 juin 2020 au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg ; inscription à partir du 1 février 2020 : http://congres.sfap.org). La SFAP dispose d’un conseil scientifique composé de 20 membres dont les missions sont précisées par son conseil d’administration. Elle est en lien régulier avec l’European Association for Palliative Care (EAPC). Promotion de l’accès aux soins palliatifs, en proposant des dispositions réglementaires et législatives (par exemple, contribution importante à la loi du 9 juin 1999 sur « le droit à l’accès aux soins palliatifs ») et en s’assurant de leur mise en œuvre. Elle a également une fonction de veille et d’alerte sur les situations difficiles qui lui sont confiées. Diffusion de la culture palliative auprès des professionnels, des autorités de santé et de la population générale.

Contact : SFAP, 106, avenue Émile-Zola, 75015 Paris. Tél. 01 45 75 43 86 ; sfap@sfap.org ; Twitter : @asso_sfap ; Facebook : #SFAP