Douleurs et mécanismes inconscients : il peut apparaître paradoxal de parler de phénomènes inconscients dans la douleur où toute l’expertise est fondée sur le récit d’une perception sensorielle (nociception), mais aussi d’un vécu de désagrément sub­jectif, qu’analysent les échelles de douleur utilisées en clinique. Pourtant, comme dans toute activité cérébrale, la partie consciente du processus n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg et beaucoup de compor­tements douloureux, anticipatoires ou de conditionnement, restent dans le champ de l’implicite. Nous avons exploré chez des patients suivis pour la prise en charge d’une épilepsie, ayant des microélectrodes intra­cérébrales, puis chez des sujets sains volon­taires, en utilisant stéréo-EEG, IRM fonc­tionnelle, et PET-scan, les localisations de l’implication de la conscience.

– La conscience perceptive visuelle et l’es­pace global conscient : la transmission subliminale d’un mot (<50ms) n’est pas consciemment enregistrée et pourtant sa réintroduction ultérieure, même sous une image différente, est efficace, témoignant d’une mémorisation implicite. Qu’en est-il de la douleur ?

– Douleur expérimentale et réponses élec­trophysiologiques dans la matrice anato­mique de la douleur : une stimulation dou­loureuse de la main par laser, chez 20 sujets épileptiques en exploration, montre que la matrice cérébrale de la douleur comporte une entrée très précoce dans l’insula posté­rieure, que l’on peut qualifier de primaire, où les réponses surviennent à partir de 100 ms. L’insula postérieure a une réponse « nociceptive » constante, l’activité enregis­trée dans l’insula antérieure (gamma) et l’amygdale (delta) prédit la subjectivité dou­loureuse. Mais curieusement la réponse subjective de douleur n’est pas constante et certaines stimulations sont perçues mais jugées non douloureuses.

– Douleur et états paucirelationnels : la ques­tion taraude les soignants des unités de réa­nimation ou de soins palliatifs, au point qu’un même patient suscite parfois des in­terprétations divergentes lorsque l’on doit analyser un comportement de retrait, une grimace voire des pleurs qui ne suffisent pas pour parler de conscience au sens propre. Une stimulation des noyaux sensitifs du thalamus chez un patient sans cortex peut très bien déclencher un comportement de retrait ou de grimace, sans conscience de la douleur. Les nouvelles approches d’imagerie et de neurophysiologie montreraient que l’accès à la conscience est fluctuant chez certains patients.

– Les mécanismes inconscients dans la dou­leur : beaucoup de processus cognitifs in­conscients participent au comportement de réponse à une douleur aiguë, et ce d’autant plus que celle-ci a déjà été expérimentée et qu’elle survient dans un contexte annoncia­teur. Connaître ces processus est utile pour comprendre ses propres réactions doulou­reuses et émotionnelles et surtout pour ex­pliquer au patient bon nombre d’effets per­vers qu’il ignore dans la gestion de sa douleur chronique, ce qui est la base des thérapies cognitivo-comportementales. 

– La mémoire de la douleur de l’explicite à l’implicite : dans les états prélinguistiques de l’enfance où la communication verbale n’est pas possible et le stockage déclaratif impossible, il est clair que l’enfant est conscient de la douleur, l’exprime par son comportement et qu’il garde une trace mné­sique non explicite de la situation, proche d’un conditionnement ou d’un stress post-traumatique. Ainsi, une circoncision sans anesthésie s’accompagne plusieurs mois plus tard d’un comportement doulou­reux plus intense lors de la première vacci­nation. Le système nociceptif est probable­ment soumis à une « finalité » d’oubli de la douleur, mais tout stimulus douloureux étant stocké, il s’agit d’un blocage de l’évo­cation et non d’un effacement.

Bernard Laurent, service de neurologie, hôpital Nord, CHU de Saint-Étienne

12 novembre 2020