Sont abordées ici les affections les plus fréquentes auxquelles sont confrontés les médecins au quotidien et d’autres plus rares qu’il faut reconnaître car elles peuvent mettre en jeu le pronostic fonctionnel ou vital.
Les pathologies unguéales sont polymorphes et d’étiologie variable. Un même symptôme peut correspondre à des causes différentes, et une seule affection peut avoir des manifestations variées.
On distingue les dermatoses inflammatoires (psoriasis, lichen, eczéma, pelade, etc.), les maladies infectieuses (bactériennes, mycosiques, virales), les tumeurs bénignes (pseudokyste mucoïde, fibrokératome, exostose) ou malignes (carcinomes, mélanomes), ainsi que les pathologies mécaniques (onychotillomanies, dystrophies par microtraumatismes répétés aux orteils).
L’errance diagnostique conduit parfois à la prescription de traitements inadaptés, longs, inefficaces et coûteux, d’où l’importance d’un interrogatoire rigoureux et d’un examen clinique complet. Certains bilans complémentaires sont parfois utiles au diagnostic : analyse histologique de la kératine unguéale et/ou d’une biopsie, prélèvements mycologiques, radiographie, voire échographie, IRM de haute résolution.

Onychomycoses (réf. 2)

Assez fréquentes (2-3 % de la population), elles constituent 50 % des onychopathies en général et quasiment 80 à 90 % de celles siégeant aux orteils. Rares chez l’enfant, leur prévalence augmente avec l’âge.
Plusieurs agents pathogènes sont incriminés :
– dermatophytes (Trichophyton rubrum, T. mentagrophytes…) : en cause le plus souvent, surtout au niveau des orteils ;
– levures de type Candida : habituellement isolées au niveau des mains ; elles sont responsables d’une paronychie chronique (inflammation des tissus mous entourant l’ongle) ;
– moisissures (Scopulariopsis brevicaulis, Aspergillus, Fusarium oxysporum…) : rares, elles surviennent plus facilement sur des ongles traumatisés ; leur prise en charge est complexe.
Plusieurs facteurs – lieux chauds et humides, port de chaussures étroites, orteils serrés, artérite, diabète, immunosuppression – favorisent le développement des champignons.
Le psoriasis altère la kératine unguéale et augmente le risque de surinfection mycosique.
Selon le mode de pénétration de l’agent fongique, on distingue 5 formes cliniques : sous-unguéale disto- latérale, proximale ou superficielle ; endonyxis ; onychomycodystrophie totale primaire ou secondaire aux autres types.
La plus commune est l’onychomycose sous-unguéale distolatérale. Elle se manifeste cliniquement par une hyperkératose formant des travées longitudinales blanches ou jaunâtres, voire orangées, remontant vers la région lunulaire, des taches jaunes, des leuconychies nuageuses irrégulières ; une onycholyse s’associe souvent à cette hyperkératose friable (fig. 2, 3).
L’onychomycose sous-unguéale proximale est rare, le plus souvent provoquée par un dermatophyte, plus rarement par certaines moisissures. Habituellement, on observe une leuconychie au niveau de la lunule. Elle survient plus volontiers sur un terrain immunodéprimé, de manière subaiguë. Elle est à la fois polydactylique et simultanée.
La forme superficielle peut être due à un dermatophyte, parfois à une moisissure. Elle se traduit par une leuconychie superficielle.
En cas d’endonyxis, le champignon pénètre par le bord libre, comme dans la variété distolatérale, mais envahit rapidement les couches profondes et moyennes de la tablette, sans onycholyse ni hyperkératose sous-unguéale. Des taches blanc laiteux de la tablette sont caractéristiques.
L’onychomycodystrophie totale est le stade ultime des formes précédentes. Elle témoigne de l’envahissement lentement progressif et de la destruction de toute la tablette unguéale par le champignon.
Si la clinique est évocatrice, un prélèvement myco- logique, voire une analyse histologique dans les cas les plus difficiles, est indispensable pour confirmer le diagnostic et instaurer un traitement adapté. Certains facteurs sont prédictifs d’échec :
– onycholyse latérale (fig. 4) ;
– hyperkératose sous-unguéale supérieure à 0,2 mm (fig. 5) ;
– dermatophytome (grande concentration de champignons dans la lame unguéale, peu accessibles aux topiques ; fig. 6) ;
– onychomycose à moisissure ;
– fusées longitudinales jaunes (fig. 7).
La prise en charge doit être adaptée à l’agent patho- gène en cause. Elle dépend également du nombre de doigts ou d’orteils atteints et de l’existence ou non d’une atteinte matricielle.
En cas de lésion paucidactylique (1 à 4 ongles atteints), concernant moins du tiers distal de la hauteur de la tablette, des solutions filmogènes sont prescrites. Devant une atteinte multidactylique (fig. 8) et/ou matricielle, on associe un antifongique systémique (encadré). Attention à certains effets secondaires liés à ces traitements per os : éruptions cutanées, troubles digestifs peu sévères, toxicité hépatique (rare mais pouvant être grave, justifiant une surveillance de la fonction hépatique sous itraconazole).
Afin d’optimiser le traitement médical, il convient d’éradiquer la charge fongique avec un débridement qui peut être mécanique, chimique ou chirurgical. Enfin, la lutte contre les facteurs favorisants est essentielle pour éviter les rechutes (encadré).
En cas d’onychomycose à dermatophytes, la prise en charge associe : avulsion chimique ou mécanique (débridement), solution filmogène ou vernis antifongique, et éventuellement traitement systémique. Si l’atteinte est distale ou latérale isolée, Amycor Onychoset (pâte qui ramollit la tablette facilitant son découpage) ou avulsion mécanique de la zone infectée est utile en cas d’ongle hyperkératosique ou d’onycholyse.
L’onychomycose à moisissure relève du dermatologue car diagnostic et traitement sont difficiles.

Psoriasis (réf. 3)

L’atteinte unguéale est commune au cours de cette maladie : elle est observée chez 16 à 68 % des patients et siège volontiers aux mains. Parfois, c’est la seule manifestation du psoriasis. Toutes les structures de l’appareil unguéal peuvent être concernées, ce qui explique les différentes variétés cliniques.
L’atteinte de la matrice proximale est à l’origine de dépressions ponctuées (fig. 9), de trachyonychie (aspect rugueux de l’ongle) et de sillons de Beau, qui correspondent à un ralentissement ou un arrêt de la pousse de l’ongle. Si la matrice distale est touchée, l’aspect marbré de la lunule est caractéristique, associée ou non à une leuconychie (fig. 10).
Au niveau du lit de l’ongle, le psoriasis provoque une onycholyse (fig. 11), des taches d’huile de Milian ou une hyperkératose sous-unguéale (fig. 12). Les hématomes filiformes sont observés principalement sur la partie distale (fig. 13).
Parfois, diverses combinaisons lésionnelles s’associent, et l’ongle devient alors complètement dystrophique (fig. 14). L’atteinte peut être mono-, pauci- ou polydactylaire.
Le diagnostic est essentiellement clinique. Le polymorphisme lésionnel, l’évolution dans le temps (poussées) et l’espace (changement de site lésionnel et donc de sémiologie) sont évocateurs.
L’examen histologique d’un fragment de kératine unguéale peut être un bon élément diagnostique (parakératose, micro-abcès de polynucléaires neutrophiles, coloration PAS [Periodic Acid Schiff] négative). Une surinfection fongique est possible, imposant un prélèvement mycologique au moindre doute.
L’ongle psoriasique est un bon marqueur d’une atteinte articulaire.
Le traitement est discuté au cas par cas. Les lésions matricielles paucidactyliques sont améliorées par les injections intramatricielles de corticoïdes (triamcinolone acétonide) dans le lit, qui sont efficaces surtout sur les hyperkératoses sous-unguéales.
Si le lit de l’ongle est touché, avec onycholyse et/ou hyperkératose sous-unguéale, on applique des traitements locaux (corticoïdes topiques, dérivés de la vitamine D, ou association des deux – bétaméthasone + calcipotriol –, tazarotène, tacrolimus…) en moyenne pendant 3 mois, après un découpage régulier des tablettes.
Pour les manifestations sévères multidactyliques, souvent une thérapie systémique est envisageable : méthotrexate, rétinoïdes, ciclosporine. Mais leur utilisation à long terme n’est pas dénuée d’effets secondaires, d’où l’intérêt des biothérapies (anti-TNF ; anti-IL 12-23 : ustékinumab ; anti-IL 17 : sécukinumab, ixékizumab).
Il faut rappeler des mesures simples qui améliorent à elles seules les symptômes : couper les ongles court ; éviter les traumatismes (pour prévenir l’effet Koebner), les irritants, les manucures et les ongles prothétiques ; traiter systématiquement les infections ; bannir les médicaments aggravants (bêtabloquants, lithium, antipaludéens de synthèse…).

Lichen (réf. 4)

L’atteinte unguéale est rapportée chez 2 à 16 % des patients ayant un lichen plan. Elle est rarement isolée, dans 2 % des cas.
Elle doit être reconnue précocement et bénéficier rapidement d’un traitement adapté pour éviter une destruction partielle ou totale définitive des différentes structures de l’appareil unguéal.
L’hyperstriation longitudinale de la tablette unguéale est le signe le plus fréquent (fig. 15) et le ptérygion le plus spécifique (mais il n’est pas pathognomonique).
L’atteinte de la matrice se traduit par une onychorrhexie (ongles cassants), une hyperstriation longitudinale de la tablette, des fissurations distales ou longitudinales, un amincissement partiel ou total de la lame unguéale (fig. 16).
Des dépressions ponctuées sont possibles, mais rares. La fragilité des ongles est caractéristique. Elle s’explique avant tout par l’amincissement global de la tablette. Au stade cicatriciel, il est classique d’observer un ptérygion (fig. 17), secondaire à une fusion post-inflammatoire entre matrice unguéale et repli sus-unguéal. Les formes érosives évoluent volontiers vers des atteintes cicatricielles (fig. 18). Une anonychie partielle ou totale est parfois notée (fig. 19). Elle a habituellement un retentissement important sur la qualité de vie des patients à cause de la gêne fonctionnelle (prise défectueuse de petits objets, absence de plan de contre-pression) et de son caractère inesthétique.
L’atteinte du lit se traduit par une onycholyse blanche ou jaunâtre avec ou sans hyperkératose sous-unguéale, majeure dans certains cas, soulevant alors la tablette unguéale (fig. 20). Le lit peut prendre un aspect épaissi, strié, voire atrophique ou cicatriciel (fig. 21).
En cas de suspicion de lichen unguéal isolé, une confirmation diagnostique par biopsie est recommandée avant la mise en route du traitement.
Ce dernier est difficile et son efficacité souvent modérée. Il varie selon la topographie et la sévérité des lésions. Devant une atteinte mono- ou pauci- dactylique, la corticothérapie (triamcinolone acétonide) intralésionnelle seule (matrice et/ou lit de l’ongle) est indiquée.
Le traitement des formes graves polydactyliques repose sur la corticothérapie générale dite de blocage à base de triamcinolone acétonide ; pour un adulte de poids normal, 1 injection intramusculaire 1 fois par mois pendant 6 mois (M1 : 80 mg ; M2 : 80 mg ; M3 à M6 : 40 mg). Une surveillance mensuelle (glycémie et kaliémie) est préconisée.
Un dermocorticoïde de classe 1 (clobétasol propionate), éventuellement associé au tazarotène (Zorac gel, sous occlusion), peut être prescrit, principalement sur les lésions isolées du lit unguéal.

Onychotillomanie (réf. 5)

C’est un comportement compulsif dont les symptômes stéréotypés sont rarement reconnus. L’onychophagie est courante chez l’enfant (mais rare chez l’adulte) ; elle se traduit par des ongles courts et des excoriations péri-unguéales ; elle est souvent spontanément résolutive.
Chez l’adulte, le refoulement maniaque des cuticules des pouces, fréquent, se manifeste par des barres transversales médianes successives, témoignant des agressions infligées à la matrice. On observe parfois une fente médiane de l’ongle avec des barres obliques latérales (aspect en sapin de Noël) due à l’appui répétitif sur la région lunulaire (dystrophie canaliforme de Heller ; fig. 22). L’affection guérit sans séquelles à l’arrêt des traumatismes, qui peut être aidé par le port d’un pansement en permanence sur les ongles atteints (l’objectif étant de prendre conscience du geste).

Onychopathies mécaniques (réf. 5)

Les altérations unguéales traumatiques apparaissent surtout au niveau des orteils, favorisées par un chaussage inadapté et certaines malformations orthopédiques de l’avant-pied. Elles sont particulièrement fréquentes chez les sportifs (pied dominant) ou les patients ayant des troubles de la statique plantaire (hallus erectus ou hallus valgus).
L’aspect clinique peut rappeler celui d’une onychomycose, avec une coloration jaune des lames unguéales, des leuconychies, une pachyonychie, une hyperkératose sous-unguéale, une onycholyse.
Toutefois, la coloration jaune des lames unguéales est plus diffuse ; les leuconychies, si elles existent, sont en bandes transversales, témoignant du retentissement matriciel des butées de l’ongle dans la chaussure ; l’hyperkératose sous-unguéale est dure, compacte (fig. 23). Le découpage de l’ongle à la pince met en évidence l’hyperkératose, on fait alors des prélèvements mycologiques, voire histologiques. Un examen clinique minutieux oriente le diagnostic, qui est confirmé par ces examens complémentaires. La prise en charge est avant tout podologique : confection de semelles ou de chaussures adaptées.

Mélanonychie (réf. 6)

C’est une pigmentation brun-noire de la tablette unguéale.
Toute mélanonychie longitudinale (ML, pigmentation linéaire) « systématisée » mérite une attention particulière et une surveillance. En effet, cette pigmentation matricielle peut correspondre :
– soit à un simple foyer de mélanocytes activés sous l’effet de divers facteurs (ML fonctionnelle) : systémiques (grossesse, endocrinopathies…), médicamenteux (chimiothérapies…), locorégionaux (frottement…), surtout chez des patients à peau pigmentée ; elle concerne généralement plusieurs doigts et/ou orteils (fig. 24, 25) ;
– soit à une prolifération mélanocytaire, bénigne (lentigo, nævus), fréquente chez l’enfant (fig. 26), ou maligne (mélanome ; fig. 27). Dans ce cas, l’atteinte est habituellement monodactylique.
Cependant, aucune caractéristique clinique n’est spécifique d’une prolifération mélanocytaire atypique. Le critère clinique majeur est l’élargissement de la bande, qui impose une exérèse totale de la tache pigmentée matricielle pour examen histologique de toute la lésion (pas de biopsie partielle). Ainsi, en règle générale, devant une atteinte monodactylique traînante au niveau des doigts ou des orteils, un processus tumoral malin (carcinome, mélanome) doit toujours être suspecté et biopsié.
Un traitement précoce est essentiel pour éviter la transformation en mélanome invasif très agressif (fig. 28).
Encadre

Traitements des onychomycoses

Réduction mécanique ou chimique de la zone infectée

• Grattage, meulage, découpage

• Lyse chimique : Amycor Onychoset pommade (bifonazole-urée à 40 %) ou Onyster crème (urée à 40 %), application quotidienne sous occlusion 2-3 semaines

Antifongiques locaux

• Mycoster solution filmogène 8 % (ciclopirox acide), 1 application/j

• Onytec vernis biofilm hydrosoluble (ciclopirox acide), 1 application/j

• Locéryl solution filmogène 5 % (amorolfine), 1 application/semaine

• Curanail vernis (amorolfine), 1 application/semaine ; bonne tolérance (< 1 % d’effets secondaires mineurs)

Antifongiques systémiques

• Lamisil et génériques (Terbinafine allylamine) 250 mg, 1 prise quotidienne

• Itraconazole (triazolé ; Sporanox) 400 mg, 1 prise/j, 1 semaine par mois

• Fluconazole (triazolé ; Triflucan et génériques) 150-300 mg, 1 prise/j, 1 jour par semaine

• Toutefois, les doses, le type de prescription (quotidienne ou sous forme de pulses) ainsi que la durée du traitement doivent prendre en compte la sévérité de l’atteinte, l’identification du champignon, la tolérance, les interactions médicamenteuses, le poids et le terrain du patient.

En fonction du pathogène :

• Dermatophytes (Trichophyton spp, Epidermophyton floccosum. . .)

– Terbinafine 250 mg/j pendant 6 semaines (atteinte des doigts) ou 12 semaines (orteils)

– Itraconazole 400 mg/j, 1 semaine/mois pendant 2 mois (doigts) ou 3 mois (orteils)

– Fluconazole 150-300 mg/j (jusqu’à guérison)

• Levures genre Candida spp. :

– Itraconazole 400 mg/j, 1 semaine/mois pendant 2 mois (doigts) ou 3 mois (orteils)

– Fluconazole 150-300 mg/semaine (jusqu’à guérison)

Encadre

Éviter la recontamination

Indispensable en cas de dermatophytes :

Bien sécher les pieds et les espaces interdigitaux.

Chaussage adéquat lors de la marche sur des surfaces à forte densité en dermatophytes (piscines, douches communes, gymnases).

Décontaminer chaussures et chaussons (poudres ou lotions antifongiques), en porter des neufs après guérison mycologique.

Couper les ongles court, surveiller les espaces interdigitaux, sources de recontamination des ongles.

Références
1. Zribi H, Matichard E, Goettmann S, Descamps V. Troubles des phanères. Rev Prat 2012;62:1287-98.
2. Baran R, Hay RJ. New clinical classification for onychomycoses. J Mycol Med 2014;24:247-60.
3. Haneke E. Nail psoriasis: clinical features, pathogenesis, differential diagnoses, and management. Psoriasis (Auck) 2017;7:51-63.
4. Goettmann S, Zaraa I, Moulonguet I. Nail lichen planus: epidemiological, clinical, pathological, therapeutic and prognosis study of 67 cases. J Eur Acad Dermatol Venereol 2012;26:1304-9.
5. Schneider SL, Tosti A. Tips to diagnose uncommon nail disorders. Dermatol Clin 2015;33:197-205.
6. Braun RP, Baran R, Le Gal FA, et al. Diagnosis and management of nail pigmentations. J Am Acad Dermatol 2007;56:835-47.

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essentiel

Ne pas traiter une onychomycose si le diagnostic n’est pas certain.

En cas de lichen unguéal, traiter rapidement pour éviter une évolution cicatricielle

Devant une mélanonychie longitudinale, toujours évoquer un mélanome in situ.

Toute onychopathie monodactylique inexpliquée, traînante, doit faire suspecter une prolifération tumorale.