FOCUS
Les troubles moteurs œsophagiens, actuellement définis par la manométrie haute résolution (3e révision de la classification de Chicago),1 incluent principalement : les défauts de contraction de l’œsophage et du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO), extrêmement fréquents et classiquement associés au RGO ; les anomalies de la contraction du corps de cet organe (spasmes œsophagiens ou œsophage marteau-piqueur), nettement plus rares, révélées par des douleurs thoraciques pseudo-angineuses ; les défauts de relaxation du SIO, associés à des anomalies majeures de contraction, se traduisant par une dysphagie à endoscopie normale et regroupés sous le terme d’achalasie. Cette dernière est la plus connue, bien que son incidence soit faible, évaluée à 1,6 pour 100 000, sans prédominance de genre, avec un pic de fréquence entre 40 et 60 ans.2
La physiopathologie n’est que très partiellement élucidée, en raison de la difficulté d’accès aux biopsies de la sous- muqueuse et de la musculeuse œsophagienne, du fait du risque perforatif. Concernant les troubles hypotoniques, le caractère primitif ou secondaire au RGO est encore débattu. Pour les troubles hypertoniques, certains auteurs ont décrit une infiltration éosinophilique du muscle œsophagien. L’achalasie est clairement associée à une destruction des plexus myentériques de l’œsophage distal.

Diagnostic

On les découvre lors de l’exploration d’une dysphagie, typiquement d’évolution chronique, paradoxale et prédominant aux liquides, fluctuante, avec un état général conservé. Elle est quantifiée au moyen du score d’Eckardt3 permettant notamment le suivi après traitement. Les signes associés sont des régurgitations perprandiales contemporaines des blocages alimentaires ou salivaires en décubitus et des douleurs thoraciques rétrosternales pseudo-angineuses. Ces dernières, qui surviennent au repos et parfois indépendamment de la prise alimentaire, doivent être différenciées d’un pyrosis et ne pas conduire à un diagnostic de RGO et à une prescription d’IPP. Elles peuvent survenir au cours de l’achalasie (où prédomine habituellement la dysphagie), mais également en cas de spasmes œsophagiens ou d’œsophage marteau-piqueur (anciennement appelé « casse-noisette »).
L’endoscopie œsogastroduodénale avec biopsies œsophagiennes doit être pratiquée systématiquement en première intention devant une dysphagie ou une suspicion de trouble moteur œsophagien. Elle permet d’éliminer une œsophagite, notamment peptique et à éosinophiles, et une sténose tumorale ou bénigne (peptique par exemple).
L’aspect évocateur (inconstant) est une dilatation de la lumière œsophagienne, une stase salivaire ou alimentaire, et un ressaut au passage de l’endoscope, notamment à la jonction œsogastrique.
L’examen diagnostique de référence est la manométrie œsophagienne haute résolution, qui utilise une sonde munie de 36 capteurs de pression, et donne une représentation colorisée et topographique des pressions intra-œsophagiennes. Ce système a démontré de meilleures sensibilité et reproductibilité par rapport à la manométrie conventionnelle.
La classification de Chicago 3.0 est fondée sur cet examen et propose une approche standardisée d’interprétation.1
On retient le diagnostic d’achalasie si la pression résiduelle du SIO est > 15 mmHg, sans contraction œsophagienne péri- staltique normale. Trois sous-types sont décrits :
– l’un sans activité motrice mesurable du corps de l’œsophage (type I) ;
– le second caractérisé par un aspect de mise en tension des parois de l’œsophage sur toute sa hauteur, sans contraction vraie, appelée pressurisation panœsophagienne (type II) ;
– le troisième avec des contractions œsophagiennes dites prématurées, correspondant à des spasmes (type III).
Le transit baryté œsophagien est prescrit lorsque la manométrie est non concluante (impossibilité de franchir la jonction œsogastrique) et parfois pour compléter le bilan préthérapeutique : il peut mettre en évidence un aspect tire-bouchonné ou en pile d’assiettes évocateur de spasmes œsophagiens, un ou plusieurs diverticule(s), ou un méga- œsophage avec une jonction œsogas- trique en bec d’oiseau.
Un tableau d’achalasie après 50 ans ou associé à un amaigrissement rapide et majeur doit conduire à réaliser un scanner thoraco-abdomino-pelvien injecté à la recherche d’une pseudo-achalasie, correspondant à l’infiltration du SIO par un processus tumoral œsogastrique, ou une achalasie secondaire, notamment syndrome paranéoplasique d’un cancer bronchique à petites cellules.

Traitements endoscopiques

Pour les troubles moteurs hypotoniques, la prise en charge se limite actuellement à celle du reflux associé. Pour les hypertoniques, spasmes ou œsophage marteau-piqueur, le traitement, restreint jusqu’à récemment à des médicaments (inhibiteurs calciques ou dérivés nitrés) peu efficaces, est en passe d’être révolutionné par la myotomie perorale endo- scopique ou POEM (PerOral Endoscopic Myotomy).
Concernant l’achalasie, l’endoscopie offre aujourd’hui, avec une gamme de traitements allant de l’injection de toxine botulique au POEM en passant par la dilatation pneumatique, une option alternative à faible morbidité à la myotomie chirurgicale de Heller.
L’objectif est dans tous les cas de diminuer l’hypertonie musculaire, notamment au niveau du SIO, pour soulager les symptômes obstructifs et prévenir l’apparition de déformations, telles que l’œsophage sigmoïde, massivement dilaté et tortueux, lui-même à l’origine de symptômes réfractaires (régurgitations).
La toxine botulique bloque la libération d’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire. Dans des études prospectives, injectée par voie endoscopique dans le SIO, elle améliore la dysphagie chez 50 à 70 % des sujets, à 6 mois, avec cependant un effet transitoire, et environ 50 % de récidive à 1 an. Les complications sont exceptionnelles (0,1 %). Ainsi, elle est réservée aux patients âgés et/ou fragiles ne pouvant pas tolérer des options plus invasives.
La dilatation pneumatique provoque la distension forcée du SIO, à l’aide d’un ballon de 30, 35 ou 40 mm inséré en parallèle de l’endoscope, gonflé sous contrôle endoscopique et radiologique chez un patient sédaté. Deux dilatations successives sont habituellement réalisées, à l’aide de ballons de calibre croissant, à environ une semaine d’intervalle. Au cours de chaque geste, ce dernier est gonflé 2 fois 1 minute à 5 puis 8 PSI. La procédure est usuellement réalisée en hôpital de jour, les complications perforatives (0,5 % des cas) se révélant cliniquement dès le réveil de l’anesthésie. Dans l’immense majorité des cas, elles sont prises en charge sans chirurgie, par un traitement médical et endoscopique.
L’efficacité est de 90 % à 1 an et de 82 % à 5 ans, similaire à celle de la myotomie chirurgicale de Heller, à condition d’effectuer des dilatations répétées chez environ 30 % des patients.4 Ainsi, c’est l’option thérapeutique de 1re intention chez la plupart des malades atteints d’achalasie.
La myotomie perorale endoscopique a connu un fort développement depuis 2010. Le principe est de créer un tunnel dans la sous-muqueuse œsogastrique permettant d’inciser la musculeuse œsophagienne et gastrique à partir du bord droit de l’organe. L’incision (point d’entrée du « tunnel ») est décalée par rapport à celle de la musculeuse (myotomie proprement dite), de telle sorte que la paroi œsophagienne n’est complètement incisée en aucun point. Le geste est réalisé dans des centres experts en endoscopie thérapeutique, mais il dure habituellement moins de 1 heure, avec une sortie à J1.
Le taux de succès à 1 an est de plus de 90 %, avec environ 4 % de complications précoces, et jusqu’à 40 % de reflux gastro- œsophagien secondaire. Le risque de RGO imposant une surveillance endoscopique prolongée est la principale limite de la technique.5
Comparée à la myotomie de Heller, la POEM permet toutefois d’éviter l’abord de la paroi abdominale et du péritoine, la dissection du cardia, de sélectionner l’abord antérieur ou postérieur de l’œsophage et d’allonger la longueur de la myotomie. Ce dernier point permet notamment de prendre en charge efficacement les troubles moteurs œsophagiens dit hypertensifs (spasmes, œsophage marteau-piqueur, achalasie de type III) dont la physiopathologie implique souvent des contractions anormales du corps de l’œsophage et pas seulement un défaut de relaxation du SIO.
La myotomie chirurgicale de Heller, par laparoscopie et associée à une fundoplicature antérieure, consiste à sectionner la face antérieure de la musculeuse au niveau de la jonction œsogastrique.
Son efficacité est d’environ 90 % à 1 an, relativement stable dans le temps (15 % de récidive à 5 ans). Le taux de complications sévères est de 3 %. Outre son efficacité prolongée dans le temps par comparaison à la dilatation, son intérêt réside dans la confection d’une valve antireflux spécifique visant à limiter le RGO secondaire à l’intervention.
Le diagnostic repose sur la manométrie haute résolution, toujours précédée d’une endoscopie œsogastroduodénale avec biopsies œsophagiennes.
Dilatation pneumatique, myotomie de Heller et POEM ont la même efficacité initiale dans l’achalasie : 80-90 % à 1 an.
Le choix dépend du sous-type d’achalasie, de l’âge et de l’état général du patient, et d’éventuels traitements antérieurs.
Références
1. Kahrilas PJ, Bredenoord AJ, Fox M, et al. The Chicago Classification of esophageal motility disorders, v3.0. Neurogastroenterol Motil Off J Eur Gastrointest Motil Soc 2015;27:160-74.
2. Pandolfino JE, Gawron AJ. Achalasia: a systematic review. JAMA 2015;313:1841-52.
3. Eckardt VF, Stauf B, Bernhard G. Chest pain in achalasia: patient characteristics and clinical course. Gastroenterology 1999;116:1300-4.
4. Boeckxstaens GE, Annese V, des Varannes SB, et al. Pneumatic dilation versus laparoscopic Heller’s myotomy for idiopathic achalasia. N Engl J Med 2011; 364:1807-16.
5. Kahrilas PJ, Katzka D, Richter JE. Clinical Practice Update: The Use of Per-Oral Endoscopic Myotomy in Achalasia: Expert Review and Best Practice Advice From the AGA Institute. Gastroenterology. 2017 Nov; 153:1205-11.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés
essentiel

Le diagnostic repose sur la manométrie haute résolution, toujours précédée d’une endoscopie œsogastroduodénale avec biopsies œsophagiennes.

Dilatation pneumatique, myotomie de Heller et POEM ont la même efficacité initiale dans l’achalasie : 80-90 % à 1 an.

Le choix dépend du sous-type d’achalasie, de l’âge et de l’état général du patient, et d’éventuels traitements antérieurs.