En prenant en charge femmes et enfants dans sa pratique quotidienne, le médecin généraliste est un acteur clé en période périnatale. Si les aspects de suivi en santé physique – qu’il s’agisse du suivi de la grossesse ou de celui du nourrisson – sont bien codifiés, le suivi psychique des parents et les éventuelles répercussions sur le lien parent-nourrisson sont moins abordés. Pourtant, ce temps de la vie est une -période de vulnérabilité et nécessite quelques points de vigilance de la part du professionnel de santé de première ligne qu’est le médecin de famille.
Épidémiologie : quels enjeux pour le médecin généraliste ?
La participation des médecins généralistes aux suivis de grossesse progresse nettement depuis plusieurs années. Interrogés en 2014 et 2015 dans le cadre du -Panel de médecins généralistes libéraux, 84 % d’entre eux considèrent que ces suivis font partie intégrante de leurs missions.1
En parallèle du suivi de grossesse et d’après l’Enquête nationale périnatale 2021, le médecin généraliste réalise -l’examen pédiatrique de la deuxième semaine de vie dans 34,9 % des cas, et l’examen des deux mois dans 42,2 % des cas.2 Ces suivis de la femme et de l’enfant sont autant d’opportunités pour le médecin généraliste de repérer d’éventuelles -difficultés parentales pouvant être -associées à un authentique trouble psychique.
Les troubles psychiques peuvent être anté-rieurs à la grossesse, mais ils peuvent également apparaître de façon inaugurale en période périnatale, période s’étendant du début de la grossesse à la première année de vie de l’enfant.
La prévalence des épisodes psychiatriques, tous types de troubles confondus, au cours de la période périnatale est élevée, évaluée entre 10 et 20 % des femmes.3
Troubles psychiques antérieurs à la grossesse
L’accompagnement des patientes ayant un trouble psychiatrique en amont d’une grossesse est primordial pour la prévention de la morbidité potentielle, au cours de la grossesse et en post-partum, aussi bien pour la mère que pour l’enfant. Pourtant, le suivi est souvent entravé par le trouble psychique, et ces grossesses sont caractérisées par une fréquente rupture des soins psychiatriques, par un suivi médical plus discontinu, voire absent, et par un isolement social et affectif.
Haut risque pour la mère…
Ces grossesses sont considérées comme à haut risque, du fait de complications obstétricales plus nombreuses, d’accouchements prématurés plus fréquents et de décompensations psychiatriques.4 À titre d’exemple, une femme schizophrène sur cinq est hospitalisée en psychiatrie après l’accouchement, avec un risque maximal dans les quatre premières semaines.5 Par ailleurs, le suicide serait la première cause de mortalité chez les femmes parmi celles décédées dans l’année qui suit un accouchement, largement devant les autres motifs de décès (hémorragies de la délivrance, par exemple).6
… mais aussi pour l’enfant
Les nouveau-nés évoluant dans cet environnement sont sujets à divers troubles psychosomatiques (perturbations du sommeil, troubles digestifs, maladies infectieuses plus fréquentes, pleurs plus intenses). Ils sont exposés à des liens d’attachement insécures, voire à d’authentiques retraits relationnels, signes de souffrance particulièrement importants.7 Plus tard, ces mêmes enfants sont plus à risque de développer des troubles psychiques tels que des symptômes dépressifs et des troubles du comportement.
Troubles psychiques apparus en période périnatale
La période périnatale est une phase au cours de laquelle peut survenir un premier épisode psychiatrique ; le dépistage est essentiel. L’instauration de soins adaptés pour la mère et, dans le même temps, la prise en charge des interactions parent-nourrisson peuvent prévenir l’apparition et l’installation de troubles du développement de l’enfant. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique.
Parmi les pathologies psychiatriques -apparaissant en cours de grossesse ou en période périnatale, la dépression est la plus fréquente.
Dans le cadre du suivi à deux mois réalisé pour l’Enquête nationale périnatale 2021, il a été mis en évidence que 16,7 % des femmes avaient des symptômes dépressifs majeurs (score de l’Edinburgh Depression Postpartum Scale [EPDS] ≥ 13) à deux mois du post-partum.2
Concernant le diagnostic de ces dépressions périnatales, le rapport des 1 000 premiers jours publié en 2020 estime que seules 40 à 50 % des dépressions seraient diagnostiquées,8 alors même que les femmes sont en contact régulier avec des professionnels de santé à cette période de leur vie (médecin généraliste, gynécologue-obstétricien, pédiatre, sage-femme, puéricultrice, kinésithérapeute…). Ce rapport met en lumière l’importance de mieux identifier les dépressions périnatales et les troubles psychiques sévères des parents et d’en améliorer la prise en charge, grâce à un travail de coordination interprofessionnel dans lequel la place du médecin généraliste est centrale.
Les dépressions post-natales se caractérisent par une symptomatologie plus atypique marquée par l’irritabilité, le sentiment d’incompétence, la culpabilité, les phobies et les symptômes obsessionnels compulsifs souvent centrés sur le nouveau-né.
Les pères sont également concernés : la dépression toucherait 8,4 % d’entre eux.
Sur le plan clinique, les dépressions anténatales n’ont pas de caractéristiques sémiologiques spécifiques, si ce n’est une apparition des symptômes plus insidieuse, centrée davantage sur des inquiétudes en lien avec la grossesse et l’accouchement, associées à une mauvaise estime de soi et à une péjoration de l’avenir. Il s’agit également d’y penser face à une patiente aux symptômes somatiques démultipliés et aux préoccupations disproportionnées quant à sa capacité de devenir mère.
La psychose puerpérale, qui touche 1 ou 2 parturientes sur 1 000, est une urgence psychiatrique : le tableau clinique associe des éléments thymiques, confusionnels et délirants (hallucinations, étrangeté, désorganisation). C’est souvent un mode d’entrée dans un trouble bi-polaire.
En France, l’enquête ELFE (étude longitudinale française depuis l’enfance) a permis de montrer que seules 27,4 % des patientes déclarant des difficultés psychologiques durant la grossesse ont eu une consultation auprès d’un professionnel de la santé pour ce motif. Cette enquête souligne le travail de sensibilisation et de prise en charge qu’il reste à faire.
Outils pour dépister et accompagner
Pour pallier le manque d’identification des troubles psychiques et mieux identifier les patientes ayant des critères de vulnérabilité, les entretiens prénatal précoce (EPP) et post-natal précoce (EPNP) représentent des opportunités certaines.
Entretien prénatal précoce
Cet entretien a été mis en place en 2007, puis rendu obligatoire en mai 2020, afin de repérer précocement les problématiques médico-psycho-sociales et de permettre aux couples d’exprimer leurs attentes, leurs besoins et leurs craintes à propos de la grossesse et de l’arrivée de leur enfant. Ce rendez-vous ne contient pas d’examen clinique médical.
Même si ce chiffre est en augmentation, cet entretien reste encore peu réalisé : en 2021, seules 36,5 % des femmes déclaraient en avoir bénéficié. À l’issue de l’entretien, 13,1 % des femmes rapportaient avoir été orientées vers un professionnel spécialisé dans les besoins mis en évidence (problématiques sociales, souffrance psychologique, sevrage tabagique, etc.).2
Entretien post-natal précoce
Depuis le 1er juillet 2022 s’ajoute une étape obligatoire dans le parcours de soins des femmes en post-partum, avec pour objectif un meilleur dépistage de ces troubles : l’EPNP. Cet entretien doit être réalisé entre la -quatrième et la huitième semaine post-accouchement.
À l’instar de l’EPP, l’EPNP est un temps -dédié aux échanges qui ne comporte pas d’examen clinique, au cours duquel la présence de l’enfant et du coparent est -vivement recommandée – bien que cette recommandation soit à moduler en fonction du contexte de vie de chaque famille.
Cet entretien vise à aborder les questions autour du vécu de l’accouchement et du vécu depuis la naissance, autour du bien-être mental, environnemental et social, autour des besoins et des attentes de chacun des membres du couple, ainsi que les questions relatives à la prévention et au dépistage des troubles psychiques du post-partum.9
Décloisonner la prise en charge
Les différents risques abordés lors de ces entretiens étant tous intimement liés, il est primordial de réaliser une prise en charge pluridisciplinaire et de décloisonner les pratiques professionnelles. Cela permet de proposer aux patientes un accompagnement coordonné et ajusté à leurs besoins. En tant que coordinateur de soins, le médecin généraliste doit ainsi veiller à la bonne information de chaque acteur et à la juste synchronisation du suivi. Le réseau de soins, et plus particulièrement la mise en relation avec le service de psychiatrie périnatale le plus proche, constitue un atout majeur.
Traitement médicamenteux en cours ou à initier : prudence !
Une attention toute particulière doit être portée aux traitements médicamenteux, qu’ils soient déjà en place ou lors de leur introduction au cours de la grossesse ou de l’allaitement.
Plusieurs points doivent être abordés :
- reprise de l’historique thérapeutique en cas d’antécédents psychiatriques ;
- identification des représentations de la patiente au sujet de la prise médicamenteuse en cours de grossesse et d’allaitement ;
- discussion autour du maintien du traitement ou d’un éventuel changement thérapeutique ;
- transmission d’une information claire et documentée, s’appuyant sur les recommandations du Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT).
Ainsi, dans le cadre d’un projet de grossesse ou d’une grossesse en cours chez une patiente ayant des antécédents psychiatriques, il semble pertinent d’organiser au minimum une consultation dédiée pour informer la patiente et le couple des enjeux de la grossesse et du post-partum en lien avec sa pathologie.
En effet, selon qu’elle soit stabilisée ou non, la pathologie peut entraver l’investissement maternel et compromettre l’établissement du lien mère-enfant indispensable au développement psychomoteur et relationnel du bébé.
Cette consultation doit souligner les enjeux d’un traitement adapté, qui ne doit jamais être suspendu sans avis spécialisé. Il doit être poursuivi en cours de grossesse mais également en post-partum, période à risque de décompensation des troubles.
Cette consultation doit également permettre d’organiser un suivi adapté et coordonné entre les professionnels en charge de la famille. En particulier, les quatre à six premières semaines post-accouchement étant à haut risque de décompensation psychiatrique, doit se discuter, de manière pluridisciplinaire, l’indication d’un séjour prolongé en maternité, suivi d’une éventuelle hospitalisation mère-enfant.
Des initiatives innovantes pour anticiper la grossesse ou la naissance
Afin de soutenir les professionnels dans la prise en charge de ces femmes et de ces couples, certaines collaborations se mettent en place.
Par exemple, le dispositif Consultation d’information, de conseils et d’orientation (CICO) a vu le jour fin 2011 au sein du groupe hospitalo-universitaire Paris psychiatrie & neurosciences.10
Cette consultation est menée conjointement par un psychiatre et un pédopsychiatre et peut avoir lieu en préconceptionnel ou en prénatal. Elle vise à reprendre l’histoire et le vécu de la pathologie avec la patiente, à échanger autour du projet de grossesse et autour des représentations que celle-ci peut avoir sur la parentalité, et à proposer les soins les plus adaptés. Cette proposition de soins intègre la rencontre avec un pédiatre afin d’informer les futurs parents sur les effets des traitements psychotropes sur le nouveau-né ; un suivi pédo-psychiatrique est proposé afin d’accompagner les parents dans l’établissement d’un lien parent-enfant satisfaisant ; les familles sont encouragées à rencontrer précocement les différents professionnels mobilisables après la naissance (médecin généraliste, psychiatre, pédopsychiatre, gynécologue, pédiatre, sage-femme, professionnels de la protection maternelle et infantile, technicien de l’intervention sociale et familiale).
Que dire à vos patients ?
La dépression périnatale est fréquente (15 à 20 % des femmes) et se manifeste le plus souvent par des symptômes d’irritabilité, un sentiment d’incompétence parentale et de la culpabilité. Les pères sont également concernés : la dépression toucherait 8,4 % d’entre eux. Elle ne doit pas être banalisée, au vu de la douleur et des conséquences dont elle est responsable, aussi bien pour la mère que pour son entourage.
Les rendez-vous médicaux de suivi de grossesse et de suivi du nourrisson sont autant d’opportunités de livrer ses questions et ses doutes, qui ne doivent pas être mis au second plan.
En cas de pathologie psychiatrique antérieure à la grossesse, il est primordial d’aborder la question de la maternité et la prise en charge à prévoir avec le médecin généraliste et le médecin psychiatre, et de ne pas modifier ni interrompre le traitement sans avis médical.
2. Santé publique France. Enquête nationale périnatale. Rapport 2021. Octobre 2022.
3. Cohen LS, Nonacs RM (ed.). Mood and anxiety disorders during pregnancy and postpartum. Review of psychiatry 2005;24:4 .
4. Gariepy AM, Lundsberg LS, Miller D, et al. Are pregancy planning and pregnancy timing associated with maternal psychiatric illness, psychological distress and support during pregnancy? J Affect Disord 2016;205:87-94.
5. Vigod SN, Rochon-Terry G, Funk GK, et al. Factors associated with postpartum psychiatric admission in a population-based cohort of women with schizophrenia. Acta Psychiatr Scand 2016;134:305-13.
6. Cantwell R, Clutton-Brock T, Cooper G, et al. Saving mothers’lives: reviewing maternal deaths to make motherhood safer: 2006-2008: the eighth report of the confidential enquiries into maternal deaths in the United Kingdom. BJOG 2011;118:1-203.
7. Stein A, Pearson RM, Goodman SH, et al. Effects of perinatal mental disorders on the fetus and child. Lancet 2014;384:1800-19.
8. Ministère des Solidarités et de la Santé. Rapport de la commission des 1 000 premiers jours. Septembre 2020.
9. Bleuzen E, Benjilany S, Gantois A, et al. Entretien postnatal précoce : préconisations pour la pratique clinique. Sages-femmes 2022;22(5):39‑41.
10. Dugravier R, Vacheron MN. Le dispositif CICO : une consultation préconceptionnelle ou prénatale destinée aux femmes ayant un trouble psychiatrique. Périnatalité 2020;12(1):3‑7.
Dans cet article
- Épidémiologie : quels enjeux pour le médecin généraliste ?
- Troubles psychiques antérieurs à la grossesse
- Troubles psychiques apparus en période périnatale
- Outils pour dépister et accompagner
- Traitement médicamenteux en cours ou à initier : prudence !
- Des initiatives innovantes pour anticiper la grossesse ou la naissance