Les usagers s’engagent de plus en plus dans le système de soins. L’intégration de patients experts ou patients-partenaires au sein des services et au cours des études en santé permet une reconnaissance de leur statut.
La place à accorder aux malades et aux usagers dans le système de santé français fait l’objet de nombreux débats mais aussi de multiples initiatives sur tout le territoire national. Les patients des pays anglo-saxons sont depuis bien plus longtemps engagés dans le système de santé, mais il s’agit là d’une forme de réponse à la marchandisation de la santé et à l’absence de solidarité nationale en matière de santé.
Le modèle français de prise en charge des patients est, au nom de la protection, considéré comme un modèle paternaliste peu ouvert au partenariat et à la fonction soignante partagée. Si la France est très avancée en matière de droit des malades, un paradoxe persiste : malgré l’existence de plusieurs dispositifs législatifs en faveur de l’engagement des usagers, le manque d’outils concrets pour la mise en œuvre de ces nouveaux types de participation est patent.
Sur le terrain, des questions se posent : y a-t-il une différence entre patient expert et patient partenaire ? doivent-ils être rémunérés ? quels sont les intérêts et les inconvénients de professionnaliser des patients ? quelles activités peuvent être conduites dans un service de soins, une maison de santé, un cabinet médical par un patient, qu’il soit expérimenté ou non ? diplômé ou pas ? une formation est-elle indispensable ?
Le modèle français de prise en charge des patients est, au nom de la protection, considéré comme un modèle paternaliste peu ouvert au partenariat et à la fonction soignante partagée. Si la France est très avancée en matière de droit des malades, un paradoxe persiste : malgré l’existence de plusieurs dispositifs législatifs en faveur de l’engagement des usagers, le manque d’outils concrets pour la mise en œuvre de ces nouveaux types de participation est patent.
Sur le terrain, des questions se posent : y a-t-il une différence entre patient expert et patient partenaire ? doivent-ils être rémunérés ? quels sont les intérêts et les inconvénients de professionnaliser des patients ? quelles activités peuvent être conduites dans un service de soins, une maison de santé, un cabinet médical par un patient, qu’il soit expérimenté ou non ? diplômé ou pas ? une formation est-elle indispensable ?
Éducation thérapeutique et reconnaissance officielle du patient expert
La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, intégrant l’éducation thérapeutique comme un élément du parcours de soins, et reconnaissant le patient expert, a eu des effets sur les pratiques soignantes. Elle a constitué un levier important de transformation de la relation soignant-soigné. La formation de nombreux soignants à l’adoption d’une posture éducative et à l’intervention en équipe pluridisciplinaire a ouvert le champ de l’approche partenariale en santé. En France, plus de 25 000 professionnels de santé – médecins, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes – avaient suivi une formation socle de quarante heures pour exercer l’éducation thérapeutique fin 2020. Les soignants, devant transmettre à leurs patients un ensemble de compétences d’autosoins, ont découvert la face cachée « non médicale » de leur patientèle. La conduite d’activités en éducation thérapeutique par les postures pédagogiques qu’elle engage a un effet de démédicalisation des normes relationnelles entre le médecin et le patient, et réciproquement.
Le rôle de patient expert a rapidement pris en France des dimensions institutionnelles. On a assisté à l’essor de leur participation aux groupes de travail, aux programmes de formation des professionnels, permettant de bâtir des plans d’action et des programmes de soins plus appropriés (Plan obésité, Plan maladies rares…). De nombreuses associations ont déployé leurs propres formations de patients experts dans le champ de l’éducation thérapeutique pour qu’ils puissent intervenir dans les structures de soins, dans les hôpitaux, les réseaux ville-hôpital et les maisons de santé.
En 2014, la Direction générale de la santé a publié un guide rédigé avec les associations de patients sur les modalités de recrutement des patients experts, leur formation, les modalités de défraiement, la signature d’une charte de confidentialité.3
Le rôle de patient expert a rapidement pris en France des dimensions institutionnelles. On a assisté à l’essor de leur participation aux groupes de travail, aux programmes de formation des professionnels, permettant de bâtir des plans d’action et des programmes de soins plus appropriés (Plan obésité, Plan maladies rares…). De nombreuses associations ont déployé leurs propres formations de patients experts dans le champ de l’éducation thérapeutique pour qu’ils puissent intervenir dans les structures de soins, dans les hôpitaux, les réseaux ville-hôpital et les maisons de santé.
En 2014, la Direction générale de la santé a publié un guide rédigé avec les associations de patients sur les modalités de recrutement des patients experts, leur formation, les modalités de défraiement, la signature d’une charte de confidentialité.3
Terminologie plurielle : patient expert, partenaire, ressource, enseignant…
Il est impossible à l’heure actuelle de normaliser la dénomination des patients intervenant dans le système de santé. Comme le relève l’Académie de médecine, le fait qu’un concept comporte autant d’appellations illustre la nécessité d’une réflexion avec toutes les parties prenantes. Il ne s’agit finalement pas d’une typologie de patients mais d’une typologie d’activités conduites par les patients dans le système de santé (encadré 1 ).
Premiers patients salariés dans les services de soins
Les premières pratiques d’embauche de pairs-aidants en santé mentale ont commencé aux États-Unis dans les années 1990. Rapidement, les effets bénéfiques ont été identifiés en matière de transmission d’espoir, de restauration de l’estime de soi, de diminution de la stigmatisation dans les équipes de soins et d’amélioration de l’adhésion thérapeutique. À partir des années 2010, en France, une professionnalisation des pairs-aidants en santé mentale se met en place, fondée sur trois critères opérationnels : le suivi d’un diplôme universitaire de niveau bac + 2, organisé par l’université Paris 8, un stage d’une année en service et le principe d’une prise de poste. S’en est suivie la création d’une licence professionnelle, de manière à améliorer les règles de recrutement et de salaires de ce nouveau type d’acteur de santé. En France et à l’international, la reconnaissance de l’expertise des usagers et des aidants constitue un axe central des politiques de santé mentale.
Patients enseignants dans les études en santé
L’engagement des patients dans la formation initiale et continue des professionnels de santé est une recommandation de 2014, reprise dans le plan « Ma santé 2022 ».
La faculté de médecine Paris Nord a recruté dès 2014 une quarantaine de patients en tant qu’enseignants vacataires pour former les internes de médecine générale sur la perspective patients, la relation de soins, les droits du patient, la démocratie en santé. D’autres facultés de médecine et les instituts des métiers de la santé ont suivi. En 2022, selon l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), 21 facultés de médecine sur 37 déclaraient impliquer des patients auprès des étudiants (dont 13 en deuxième cycle). Une enquête conduite en 2018 sur la place des patients dans les dispositifs de formation en soins infirmiers montre que, sur 102 instituts ayant répondu, 85 % déclarent faire intervenir des « patients experts », « des patients ressources », des « patients témoins », « des bénévoles associatifs ». Les deux thématiques pédagogiques dominantes sont le vécu de la maladie et la relation soignant-patient.
La faculté de médecine Paris Nord a recruté dès 2014 une quarantaine de patients en tant qu’enseignants vacataires pour former les internes de médecine générale sur la perspective patients, la relation de soins, les droits du patient, la démocratie en santé. D’autres facultés de médecine et les instituts des métiers de la santé ont suivi. En 2022, selon l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), 21 facultés de médecine sur 37 déclaraient impliquer des patients auprès des étudiants (dont 13 en deuxième cycle). Une enquête conduite en 2018 sur la place des patients dans les dispositifs de formation en soins infirmiers montre que, sur 102 instituts ayant répondu, 85 % déclarent faire intervenir des « patients experts », « des patients ressources », des « patients témoins », « des bénévoles associatifs ». Les deux thématiques pédagogiques dominantes sont le vécu de la maladie et la relation soignant-patient.
Les universités s’ouvrent aux patients
Les patients sont aussi des usagers des facultés de médecine qui construisent des formations diplômantes à leur intention. L’Université des Patients Sorbonne, fondée dès 2010, a diplômé à ce jour plus de 350 patients, déployant trois types d’engagement en santé à partir de trois diplômes universitaires (DU) [éducation thérapeutique, démocratie en santé, patient partenaire en cancérologie]. Actuellement, en France, une dizaine d’universités (Bordeaux, Brest/Rennes, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris) proposent des cursus diplômants destinés et/ou ouverts aux patients et aux aidants. Il s’agit de DU et plus rarement de licence professionnelle.
Patients partenaires recrutés en cancérologie
En 2018, un service d’oncologie bordelais, la clinique Tivoli, intègre une patiente partenaire au sein de son équipe afin d’accompagner les femmes atteintes de cancer du sein, et de collaborer avec les professionnels de santé et les associations de patients du territoire girondin. Cette expérimentation inédite dans un service de soins a constitué la base d’un travail de réflexion mené par l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine dès 2020 et inspiré l’appel à projets « Patient-partenaire en cancérologie ». Riche d’une expérimentation réussie en santé mentale avec la professionnalisation des médiateurs de santé/pairs, l’ARS Nouvelle-Aquitaine a souhaité poursuivre ainsi son engagement à reconnaître et valoriser les savoirs expérientiels dans le champ des maladies chroniques, et plus particulièrement dans celui de la cancérologie (encadré 2 ). À ce jour, huit patients partenaires sont titulaires d’un contrat à durée déterminée (CDD) d’une durée de trois ans, leur rémunération étant assurée à hauteur de 50 % par l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Cet engagement financier d’une institution signe un changement de position : le patient partenaire intégré dans une équipe de soins est possiblement pensé comme un nouvel acteur du système de santé, avec un contrat de travail et une rémunération. On compte une quinzaine de patientes partenaires rémunérées et salariées dans des services d’oncologie sur tout le territoire. L’oncologie devient un modèle inspirant, au même titre que la santé mentale et le champ des addictions. Ces trois spécialités partagent des thématiques transversales comme celle du rétablissement, du retour au travail ou des séquelles des traitements.
Dispositif législatif et pratiques émergentes
La France dispose d’un dispositif législatif pour favoriser l’essor de la place des patients et des usagers dans le système de santé. On observe des motivations et un désir d’investissement de la part de personnes ayant une expérience de patient et une demande de la part des professionnels de santé de bénéficier d’une expertise complémentaire à la leur. Tout semble réuni pour que de nouveaux acteurs entrent dans le champ de la santé au titre des métiers émergents. Il reste à discuter la question de la formation, du statut et des modalités de professionnalisation de ces nouvelles figures du monde de la santé. L’existence d’un nouveau corps de métier ne suffira pas, il faudra aussi que celui-ci se fasse accepter par les autres professionnels de santé et donc que ses apports soient démontrés. Les débats sont en cours sur cette innovation en France et on observe une évolution à deux vitesses parmi les acteurs : ceux qui ont dépassé le débat conflictuel sur la formation et la professionnalisation et en sont déjà à la mise en place de groupes d’analyse des pratiques, et ceux qui doutent encore des capacités des patients partenaires (encadré 3 ).
Encadre
1. Contextes d’intervention du patient expert
- Éducation thérapeutique du patient
- Gouvernance
- Service de soins
- Formation initiale et continue des professionnels de santé
- Plaidoyer
- Recherche
- Société civile hors le monde du soin (entreprises publiques et privées)
- Cellules d’éthique
Encadre
2. Journal d’activités d’une patiente partenaire dans une équipe d’oncologie
- Accueillir
- Informer sur le parcours, les traitements, les dispositifs, les soins de support
- Traduire en langage « patient » le lexique médical
- Partager la situation d’adversité causée par le cancer
- Déconstruire les représentations, les idées reçues
- Soutenir la relation de soins dans les situations conflictuelles et les difficultés relationnelles
- Rapporter, rendre compte des activités sur une plateforme dédiée
- Tracer et évaluer les apports des activités de la patiente partenaire sur les pratiques de soins
- Participer à l’optimisation des pratiques de soins (gestion des imprévus)
- Collaborer avec l’équipe de soins et les associations de patients
- Intervenir dans les réunions des professionnels de santé
- Communiquer sur le dispositif PPS (projet personnalisé de soins)
Encadre
3. Difficultés formulées par les équipes recrutant des patients partenaires
- Peur de la concurrence des tâches (écoute, éducation thérapeutique, accompagnement…)
- Mode de recrutement dérogatoire à la fonction publique dans le recrutement sur la base de l’expérience personnelle de la maladie
- Difficultés à construire la fiche de poste
- Manque ressenti de référentiel métier
- Manque de formation et de préparation des équipes de soins
- Manque d’outils concrets pour le calcul et la grille des salaires
- Conflit d’opinion sur l’accès ou non aux dossiers médicaux
- Absence de points de repère pour évaluer le niveau de compétences
- Difficultés culturelles à intégrer un patient dans une équipe de professionnels de santé
- Difficultés à délimiter les territoires d’activités entre les patients intervenant dans un même hôpital
Références
1. Saout C. L’engagement des usagers en santé : un cours nouveau ? Revue française des affaires sociales 2019;3:125-33.
2. Pétré B, Louis G, Voz B, Berkesse A, Flora L. Patient partenaire : de la pratique à la recherche. Santé publique 2020;4(32):371-74.
3. Guide de recrutement de patients-intervenants, Direction générale de la santé 2014, 23 pages.
4. Michel P, Brudon A, Pomey MrP, Durieu I, Baille N, Schott AM, et al. Approche terminologique de l’engagement des patients : point de vue d’un établissement de santé français. Revue d’épidémiologie et de santé publique 2020:68(1):51‑6.
5. Audition de Catherine Tourette-Turgis lors de la séance du lundi 26 septembre 2022 par le groupe de travail sur le patient partenaire dirigé par le Pr Gérard Reach.
6. Le Cardinal P, Roelandt JL, Florentina R, Vasseur-Bacle S, François G, Marsili M. Pratiques orientées vers le rétablissement et pair-aidance : historique, études et perspectives. L’Information psychiatrique 2013;5(89):365-70.
7. Gross O, Ruelle Y, Sannié T, Khau CA, Marchand C, Mercier A, et al. Un département universitaire de médecine générale au défi de la démocratie en santé : la formation d’internes de médecine générale par des patients-enseignants. Revue française des affaires sociales 2017;1:61-78.
8. Pereira Paulo L. La place des patients dans les dispositifs de formation des instituts de formation en soins infirmiers en France. Soins 2020;842:10-3.
9. Tourette-Turgis C, Pereira-Paulo L, Vannier MP. Quand les malades transforment leur expérience du cancer en expertise disponible pour la collectivité : l’exemple d’un parcours diplômant à l’université des patients. Vie sociale 2019;25-26:159-77.
10. Dejour A. Une certification Patient-Expert Addictions au carrefour du savoir expérientiel du patient rétabli de ses conduites addictives et des activités des acteurs des soins. Psychotropes 2021;27:77-94.
11. Compagnon C, Ghadi V. Pour l’An II de la démocratie sanitaire [Internet]. Ministère des Affaires sociales et de la Santé, février 2014. https://vu.fr/vXrY
2. Pétré B, Louis G, Voz B, Berkesse A, Flora L. Patient partenaire : de la pratique à la recherche. Santé publique 2020;4(32):371-74.
3. Guide de recrutement de patients-intervenants, Direction générale de la santé 2014, 23 pages.
4. Michel P, Brudon A, Pomey MrP, Durieu I, Baille N, Schott AM, et al. Approche terminologique de l’engagement des patients : point de vue d’un établissement de santé français. Revue d’épidémiologie et de santé publique 2020:68(1):51‑6.
5. Audition de Catherine Tourette-Turgis lors de la séance du lundi 26 septembre 2022 par le groupe de travail sur le patient partenaire dirigé par le Pr Gérard Reach.
6. Le Cardinal P, Roelandt JL, Florentina R, Vasseur-Bacle S, François G, Marsili M. Pratiques orientées vers le rétablissement et pair-aidance : historique, études et perspectives. L’Information psychiatrique 2013;5(89):365-70.
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9. Tourette-Turgis C, Pereira-Paulo L, Vannier MP. Quand les malades transforment leur expérience du cancer en expertise disponible pour la collectivité : l’exemple d’un parcours diplômant à l’université des patients. Vie sociale 2019;25-26:159-77.
10. Dejour A. Une certification Patient-Expert Addictions au carrefour du savoir expérientiel du patient rétabli de ses conduites addictives et des activités des acteurs des soins. Psychotropes 2021;27:77-94.
11. Compagnon C, Ghadi V. Pour l’An II de la démocratie sanitaire [Internet]. Ministère des Affaires sociales et de la Santé, février 2014. https://vu.fr/vXrY
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- Éducation thérapeutique et reconnaissance officielle du patient expert
- Terminologie plurielle : patient expert, partenaire, ressource, enseignant…
- Premiers patients salariés dans les services de soins
- Patients enseignants dans les études en santé
- Les universités s’ouvrent aux patients
- Patients partenaires recrutés en cancérologie
- Dispositif législatif et pratiques émergentes