Les recommandations récentes tendent à limiter, voire à supprimer, la prescription d’aspirine à faible dose en prévention primaire cardiovasculaire chez les personnes à haut risque. Cependant, que faire chez les personnes déjà sous traitement ? Une étude parue dans Circulation répond à cette question.

Pendant de nombreuses années, l’aspirine à faible dose a été largement prescrite aux patients à risque CV en prévention primaire. Plus récemment, trois vastes essais ont montré que l’aspirine dans cette indication n’a pas d’effet positif sur la mortalité globale et qu’elle est associée à un sur-risque hémorragique (saignements digestifs mais aussi intracrâniens). D’où un changement dans les recommandations.

Les recos européennes (European Society of Cardiology, ESC) de 2021 estiment que l’aspirine ne doit pas être administrée systématiquement aux patients sans maladie CV établie, mais qu’elle peut être envisagée en l’absence de contre-indications chez les patients atteints de diabète de type 2 à risque CV haut ou très haut. Les conclusions du groupe de travail américain spécialisé sur les questions de prévention – la US Preventive Services Task Force (USPSTF) – vont dans le même sens : la décision d’initier l’aspirine doit être prise au cas par cas. Le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) a adopté une position encore plus tranchée  : selon eux, il n’y a pas de place pour l’aspirine en prévention primaire, quel que soit l’âge du patient, qu’il soit diabétique ou pas.

Dans ce contexte de recul d’usage de cette molécule, faut-il la maintenir ou l’arrêter chez les personnes déjà sous traitement ?

Pour répondre à cette question, des chercheurs australiens et irlandais ont effectué une méta-analyse en sous-groupes de trois grandes études randomisées qui ont évalué l’aspirine par rapport à un placebo : il s’agit des essais ASPREE, ARRIVE et ASCEND (N = 47 140 participants en tout). Dans ces essais, environ 15 % des participants (N = 7 222 personnes) ont pris régulièrement de l’aspirine avant l’enrôlement, puis ont soit continué à la prendre (bras aspirine), soit l’ont arrêtée (bras placebo). Leur évolution permet donc d’évaluer les conséquences de la déprescription d’aspirine. Les critères de jugement étaient un composite des incidents cardiovasculaires fatals et non-fatals pour l’efficacité, et les hémorragies majeures pour la sécurité.

Publiés fin février dans Circulation, les résultats de cette analyse montrent qu’il n’y a pas de différence significative du risque d’hémorragie majeure entre les groupes placebo et aspirine (hazard ratio = 0,86 ; IC95 % = [0,68 ; 1,10]). En revanche, un risque significativement plus élevé d’incidents cardiovasculaires a été détecté dans le groupe placebo (hazard ratio = 1,21 ; IC95 % = [1,05 ; 1,39]).

Pour les auteurs, il semble donc raisonnable que les adultes à haut risque CV déjà traités par aspirine à faible dose en prévention primaire continuent à prendre ce traitement, sauf en cas d’apparition de facteurs de risque de saignement.