Alors que la discipline est de plus en plus sollicitée, le nombre de pédopsychiatres est en chute libre. En 2017, ils n’étaient plus que 600 dont 80 % avaient plus de 60 ans. Comment expliquer cette crise ?
Pour commencer, plus que de longs discours, quelques chiffres : selon la Direction de la ­recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees),1 en 2013 la baisse du nombre de pédopsychiatres en activité a été de 4,7 % sur un total de 743 pédopsychiatres. En 2016, il y avait 692 pédo­psychiatres, soit une moyenne de 5,1 praticiens pour 100 000 habitants de moins de 15 ans, avec des écarts selon les régions allant de 1,7 dans le Nord-Pas-de-Calais à 11 en Aquitaine ; 61 % avaient un exercice salarié, 12 % un exercice mixte et 27 % un exercice libéral. L’âge moyen était, en 2016, de 61 ans (contre 52 ans pour l’ensemble des médecins), et le taux de féminisation était de 53 % (contre 44 %). La projection de la Drees pour 2030 tablait sur une baisse de 27 % des effectifs (soit environ 505 pédopsychiatres). Cette projection se vérifie puisque, selon le Conseil de l’Ordre des médecins, en 2017 il n’y avait plus que 593 pédopsychiatres inscrits en tant que tel au Conseil, là où, en 2007, il y en avait 1 235. Soit une baisse de 52 % en dix ans. De plus, en 2017, 80 % de ces pédopsychiatres avaient plus de 60 ans !
En exercice libéral, le revenu moyen des pédopsychiatres arrive en dernière position, après, dans l’ordre décroissant, les psychiatres, les médecins généralistes et les pédiatres ! En quelque sorte, être surspécialiste ­(pédopsychiatre) représente une pénalité pour ceux qui veulent s’y consacrer (d’ailleurs l’acte de pédopsychiatrie n’est pas reconnu en tant que tel par la Sécurité sociale). Que dire de plus ? À ce rythme, la pédopsychiatrie est menacée de disparition.2 Certes, dans les services hospitaliers de pédopsychiatrie, de nombreux postes sont occupés par des médecins, mais il s’agit souvent de médecins non psychiatres ayant au mieux une courte formation (un ­diplôme universitaire [DU]) mais pas toujours ! En outre, ils font parfois fonction de chef de service. Sans remettre en cause leur dévouement, imaginerait-on un service de cardiologie, de neurologie, de chirurgie digestive dirigé par un médecin dépourvu du diplôme requis ? Nombre de directeurs d’hôpitaux font tout pour que les postes vacants de pédopsychiatrie soient pourvus d’un médecin afin de faire « tourner le service » sans trop se préoccuper de leur formation préalable. Il y a là, de notre point de vue, un profond mépris non seulement pour cette discipline mais aussi pour les familles et les enfants… Ces données suffisent, l’état des lieux pourrait s’arrêter là. Comment expliquer ce véritable collapsus ? Les causes semblent multiples.

Réduction des postes…

En premier lieu, une politique de restriction drastique dont le seul motif était économique, menée pendant de longues années (entre 1990 et 2012-2013) concernant les postes de formation ouverts aux internes en psychiatrie et plus encore en pédopsychiatrie dans la mesure où cette surspécialité n’est pas clairement distinguée de la psychiatrie générale et que ces restrictions ont pesé encore plus sur cette pédopsychiatrie qui n’est pas encore en France (contrairement au reste de l’Europe) une discipline autonome : elle le paye au prix fort ! Disons-le clairement, la psychiatrie d’adulte est en passe de devenir le pire ennemi de la pédopsychiatrie !

… mais extension de son domaine

En deuxième lieu, cette discipline paye aussi le prix de son succès, c’est un paradoxe. En effet, entre le milieu du siècle précédent (1950) et l’époque actuelle (2020), la pédopsychiatrie est sortie de l’asile et des établissement où croupissaient nombre d’enfants « arriérés », « idiots », « déficients profonds », toutes pathologies confondues, pour une diversification explosive s’attachant à décrire et repérer de plus en plus finement la souffrance psychique des enfants de la naissance à la majorité afin de remédier à ses conséquences sur leur développement et ses retentissements sur la vie familiale, scolaire, sociale. La création des inter-secteurs de pédopsychiatrie et des centres médico-psychologiques (CMP) dans le milieu des années 1970 en fut l’illustration. Il faut le reconnaître : ce fut un formidable succès ! Les parents non seulement suivirent ce mouvement mais l’amplifièrent, constatant, on l’oublie trop souvent, les bénéfices évidents que leurs enfants retiraient des divers soins qui étaient proposés et pratiqués. Porté par ce succès, le champ de la pédopsychiatrie n’a cessé de s’étendre, comme on le verra plus loin : ce « succès » a atteint son apogée à la fin du siècle précédent alors que s’enclenchait l’effondrement de la démographie ­médicale. Pendant plusieurs années, les inter-secteurs de pédopsychiatrie3 ont cherché à faire face à ces demandes toujours plus nombreuses malgré des moyens constants au mieux, diminuant au pire en cherchant à se restruc­turer, innover dans les prises en charge et les soins. Mais l’exercice a ses limites, et un reproche peut leur être ­formulé : à force de vouloir accueillir tous les enfants et leur famille en situations de souffrance psychique, les soins proposés se sont dilués, et les listes d’attente se sont allongées… cause d’un mécontentement croissant chez les usagers.

Nouveaux modèles, nouveaux excès…

En troisième lieu, peut-on reprocher à la pédopsychiatrie de s’être ouverte aux diverses souffrances psychiques des enfants ? Mais cette souffrance psychique, dont les causes sont multiples, s’exprime par des symptômes dont le sens et la logique dépassent largement le modèle lésionnel habituellement rencontré en médecine somatique, neurologique en particulier. Rabattre tout symptôme psychique sur un modèle neurologique relève d’un parti pris idéologique dont la pédopsychiatrie est actuellement l’otage. L’enfant est un être en développement, nul ne le conteste. Les conditions d’un bon développement dépendent certes de l’équipement initial mais elles dépendent aussi très largement de l’environnement au sens le plus large du terme, familial, social, économique, culturel, etc. Ignorer cela revient à croire qu’un cerveau est isolé dans sa boîte crânienne au moment où les recherches scientifiques montrent que le cerveau social, celui qui interagit avec l’environnement, en représente 80 % ! De ce point de vue, le pédopsychiatre prend en compte dans l’évaluation d’un enfant l’ensemble des conditions qui permettent l’émergence satisfaisante d’une fonction. À titre d’exemple, ce qui est nécessaire et préside à l’émergence du langage ne peut se réduire à ce qui peut expliquer l’altération de ce même langage une fois installé. Il ne faut pas confondre le fonctionnel et le lésionnel, ce serait une profonde erreur. L’expression « troubles neurodéveloppementaux », très à la mode actuellement, expose particulièrement au risque d’appliquer un modèle somatique et défectologique dans une logique de « parcours de soins » trop segmenté, balisé, protocolisé où le petit enfant, l’enfant, l’adolescent dans leur globalité respective et existentielle seront ignorés. Il serait trop long ici de s’étendre sur les raisons qui ont conduit à laminer le psychique pour le réduire au biologique, génétique ou neurologique plus précisément. ­Disons de façon un peu caricaturale que le reproche fait à la pédopsychiatrie de « culpabiliser les parents » a justifié tous les excès inverses actuellement observés.

Des CMP sur la sellette

Que faire face à ce constat, que proposer ? Longtemps, le CMP fut la clé de voûte de l’organisation des soins en ­pédopsychiatrie. Victimes de leur succès, décriés dans leur polyvalence (accueil, évaluation, soins), attaqués dans leurs pratiques de soins, y compris pour les familles les plus démunies, faut-il faire supprimer ces CMP et les remplacer par une kyrielle de dispositifs dits spécifiques où l’étiquetage diagnostique semble devenir l’objectif premier si ce n’est unique ?
Et pourtant, non seulement les besoins sont là, mais il faut anticiper leur hausse massive. En 2005, l’Organisation mondiale de la santé (OMS-WHO) a évalué la prévalence des troubles psychiques chez l’enfant et l’adolescent autour de 20 %, avec 4 à 6 % d’entre eux qui nécessitent une intervention clinique. Plusieurs études internationales montrent que seuls 16 à 27 % de cette population reçoit une aide spécialisée en santé mentale. Dès lors, l’accroissement de la demande en soins de santé mentale de l’enfant et de l’adolescent est estimé à 50 % dans les dix prochaines années. Il reste encore beaucoup à faire pour couvrir les besoins de cette population, dont la formation spécifique des pédopsychiatres au sein des différents pays membres de l’Union européenne.4
Enfin, de multiples études épidémiologiques indi­quent que les troubles psychiatriques chroniques de l’âge adulte commencent à l’adolescence, en lien avec la réorganisation des circuits cérébraux pendant la puberté. Une grande étude du National Institute of Mental Health (NIMH) sur l’âge de début des troubles psychiatriques et de la prévalence de ces troubles montre que 75 % des troubles psychiatriques commencent avant l’âge de 24 ans, dont 50 % avant l’âge de 14 ans. Parmi ceux-ci, seul un  jeune sur six a accès aux soins.
Retenons qu’il est démontré qu’une offre de soins ­adéquate en pédopsychiatrie réduit la demande en psychiatrie de l’adulte. Comme le dit le psychiatre australien Patrick McGorry, les économistes sont les meilleurs amis des pédopsychiatres… 
* Voir l’article de N. Georgieff « Enjeux et transformation de la pédopsychiatrie en France », page 715.
Notes et Références
1. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Organisation de l’offre de soin en santé mentale (2014). drees.solidarites-sante.gouv.fr
2. Falissard B. Penser l’avenir de la pédopsychiatrie dans le monde : bilan de 4 années de présidence de l’International Association of Child and Adolescent Psychiatry (IACAPAP). Bull Acad Nat Med 2019;203:457-61.
3. On compte en moyenne un inter-secteur de pédopsychiatrie (couvrant une population de 210 000 habitants, soit 50 à 70 000 mineurs selon les lieux) pour 3 secteurs de psychiatrie adulte (desservant en moyenne une population de 70 000 habitants) mais au moins un par département.
4. Delvenne V. La pédopsychiatrie de demain. Inform Psychiatr 2017;93:103-6.

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