L’objectif était de fournir aux patients atteints de cancer et aux professionnels de santé des recommandations nutritionnelles adaptées lorsque les niveaux de preuve actuels le permettent.
Le rapport prend en compte les articles scientifiques publiés depuis la dernière revue de la littérature scientifique réalisée par l’American Cancer Society (ACS), datant de 2012.2 Les conclusions du rapport reposent sur l’analyse des résultats de 243 études (méta-analyses, analyses poolées, essais d’intervention et études de cohorte).
Les niveaux de preuve des relations entre l’exposition aux facteurs nutritionnels, au moment du diagnostic d’un cancer ou après, et des événements cliniques ont été évalués en tenant compte de critères précis (pour plus de détails, voir le rapport).1 Les facteurs nutritionnels retenus incluent l’alcool, la consommation d’aliments, les profils de consommation alimentaire, le poids, la dénutrition et les facteurs associés, et les compléments alimentaires. Les événements cliniques pris en compte sont la mortalité globale et la mortalité liée au cancer, la progression et la récidive du cancer, les seconds cancers primitifs, et la qualité de vie globale. Seuls les niveaux de preuve jugés « convaincants » et « probables » par le groupe de travail ont amené à établir des recommandations (
Impact des facteurs nutritionnels sur la mortalité, le risque de récidive et de second cancer
Boissons alcoolisées
Fibres alimentaires et régimes pauvres en graisse
Surpoids et obésité
Dénutrition et sarcopénie
Situations nutritionnelles à risque pendant et après les traitements du cancer
Cette évaluation peut être fondée sur l’utilisation de critères anthropométriques (évolution du poids et IMC), la quantification de la masse et/ou de la fonction musculaire et éventuellement sur l’évaluation de la consommation des ingesta. Elle est recommandée par la Haute Autorité de santé pour le dépistage de la dénutrition dès le diagnostic et durant le parcours thérapeutique.3 La prise en charge nutritionnelle, lorsqu’elle est nécessaire, est adaptée à la situation clinique du patient.
Les principales situations nutritionnelles à risque pouvant être rencontrées selon les localisations du cancer sont indiquées sur la
Dès le diagnostic et tout au long du parcours de soins
Évaluation de la surcharge pondérale et accompagnement pour ne pas prendre de poids supplémentaire. Pendant les traitements, dans le cas des cancers du côlon, du rectum, du sein et du rein, il est conseillé d’éviter la prise de poids chez les patients en poids normal ou en excès de poids. Il est cependant inapproprié de faire perdre du poids aux patients ayant une surcharge pondérale pendant les traitements.
Évaluation de la consommation d’alcool et accompagnement si nécessaire pour arrêter ou réduire la consommation. Il est en effet recommandé aux patients atteints de cancers des voies aérodigestives supérieures d’éviter toute consommation d’alcool. Il est recommandé aux patients atteints d’autres cancers d’en limiter la consommation, comme dans le cadre de la prévention primaire.4
Après les traitements
Après les traitements, dans le cas des cancers du côlon et du rectum, du sein et du rein, il est conseillé d’atteindre et maintenir un poids de forme, sauf exception : pour les personnes ayant une obésité, l’atteinte d’un IMC entre 25 et 30 kg/m² est un objectif plus réaliste. En outre, pour les patients de plus de 70 ans, la perte de poids n’est pas appropriée, car la perte de poids (non intentionnelle) augmente avec l’avancée en âge, elle se traduit par une perte de masse musculaire et est associée à une surmortalité.
Prévention tertiaire : repérer les situations à risque, informer et accompagner les patients
En dehors des situations nutritionnelles à risque identifiées pour certaines localisations de cancer, il convient de rappeler aux patients, pendant et après un cancer, de suivre les recommandations nutritionnelles en vigueur pour la population générale.6
Les résultats de cette nouvelle expertise collective s’ajoutent à ceux déjà publiés précédemment concernant les bénéfices de l’activité physique et de l’arrêt du tabac préconisant, dès le diagnostic, la promotion et la prescription d’activité physique, si besoin adaptée, la lutte contre la sédentarité et le repérage du tabagisme des patients avec un accompagnement au sevrage.6, 7 Ils complètent les outils à la disposition des professionnels de santé afin d’implémenter la prévention tertiaire dans le parcours de soins des patients atteints de cancer, dans une démarche globale comme le préconisait déjà le Plan cancer 2014-2019, y compris dans le lien ville-hôpital et même après guérison du cancer.8
L’enjeu est de taille, sachant que près de 3,8 millions de personnes en France vivent aujourd’hui avec un cancer ou en ont guéri.9 Le diagnostic de cancer apparaît comme un événement opportun pour adopter des comportements plus sains du fait de la sensibilité particulière des patients aux messages de réduction des risques, sous réserve que leur état clinique et leur état nutritionnel le permettent.10 Pourtant, les résultats de l’enquête VICAN5 menée en France métropolitaine auprès de 4 174 patients illustrent les besoins en matière de prévention tertiaire chez les survivants du cancer : cinq ans après le diagnostic d’un cancer, 33 % des personnes n’ont pas de suivi spécifique en médecine générale ; 33 % sont en surpoids, 16 % sont en situation d’obésité et 16 % ont une insuffisance pondérale ; 53 % des personnes ont réduit leur activité physique ou y ont totalement renoncé ; 45 % des consommateurs d’alcool n’ont pas arrêté leur consommation pendant le traitement du cancer et 60 % des fumeurs n’ont pas arrêté de fumer.11
Lutter aussi contre la désinformation
Pour de nombreux facteurs et localisations de cancer, les données sont peu nombreuses et ne permettent pas d’établir d’association avec les événements cliniques d’intérêt. Pourtant, pour certains facteurs nutritionnels (soja, compléments alimentaires antioxydants, jeûne et régimes restrictifs…), des allégations « anti-cancer » non étayées par des preuves scientifiques circulent. Elles donnent aux patients de faux espoirs et peuvent leur faire courir des risques inutiles.
Bien que des études suggèrent que la consommation de soja, après diagnostic d’un cancer du sein, puisse être associée à une diminution du risque de récidive (niveau de preuve suggéré), en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, par précaution, il est déconseillé aux patientes atteintes de cancer du sein de consommer cette légumineuse (sous forme d’aliment ou de complément alimentaire).1
Concernant les compléments alimentaires, les données sont éparses et peu précises. Bien que la consommation de compléments alimentaires à base de vitamine C soit associée à une réduction de la mortalité chez les patientes atteintes de cancer du sein (niveau de preuve probable), en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, il est déconseillé à ces patientes d’en consommer.1 Comme le signale l’American Cancer Socitety,² les compléments alimentaires à base d’antioxydants pourraient réduire l’efficacité des traitements anticancéreux en réparant les dégâts oxydatifs induits par ces derniers au niveau des cellules cancéreuses. De manière plus générale, il est conseillé de ne pas recourir aux compléments alimentaires, sauf indication médicale, et d’assurer ses besoins en vitamines et minéraux par une alimentation équilibrée. De même, en l’absence de données sur des populations européennes, il est conseillé de ne pas recourir à des extraits ou décoctions de plantes et de champignons médicinaux (
Par ailleurs, le rapport d’expertise collective du Réseau NACRe a montré qu’il n’existe pas de preuve scientifique avérée sur le bénéfice de la pratique du jeûne ou de régimes restrictifs chez les patients atteints de cancer, et que ces pratiques pourraient augmenter le risque de dénutrition et de perte de masse musculaire (sarcopénie), qui sont des facteurs de mauvais pronostic du cancer. Des dépliants d’information dans ce domaine, destinés aux professionnels de santé et à leurs patients, sont disponibles sur le site web du Réseau NACRe ( www.inrae.fr/nacre ).12
Conseils de l’INCa aux professionnels de santé pour repérer la dénutrition, d’après les recommandations de la Haute Autorité de santé, 2019
Il est important d’accompagner l’ensemble de vos patients et d’effectuer un suivi régulier. Dans ce cadre, il est impératif d’évaluer systématiquement, tout au long du parcours de soins, l’état nutritionnel des patients pour prévenir, repérer et éventuellement traiter la dénutrition.
Évaluer la dénutrition consiste à :
– contrôler systématiquement les ingesta de votre patient. Ainsi, la réduction des ingesta est, pour un patient atteint de cancer, un facteur majeur de dénutrition ;
– calculer son indice de masse corporelle (IMC). On considère qu’il y a dénutrition si l’IMC est inférieur à 18,5 kg/m2 chez l’adulte et inférieur à 21 kg/m2 chez les plus de 70 ans. Attention ! un IMC normal ou élevé n’exclut pas la possibilité d’une dénutrition chez le patient ;
– peser le patient à chaque visite et tracer dans le dossier l’évolution de son poids. On considère qu’une personne est dénutrie lorsque l’on constate une perte de poids supérieure ou égale à 5 % en 1 mois ou supérieure ou égale à 10 % en 6 mois. Cette perte de poids peut aussi être supérieure ou égale à 10 % par rapport à son poids habituel avant le début de la maladie ;
Si vous constatez une dénutrition chez vos patients, vous pouvez déclencher un accompagnement nutritionnel et les orienter vers une personne ressource comme un médecin nutritionniste ou un diététicien.
Source : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Facteurs-de-risque-et-de-protection/Denutrition
2. Rock CL, Doyle C, Demark-Wahnefried W, et al. Nutrition and physical activity guidelines for cancer survivors. CA Cancer J Clin 2012;62:243-74.
3. Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. HAS, novembre 2019.
4. Réseau NACRe. Objectifs prioritaires pour la prévention nutritionnelle des cancers. www6.inrae.fr ou https://bit.ly/3oKfmZ1
5. Institut national du cancer. Bénéfices de l’activité physique pendant et après cancer. Des connaissances scientifiques aux repères pratiques. Collection État des lieux et des connaissances. INCa, mars 2017.
6. Santé publique France. Plan national nutrition santé. Ressources pour les professionnels de santé. Affiche. Recommandations alimentaires adultes. www.mangerbouger.fr ou http://bit.ly/3cDpTCW
7. Institut national du cancer. Arrêt du tabac dans la prise en charge du patient atteint de cancer/Systématiser son accompagnement. INCa, mars 2016.
8. Plan cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers: donnons les mêmes chances à tous, partout en France.
9. Institut national du cancer. Les cancers en France. L’essentiel des faits et chiffres. Édition 2019. INCa, février 2019.
10. Demark-Wahnefried W, Aziz NM, Rowland JH, Pinto BM. Riding the crest of the teachable moment: promoting long-term health after the diagnosis of cancer. J Clin Oncol 2005;23:5814-30.
11. Institut national du cancer. La vie cinq ans après le diagnostic d’un cancer. Collection État des lieux et des connaissances. INCa, juin 2018.
12. Réseau NACRe. Jeûne, régimes restrictifs et cancer : revue systématique des données scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jeûne en France. Novembre 2017. www6.inrae.fr ou https://bit.ly/2MNFoNx
Dans cet article
- Impact des facteurs nutritionnels sur la mortalité, le risque de récidive et de second cancer
- Situations nutritionnelles à risque pendant et après les traitements du cancer
- Prévention tertiaire : repérer les situations à risque, informer et accompagner les patients
- Lutter aussi contre la désinformation