Au dernier trimestre 2020, l’Institut national du cancer (INCa) a publié un rapport présentant l’état actuel des connaissances sur l’impact des facteurs nutritionnels sur des événements cliniques pendant ou après un cancer.1 Ce rapport est issu d’un travail d’expertise collective ayant fait appel à des experts du Réseau national alimentation cancer recherche (Réseau NACRe) [v. liste, en note].
L’objectif était de fournir aux patients atteints de cancer et aux professionnels de santé des recommandations nutritionnelles adaptées lorsque les niveaux de preuve actuels le permettent.
Le rapport prend en compte les articles scientifiques publiés depuis la dernière revue de la littérature scientifique réalisée par l’American Cancer Society (ACS), datant de 2012.2 Les conclusions du rapport reposent sur l’analyse des résultats de 243 études (méta-analyses, analyses poolées, essais d’intervention et études de cohorte).
Les niveaux de preuve des relations entre l’exposition aux facteurs nutritionnels, au moment du diagnostic d’un cancer ou après, et des événements cliniques ont été évalués en tenant compte de critères précis (pour plus de détails, voir le rapport).1 Les facteurs nutritionnels retenus incluent l’alcool, la consommation d’aliments, les profils de consommation alimentaire, le poids, la dénutrition et les facteurs associés, et les compléments alimentaires. Les événements cliniques pris en compte sont la mortalité globale et la mortalité liée au cancer, la progression et la récidive du cancer, les seconds cancers primitifs, et la qualité de vie globale. Seuls les niveaux de preuve jugés « convaincants » et « probables » par le groupe de travail ont amené à établir des recommandations (v. tableau).

Impact des facteurs nutritionnels sur la mortalité, le risque de récidive et de second cancer

Boissons alcoolisées

La consommation d’alcool au moment du diagnostic d’un cancer des voies aérodigestives supérieures (cancers de la sphère oto-rhino-laryngée [ORL]) s’est avérée être un facteur de risque de second cancer primitif (avec un niveau de preuve probable).

Fibres alimentaires et régimes pauvres en graisse

Concernant l’alimentation, la consommation d’aliments riches en fibres (céréales complètes, légumes secs, fruits et légumes) diminue le risque de mortalité globale chez les patientes atteintes de cancer du sein (niveau de preuve probable). De même, les régimes pauvres en graisses diminuent le risque de mortalité globale et de récidive chez les patientes atteintes de cancer du sein (niveau de preuve probable).

Surpoids et obésité

Le surpoids, caractérisé par un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25 kg/m² (IMC = poids en kg/taille2 en m) et l’obésité (IMC ≥ 30 kg/m²) augmentent le risque de récidive de cancer du sein (niveau de preuve probable). Ils augmentent également le risque de mortalité globale chez les patients atteints de cancer du rein (niveau de preuve probable), mais, à l’inverse, ils diminuent le risque de mortalité chez les patients atteints de cancers du poumon et de l’œsophage (niveau de preuve probable). L’obésité augmente le risque de mortalité dans le cas du cancer du sein (niveau de preuve probable) et le risque de survenue d’un second cancer du sein primitif (niveau de preuve convaincant). Chez les patients atteints d’un cancer colo­rectal, l’obésité augmente également le risque de mortalité et de récidive (niveau de preuve convaincant).

Dénutrition et sarcopénie

Un poids insuffisant (IMC < 18,5 kg/m2) s’est avéré aussi être un facteur de risque de mortalité globale, de récidive et de progression pour le cancer colorectal (niveau de preuve convaincant) et de mortalité globale pour les cancers du poumon et de l’estomac (niveau de preuve probable). Plus spécifiquement, la perte musculaire (sarcopénie) augmente les risques de mortalité chez les patients atteints de cancers de l’œsophage, du foie, de l’estomac et du pancréas, et de récidives dans le cas des cancers du foie et de l’estomac (niveau de preuve probable).

Situations nutritionnelles à risque pendant et après les traitements du cancer

Tout au long du parcours de soins, il est primordial d’évaluer l’état nutritionnel des patients et de déclencher un accompagnement nutritionnel si nécessaire.
Cette évaluation peut être fondée sur l’utilisation de critères anthropométriques (évolution du poids et IMC), la quantification de la masse et/ou de la fonction musculaire et éventuellement sur l’évaluation de la consommation des ingesta. Elle est recommandée par la Haute Autorité de santé pour le dépistage de la dénutrition dès le diagnostic et durant le parcours thérapeutique.3 La prise en charge nutritionnelle, lorsqu’elle est nécessaire, est adaptée à la situation clinique du patient.
Les principales situations nutritionnelles à risque pouvant être rencontrées selon les localisations du cancer sont indiquées sur la figure. Les évaluations à mettre en œuvre par les professionnels de santé sont les suivantes :

Dès le diagnostic et tout au long du parcours de soins

Évaluation de la dénutrition et accompagnement si nécessaire pour prévenir ou guérir la dénutrition. Dans le cas des cancers du poumon et de l’œsophage, il est recommandé d’éviter la perte de poids intentionnelle, quelle que soit la situation pondérale du patient. Pour ces cancers et ceux du côlon et du rectum, du pancréas, de l’estomac et du foie, il est essentiel de prévenir et de dépister la dénutrition, et le cas échéant de la prendre en charge (v. encadré).
Évaluation de la surcharge pondérale et accompagnement pour ne pas prendre de poids supplémentaire. Pendant les traitements, dans le cas des cancers du côlon, du rectum, du sein et du rein, il est conseillé d’éviter la prise de poids chez les patients en poids normal ou en excès de poids. Il est cependant inapproprié de faire perdre du poids aux patients ayant une surcharge pondérale pendant les traitements.
Évaluation de la consommation d’alcool et accompagnement si nécessaire pour arrêter ou réduire la consommation. Il est en effet recommandé aux patients atteints de cancers des voies aérodigestives supérieures d’éviter toute consommation d’alcool. Il est recommandé aux patients atteints d’autres cancers d’en limiter la consommation, comme dans le cadre de la prévention primaire.4

Après les traitements

Après les traitements, il faut évaluer l’excès de poids des patients et les accompagner si nécessaire pour en perdre.
Après les traitements, dans le cas des cancers du côlon et du rectum, du sein et du rein, il est conseillé d’atteindre et maintenir un poids de forme, sauf exception : pour les personnes ayant une obésité, l’atteinte d’un IMC entre 25 et 30 kg/m² est un objectif plus réaliste. En outre, pour les patients de plus de 70 ans, la perte de poids n’est pas appropriée, car la perte de poids (non intentionnelle) augmente avec l’avancée en âge, elle se traduit par une perte de masse musculaire et est associée à une surmortalité.

Prévention tertiaire : repérer les situations à risque, informer et accompagner les patients

Les conclusions de ce rapport soulignent qu’il est essentiel d’évaluer l’état nutritionnel des patients atteints de cancer tout au long du parcours de soins et de repérer les situations nutritionnelles à risque. En effet, maintenir ou atteindre un poids de forme, tout en prévenant, dépistant et le cas échéant prenant en charge la dénutrition sont des leviers d’action essentiels dans la prévention tertiaire des cancers, tout comme la mise en place d’un accompagnement nutritionnel. Elles mettent également en évidence l’importance de prendre en compte les spécificités par localisation de cancer.
En dehors des situations nutritionnelles à risque identifiées pour certaines localisations de cancer, il convient de rappeler aux patients, pendant et après un cancer, de suivre les recommandations nutritionnelles en vigueur pour la population générale.6
Les résultats de cette nouvelle expertise collective s’ajoutent à ceux déjà publiés précédemment concernant les bénéfices de l’activité physique et de l’arrêt du tabac préconisant, dès le diagnostic, la promotion et la prescription d’activité physique, si besoin adaptée, la lutte contre la sédentarité et le repérage du tabagisme des patients avec un accompagnement au sevrage.6, 7 Ils complètent les outils à la disposition des professionnels de santé afin d’implémenter la prévention tertiaire dans le parcours de soins des patients atteints de cancer, dans une démarche globale comme le préconisait déjà le Plan cancer 2014-2019, y compris dans le lien ville-hôpital et même après guérison du cancer.8
L’enjeu est de taille, sachant que près de 3,8 millions de personnes en France vivent aujourd’hui avec un cancer ou en ont guéri.9 Le diagnostic de cancer apparaît comme un événement opportun pour adopter des comportements plus sains du fait de la sensibilité particulière des patients aux messages de réduction des risques, sous réserve que leur état clinique et leur état nutritionnel le permettent.10 Pourtant, les résultats de l’enquête VICAN5 menée en France métropolitaine auprès de 4 174 patients illustrent les besoins en matière de prévention tertiaire chez les survivants du cancer : cinq ans après le diagnostic d’un cancer, 33 % des personnes n’ont pas de suivi spécifique en médecine générale ; 33 % sont en surpoids, 16 % sont en situation d’obésité et 16 % ont une insuffisance pondérale ; 53 % des personnes ont réduit leur activité physique ou y ont totalement renoncé ; 45 % des consommateurs d’alcool n’ont pas arrêté leur consommation pendant le traitement du cancer et 60 % des fumeurs n’ont pas arrêté de fumer.11

Lutter aussi contre la désinformation

Les professionnels de santé doivent être à l’écoute des attentes de leurs patients et permettre un dialogue tenant compte de l’état actuel des connaissances et des risques éventuels. Il s’agit non seulement d’informer les patients sur les facteurs de risque nutritionnels auxquels ils sont exposés mais aussi de répondre à leurs questionnements et d’identifier les éventuelles idées fausses.
Pour de nombreux facteurs et localisations de cancer, les données sont peu nombreuses et ne permettent pas d’établir d’association avec les événements cliniques d’intérêt. Pourtant, pour certains facteurs nutritionnels (soja, compléments alimentaires antioxydants, jeûne et régimes restrictifs…), des allégations « anti-cancer » non étayées par des preuves scientifiques circulent. Elles donnent aux patients de faux espoirs et peuvent leur faire courir des risques inutiles.
Bien que des études suggèrent que la consommation de soja, après diagnostic d’un cancer du sein, puisse être associée à une diminution du risque de récidive (niveau de preuve suggéré), en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, par précaution, il est déconseillé aux patientes atteintes de cancer du sein de consommer cette légumineuse (sous forme d’aliment ou de complément alimentaire).1
Concernant les compléments alimentaires, les données sont éparses et peu précises. Bien que la consommation de compléments alimentaires à base de vitamine C soit associée à une réduction de la mortalité chez les patientes atteintes de cancer du sein (niveau de preuve probable), en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, il est déconseillé à ces patientes d’en consommer.1 Comme le signale l’American Cancer Socitety,² les compléments alimentaires à base d’antioxydants pourraient réduire l’efficacité des traitements anticancéreux en réparant les dégâts oxydatifs induits par ces derniers au niveau des cellules cancéreuses. De manière plus générale, il est conseillé de ne pas recourir aux compléments alimentaires, sauf indication médicale, et d’assurer ses besoins en vitamines et minéraux par une alimentation équilibrée. De même, en l’absence de données sur des populations européennes, il est conseillé de ne pas recourir à des extraits ou décoctions de plantes et de champignons médicinaux (v. tableau).
Par ailleurs, le rapport d’expertise collective du Réseau NACRe a montré qu’il n’existe pas de preuve scientifique avérée sur le bénéfice de la pratique du jeûne ou de régimes restrictifs chez les patients atteints de cancer, et que ces pratiques pourraient augmenter le risque de dénutrition et de perte de masse musculaire (sarcopénie), qui sont des facteurs de mauvais pronostic du cancer. Des dépliants d’information dans ce domaine, destinés aux professionnels de santé et à leurs patients, sont disponibles sur le site web du Réseau NACRe ( www.inrae.fr/nacre ).12
Membres du groupe de travail INCa « Impact des facteurs nutritionnels pendant et après cancer »Raphaëlle Ancellin, INCa, Boulogne-Billancourt Vanessa Cottet, CHU Dijon, université de Bourgogne, Inserm, Dijon Laure Dossus, Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Lyon Philippine Fassier, institut Gustave-Roussy, Villejuif Julie Ginhac, Réseau NACRe, équipe de coordination, Jouy-en-Josas Paule Latino-Martel, Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), coordination Réseau NACRe, Jouy-en-Josas Isabelle Romieu, CIRC, Lyon Sébastien Salas, CHU La Timone, Marseille Stéphane Schneider, université Côte d’Azur, CHU de Nice Bernard Srour, Inserm, EREN, Bobigny Marina Touillaud, centre Léon-Bérard, Lyon ; UA8 Inserm, Lyon Mathilde Touvier, Inserm, EREN, Bobigny
Encadre

Conseils de l’INCa aux professionnels de santé pour repérer la dénutrition, d’après les recommandations de la Haute Autorité de santé, 2019

Il est important d’accompagner l’ensemble de vos patients et d’effectuer un suivi régulier. Dans ce cadre, il est impératif d’évaluer systématiquement, tout au long du parcours de soins, l’état nutritionnel des patients pour prévenir, repérer et éventuellement traiter la dénutrition.

Évaluer la dénutrition consiste à :

– contrôler systématiquement les ingesta de votre patient. Ainsi, la réduction des ingesta est, pour un patient atteint de cancer, un facteur majeur de dénutrition ;

– calculer son indice de masse corporelle (IMC). On considère qu’il y a dénutrition si l’IMC est inférieur à 18,5 kg/m2 chez l’adulte et inférieur à 21 kg/m2 chez les plus de 70 ans. Attention ! un IMC normal ou élevé n’exclut pas la possibilité d’une dénutrition chez le patient ;

– peser le patient à chaque visite et tracer dans le dossier l’évolution de son poids. On considère qu’une personne est dénutrie lorsque l’on constate une perte de poids supérieure ou égale à 5 % en 1 mois ou supérieure ou égale à 10 % en 6 mois. Cette perte de poids peut aussi être supérieure ou égale à 10 % par rapport à son poids habituel avant le début de la maladie ;

Si vous constatez une dénutrition chez vos patients, vous pouvez déclencher un accompagnement nutritionnel et les orienter vers une personne ressource comme un médecin nutritionniste ou un diététicien.

Source : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Facteurs-de-risque-et-de-protection/Denutrition

Références
1. Institut national du cancer.Impact des facteurs nutritionnels pendant et après cancer/rapport. collection État des lieux et des connaissances. Rapport INCa/NACRe, septembre 2020. www.e-cancer.fr ou http://bit.ly/3jeaji9
2. Rock CL, Doyle C, Demark-Wahnefried W, et al. Nutrition and physical activity guidelines for cancer survivors. CA Cancer J Clin 2012;62:243-74.
3. Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. HAS, novembre 2019.
4. Réseau NACRe. Objectifs prioritaires pour la prévention nutritionnelle des cancers. www6.inrae.fr ou https://bit.ly/3oKfmZ1
5. Institut national du cancer. Bénéfices de l’activité physique pendant et après cancer. Des connaissances scientifiques aux repères pratiques. Collection État des lieux et des connaissances. INCa, mars 2017.
6. Santé publique France. Plan national nutrition santé. Ressources pour les professionnels de santé. Affiche. Recommandations alimentaires adultes. www.mangerbouger.fr ou http://bit.ly/3cDpTCW
7. Institut national du cancer. Arrêt du tabac dans la prise en charge du patient atteint de cancer/Systématiser son accompagnement. INCa, mars 2016.
8. Plan cancer 2014-2019. Guérir et prévenir les cancers: donnons les mêmes chances à tous, partout en France.
9. Institut national du cancer. Les cancers en France. L’essentiel des faits et chiffres. Édition 2019. INCa, février 2019.
10. Demark-Wahnefried W, Aziz NM, Rowland JH, Pinto BM. Riding the crest of the teachable moment: promoting long-term health after the diagnosis of cancer. J Clin Oncol 2005;23:5814-30.
11. Institut national du cancer. La vie cinq ans après le diagnostic d’un cancer. Collection État des lieux et des connaissances. INCa, juin 2018.
12. Réseau NACRe. Jeûne, régimes restrictifs et cancer : revue systématique des données scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jeûne en France. Novembre 2017. www6.inrae.fr ou https://bit.ly/2MNFoNx

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Résumé

Fin 2020, l’Institut national du cancer a publié un rapport présentant l’état actuel des connaissances sur l’impact des facteurs nutritionnels sur des événements cliniques pendant et après un cancer. Ce rapport est issu d’une d’expertise collective ayant fait appel à des experts du Réseau national alimentation cancer recherche (Réseau NACRe, www.inrae.fr/nacre). Le rapport montre que certains facteurs nutritionnels ont un impact sur la mortalité, le risque de récidive et de second cancer primitif chez les patients atteints de cancer. Ainsi, des situations nutritionnelles à risque pourraient être rencontrées pour certaines localisations du cancer : dès le diagnostic et tout au long du parcours de soins, il convient d’être vigilant face à une éventuelle perte de poids (cancers du poumon et de l’œsophage), la dénutrition (cancers du poumon, de l’œsophage, du côlon et du rectum, du pancréas, de l’estomac et du foie), une prise de poids (cancers colorectal, du sein et du rein) ou la consommation d’alcool (cancers des voies aérodigestives supérieures) ; et, après les traitements, à un excès de poids (cancers colorectal, du sein et du rein). Ces situations nécessitent des évaluations nutritionnelles, voire un accompagnement ou une prise en charge par des professionnels de santé, dans le cadre de la prévention tertiaire.