l l n’y a pas de semaine sans que l’Ansm ne notifie une, voire plusieurs, tensions d’approvisionnement ou de ruptures de stock quand ce ne sont pas des arrêts de commercialisation ! Ces signalements de pénurie ont été multipliés par 10 entre 2008 et 2017, année où ils ont atteint un niveau record (530) et en augmentation de plus de 30 % par rapport à 2016 ! Plus grave encore, 80 % des signalements reçus en 2017 correspondent à des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), par exemple des anti-infectieux, des anticancéreux, des vaccins, des antiépileptiques, des antiparkinsoniens, quand ce ne sont pas des classes thérapeutiques entières, comme récemment les corticoïdes !
L’an dernier, l’Académie nationale de pharmacie mais aussi les sénateurs ont pris conscience de l’importance du phénomène. Il y a quelques jours, une vingtaine de confrères ont lancé un véritable SOS dans la presse grand public. Leurs analyses sont assez convergentes. Ils dénoncent l’abandon de certains médicaments pourtant fort utiles par manque de rentabilité. Ils pointent aussi la dépendance des laboratoires façonniers en raison de la délocalisation de la production des principes actifs de leurs spécialités pharmaceutiques ; 80 % de ceux qui sont disponibles en Europe sont produits hors de ses frontières, et 35 % des matières premières utilisées dans la fabrication des médicaments en France ne proviennent que de trois pays : l’Inde, la Chine et les États-Unis !
Les industriels du médicament (LEEM) ne partagent que très partiellement ces reproches. Pour eux, la principale cause de ces tensions serait la forte augmentation de la demande face à des capacités de production qui ont du mal à s’adapter. Ils mettent aussi en avant notre politique de fixation des prix rendant les médicaments français régulièrement moins chers que dans le reste de l’Europe et incitant ainsi les gros répartiteurs à les revendre hors de nos frontières. En revanche, ils ne sont pas hostiles à la constitution d’une liste de médicaments « stratégiques » (dont les stocks devraient être renforcés) à la condition d’en assurer le juste prix. S’ils sont tout à fait conscients de notre dépendance sanitaire en principes actifs, ils voient mal, à la différence des sénateurs, comment relocaliser leurs productions.
Face à ce problème de pénurie de médicaments, nos ministres, Marisol Touraine d’abord et maintenant Agnès Buzyn, ont introduit dans leurs lois santé des articles pour lutter contre ce phénomène. Mais l’impact de ces décisions législatives dans la vraie vie n’a pas vraiment été ressenti…
Pourtant, il y a une véritable urgence ! Les professionnels de santé rencontrent de plus en plus souvent des difficultés de prise en charge, véritables pertes de chance pour les patients concernés.* On comprend facilement pourquoi ceux-ci manifestent, à juste titre, leur angoisse, leur désarroi et leur colère vis-à-vis de ces dysfonctionnements qu’il faudrait anti- ciper et non subir.
Les différents responsables du médicament doivent se réunir prochainement. Trouveront-ils pour autant un terrain d’accord pour mettre fin à ces tensions d’approvisionnement ? Rien n’est moins sûr ! Il faut dire que leurs causes dépassent peut-être notre Hexagone ? Une bonne opportunité pour que l’Union européenne montre son intérêt géopolitique dans le domaine de la santé…
* Un Français sur quatre aurait été confronté à une pénurie de médicament.