La pandémie de Covid-19 a mis en lumière l’enjeu de santé publique que représentent les tensions et ruptures d’approvisionnement de médicaments en situation épidémique. Quel est le cadre juridique de la constitution de stocks pour des situations exceptionnelles ? L’exposition de la France à l’indisponibilité de médicaments a fait l’objet de plusieurs rapports, dont ceux de l’Académie nationale de médecine, et de dispositions législatives et réglementaires. Si la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit des dispositions particulières, devant l’accroissement rapide de la fréquence des ruptures d’approvisionnement en produits de santé, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 a renforcé le dispositif de lutte contre les pénuries de médicaments en instaurant une obligation pour les titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de constituer jusqu’à quatre mois de stock pour tous les médicaments. Le décret d’application du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national a différencié les quantités selon les médicaments pour une durée d’une semaine à deux mois de couverture des besoins, cette durée pouvant être diminuée ou augmentée « sans excéder quatre mois ».Si on analyse les quantités en deçà ou au-delà de ce que la loi autorise au regard du principe de libre circulation des marchandises prévu par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, il est possible de déceler des contradictions apparentes, car le principe même de stocks peut contrevenir aux décisions de libre circulation des marchandises contenues dans le traité de Rome. En effet, le stock envisagé par le gouvernement français peut se faire aux dépens des autres États membres : il s’agit de facto d’une réduction des courants d’exportation, donc d’un obstacle à la concurrence. Il semble que la législation française évite subtilement cet écueil en définissant la notion de « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur », et une restriction dans le temps de la constitution de stocks. Elle s’appuie pour ce faire sur le traité de Rome lui-même, qui considère que la protection de la santé peut être une cause de restriction de la libre circulation des biens. Par ailleurs, la jurisprudence est claire : la santé occupe le premier rang parmi les biens et les intérêts. Il n’en demeure pas moins qu’une harmonisation européenne des pratiques en matière de stocks, en particulier pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, serait hautement souhaitable.
Lionel Collet, conseiller d’État, membre de l’Académie nationale de médecine
15 novembre 2022