Pour certains patients, la peur de prendre l’avion peut représenter un handicap social ou professionnel significatif. Que cache ce trouble ? Quels traitements ont montré leur efficacité aujourd’hui ? Quand prescrire des médicaments et lesquels ? Entretien avec le Dr Alexis Bourla, psychiatre, hôpital Saint-Antoine, Paris.

Qu’est-ce que la peur de l’avion ?

On distingue deux grands profils : les personnes qui ont une peur de l’avion liée à la peur de mourir (peur du crash) et celles qui supportent mal l’avion en lien avec ce qui peut se passer dans ce lieu fermé (sentiment de claustrophobie, peur de faire un malaise, de ne pas pouvoir sortir…). Face à un patient qui consulte pour cette raison, il faut tout d’abord évaluer le type de trouble. La peur du crash est souvent associée à d’autres types d’angoisses, plus diffuses ; ces patients ont donc plus de comorbidités : la peur de mourir se focalise sur l’avion mais aussi sur d’autres situations perçues comme à risque. La première étape est de savoir si c’est une phobie spécifique isolée (encadré) ou si elle s’intègre dans un cadre plus large : trouble anxieux généralisé, trouble panique, voire trouble dépressif.

Quel traitement proposer ?

Dans tous les cas, le traitement repose sur la psychothérapie. Les techniques qui ont fait leurs preuves sont les thérapies comportementales et cognitives. Chez certains patients, l’hypnose ou la médiation en pleine conscience peuvent aussi être bénéfiques. L’avantage, par rapport aux autres approches psychothérapeutiques, est qu’on peut obtenir des résultats en 10-15 séances. Aujourd’hui, dans le cadre des TCC, les thérapies par exposition à la réalité virtuelle sont de plus en plus utilisées.

Comment se déroulent-elles en pratique ?

Il existe plusieurs fournisseurs de simulateurs en réalité virtuelle (C2care par exemple). L’immersion s’effectue par le biais d’un casque de vision stéréoscopique : écran haute définition placé devant les yeux et couplé à un traqueur de position connecté à un ordinateur. Les premières séances sont dédiées à l’apprentissage des techniques de gestion du stress et de relaxation. Ensuite, le patient est confronté aux environnements anxiogènes de façon graduelle. Il peut non seulement voir et/ou entendre, mais aussi interagir en utilisant ses sens et ses compétences. L’accompagnement par le thérapeute est essentiel : ce dernier s’enquiert sur ses sensations, sur les pensées associées, et aide le patient à trouver des stratégies pour les gérer. Cette procédure vise, à travers la confrontation virtuelle, à l’habituation aux stimuli anxiogènes. Une fois passée la phase d’évitement (le patient arrive à prendre l’avion une première fois), plus le patient aura de bonnes expériences, plus il sera désensibilisé de sa peur. Attention toutefois, cette technique est contre-indiquée en cas d’épilepsie photosensible (60 à 120 Hz).

Quelle est la place des médicaments ?

En cas d’anxiété modérée, l’idéal est d’apprendre au patient la gestion du stress et d’éviter au maximum les médicaments, qui ont un effet uniquement symptomatique et ne règlent pas le problème de fond. Si le recours à ces derniers est indispensable (départ en urgence par exemple), on prescrit classiquement une benzodiazépine type alprazolam, qui agit assez rapidement (30 min-1 h) et reste active pendant 6-8 heures, permettant aux patients de « passer le cap » sur des vols à moyen-courrier. Autre possibilité : les anticholinergiques type hydroxyzine ou alimémazine, qui ont des vertus anxiolytiques et sédatives. Cependant, cette stratégie à un inconvénient important puisque l’effet est très différent selon les individus (idiosyncrasie importante), et il n’y a pas de facteur prédictif de leur efficacité ou au contraire de leur effet « trop sédatif » (alors que l’effet des benzodiazépines, chez les patients « naïfs », est moins variable). Les bétabloquants (propranolol), qui agissent sur les sensations physiques (tachycardie, sueurs, sensation de poids sur la poitrine…), peuvent être intéressants chez certains patients qui ont l’habitude d’en prendre en cas de phobie sociale mais il faut être prudent quant au risque vasculaire qui peut être majoré en avion.

En cas de vols de nuit, la mélatonine peut être intéressante au-delà de ses effets sur le jet lag car elle a un effet sédatif si prescrite à dose élevée (> à 5 mg) donc en préparation magistrale car les compléments alimentaires disponibles en parapharmacie en contiennent à une posologie < 2 mg.

Dans tous les cas, il faut toujours tester le médicament choisi avant le jour J.

Dans les situations où la peur de l’avion a un impact très handicapant ou lorsque le patient a une peur de mourir qui dépasse la peur de l’avion (trouble anxieux généralisé, troubles panique…), il faut traiter le trouble en question.

De nombreux patients s’automédiquent avec de l’alcool, qu’en penser ?

C’est une pratique très courante qu’on ne peut pas recommander, d’autant plus que les boissons alcoolisées ne sont pas toujours disponibles (vol tôt le matin par exemple), ce qui peut déstabiliser le patient… Attention aussi aux cocktails alcool-médicaments !

Les TCC restent encore difficilement accessibles dans certaines régions en France, quels conseils donner aux médecins ?

Sur le site de l’association françaises de TCC (AFTCC), ils peuvent trouver un annuaire avec des professionnels formés à ces techniques. Il faut savoir aussi que certains fournisseurs de simulateurs en réalité virtuelle peuvent envoyer les casques aux patients pour qu’ils puissent pratiquer eux-mêmes au domicile, sous la supervision à distance d’un psychologue en téléconsultation.

Encadre

 Troubles anxieux : de quoi parle-t-on ?

L’attaque de panique n’est pas une pathologie à elle seule mais une manifestation anxieuse paroxystique. Elle se caractérise par une angoisse très intense, aiguë et à début brutal, atteignant son maximum en moins de 10 minutes et durant 15 à 30 minutes, parfois plus. Un sentiment de panique s’y associe, lié à une sensation de perte de contrôle interminable. Les symptômes anxieux peuvent être présents simultanément : palpitations, hyperventilation et sensation d’étouffement, vertiges, bouffées de chaleur, douleurs abdominales.

Le trouble panique est caractérisé par la répétition d’attaques de panique spontanées (sans facteur déclenchant ni peur préalable), à l’origine de perturbations psychologiques ou fonctionnelles pendant au moins un mois. Ces attaques de panique, par leur caractère imprévisible et les craintes qu’elles provoquent, engendrent chez le patient une anxiété anticipatoire intense (la peur d’avoir peur), qui peut devenir omniprésente. L’agoraphobie correspond à la crainte par le sujet de toute situation dont il ne pourrait pas s’échapper facilement, ou bien où il ne pourrait pas être aidé, en cas de malaise ou d’attaque de panique (foule, endroits clos ou grands espaces ouverts…).

Le trouble anxieux généralisé est une anxiété excessive, en fréquence et en intensité (par rapport à la réalité des risques), survenant la plupart du temps, durant au moins six mois. Il s’agit d’inquiétudes peu contrôlables pouvant concerner tous les domaines de la vie (risques d’accidents, de maladies, de problèmes professionnels...) et l’avenir. Sont souvent associées : somatisations diverses, irritabilité, troubles du sommeil...

Les phobies spécifiques sont des « peurs intenses irraisonnées et incontrôlables, en réaction à un objet ou à une situation définie, et surtout disproportionnées par rapport au danger réel, et ce de manière persistante ». Le contact ou même la vue, en photo par exemple, de l’objet phobique peut suffire à provoquer une réaction anxieuse intense. Les phobies les plus fréquentes concernent les animaux, la vue du sang ou des injections, les hauteurs, les lieux clos, l’obscurité, les tremblements de terre ou les orages… et l’avion.

Pour en savoir plus
Dossier troubles anxieux, élaboré selon les conseils du Pr Antoine Pelissolo.  Rev Prat 2019;69(9);969-92.