La photophobie est une crainte de la lumière due à la sensation pénible voire douloureuse (photodynie) qu’elle provoque et, par contiguïté, tout inconfort visuel produit par la lumière. Il s’agit d’un signe et motif fréquent de consultation en ophtalmologie. Chez l’enfant, elle n’est pas banale et doit être explorée.
Si une légère photophobie est banale chez l’enfant, surtout s’il est faiblement pigmenté, elle peut être néanmoins le signe précoce d’une maladie potentiellement grave, tant sur le plan oculaire que général, et à ce titre elle doit être explorée. Elle est à distinguer de l’éblouissement qui est une diminution temporaire des capacités visuelles provoquée par une lumière forte.

Mécanismes en cause

Plusieurs mécanismes en cause dans la photophobie ont été décrits. On peut schématiquement les subdiviser en une voie « superficielle » et une voie « profonde ». La photophobie « superficielle » est un type de réflexe douloureux assuré par les terminaisons nociceptives du nerf trijumeau au niveau de la surface oculaire et la partie antérieure de l’œil (iris et corps ciliaire).1 Cette voie est activée en cas de lésions des structures oculaires externes. La photophobie « profonde » est liée au fonctionnement des photorécepteurs, essentiellement des cônes. L’information nociceptive circule alors par une voie rétino-thalamostriée ; son rôle principal est la protection de l’œil contre des fortes intensités lumineuses potentiellement toxiques pour la rétine.2 Cette voie peut être anormalement activée en cas de maladies rétiniennes.
La photophobie est variable en fonction de la longueur d’onde de la lumière (teinte). Les extrêmes du spectre (lumière bleue et rouge sombre) provoquent davantage de photophobie. En effet, la réponse des cellules thalamiques est maximale en cas de stimulation par la lumière bleue de 480 nm.3
Enfin, le substrat exact de sensation douloureuse à la lumière reste méconnu.

Maladies se manifestant par photophobie

Sous le masque d’un signe apparemment oculaire, il est important d’éliminer tout d’abord les maladies menaçant le pronostic vital (fig. 1).

Photophobie – signe d’affection neurologique

Photo- et phonophobie sont les signes précoces de méningites, méningo- encéphalites et hémorrhagies méningées. Un contexte d’altération de l’état général (fièvre) et la présence de symptômes neurologiques diverses (céphalées, raideur, signes de focalisation) orientent le diagnostic. Les migraines, dont la fréquence est très sous-estimée chez l’enfant, peuvent s’accompagner de photophobie. D’une manière exceptionnelle, une photophobie insidieuse, accompagnée d’un torticolis, a été observée en cas de lésions tumorales de la fosse postérieure.4
Une photophobie qui ne s’explique pas par l’examen ophtalmologique doit être considérée comme neurologique jusqu’à preuve du contraire.

Photophobie – signe d’affection oculaire

Le diagnostic de photophobie oculaire dépend essentiellement de l’âge de l’enfant (v. tableau).

Pathologie de la surface oculaire

Les conjonctivites ne donnent pas de photophobie, sauf en cas de lésions cornéennes associées.
Les pathologies de la cornée sont de grandes pourvoyeuses de photo-aversion et de spasmes des paupières (blépharospasme). Toutes les atteintes de l’intégrité de l’épithélium ou du stroma cornéen vont se solder par une photophobie. Les abrasions cornéennes traumatiques (coup d’ongle, etc.) et les corps étrangers superficiels sont une cause majeure de consultation chez le spécialiste (fig. 2 et 3). Suivent les kératites infectieuses (notamment herpétiques [fig. 4]) et allergiques (kératoconjonctivite vernale [fig. 5]). Beaucoup plus rares sont des maladies héréditaires de la cornée, telles que les dystrophies opacifiantes et les dépôts liés aux erreurs innées de métabolisme (par exemple cystinose [fig. 6]). Ces maladies se manifestent souvent à l’adolescence.
L’instillation d’un collyre anesthésiant local peut s’avérer très utile pour le diagnostic différentiel : les patients ayant une atteinte cornéenne superficielle sont immédiatement soulagés. L’examen en lampe à fente avec le test à la fluorescéine est nécessaire pour arriver au diagnostic. Pour rappel, le stroma cornéen fixe la fluorescéine s’il est mis à nu (abrasions, ulcérations, kératites) ; irradié par la lumière bleue, la fluorescéine renvoie une lumière jaune verdâtre qui objective mieux les limites des lésions.

Glaucome congénital

Cette pathologie grave se manifeste chez un nourrisson de quelques semaines de vie par une triade classique incluant une photophobie, un écoulement de larmes claires sur la joue, sans signe inflammatoire ni obstruction du canal lacrymo-nasal (épiphora) et un blépharospasme. Une buphtalmie (« grand bel œil » ou œil bovin, distendu avec la sclère fine bleuâtre) arrive plus tardivement (fig. 7). Le diagnostic est confirmé par la prise des paramètres oculaires sous anesthésie générale (pression intraoculaire, diamètre de la cornée, longueur oculaire antéro-postérieure). C’est une urgence chirurgicale.

Pathologie de l’uvée

Les uvéites antérieures, très rares avant l’âge de 6 ans, provoquent une photophobie intense. En revanche, l’uvéite liée à l’arthrite juvénile –apanage de l’enfant – est souvent indolente et sans photophobie.
Les atteintes congénitales de l’iris, telles que l’aniridie (absence d’iris [fig. 8]) ou l’albinisme (manque de pigment dans les tissus oculaires et plus ou moins dans la peau [fig. 9]) donnent une photophobie variable plus précoce, présente à partir de quelques mois de la vie.
Comme dans le cadre précédent, l’examen en lampe à fente est crucial pour suspecter un diagnostic qui est ensuite confirmé par les examens plus spécifiques.

Maladies de la rétine

Les pathologies des cônes donnent des photophobies extrêmes et handicapantes. Les atteintes congénitales dites stationnaires, telles que l’achromatopsie, provoquent l’abolition du fonctionnement de tous les cônes ; seuls les bâtonnets – beaucoup plus sensibles que les cônes – restent fonctionnels. L’irruption des bâtonnets dans la vision diurne est créatrice d’une photophobie débutant vers l’âge de 1 an. Les patients atteints d’achromatopsie nécessitent le port de verres teintés, même à l’intérieur. À l’extérieur, teinte maximale et traitement polarisant sont souvent nécessaires. La vision est basse mais stable.
Les dystrophies des cônes pures et des dystrophies cône-bâtonnet sont des maladies progressives qui se manifestent pendant l’adolescence ou chez l’adulte jeune. Elles s’accompagnent de détérioration progressive de l’acuité visuelle.
Le diagnostic de telles maladies chez l’enfant est souvent difficile et nécessite un recours aux examens d’imagerie rétinienne couplés aux tests de la fonction (électrorétinogramme). La confirmation est faite in ultimo par des tests de biologie moléculaire car il s’agit des maladies héréditaires.

Neuropathies optiques

Les neuropathies optiques, indépendamment de leur cause (inflammatoires, compressives, héréditaires, carentielles, toxiques) donnent une photophobie modérée. Le diagnostic dépend d’une part du contexte clinique, des antécédents, des tests d’imagerie oculaire et cérébrale et d’autre part des tests fonctionnels de la perméabilité des voies optiques (champ visuel et potentiels évoqués visuels).

Prise en charge

Elle dépend de l’affection causale essentiellement.
Les mesures symptomatiques en cas de photophobie chronique se résument à la diminution de l’intensité de l’éclairage ambiant et au port de l’équipement optique. Plusieurs possibilités sont disponibles :
– verres teintés dont la teinte peut être adaptée au degré de photophobie, à l’ambiance lumineuse et aux préférences personnelles du patient ;
– verres polarisés diminuant l’influx lumineux de 50 % par filtrage spatial ;
– verres aux « filtres bleus », éliminant les courtes longueurs d’onde, potentiellement les plus toxiques pour la rétine et sources de photophobie. Malgré une campagne publicitaire large, le port de ce type de verres en continu est discutable. Tout d’abord, il ne faut pas oublier la difficulté de production de filtres à bande passante étroite (filtrant une longueur d’onde particulière). Plusieurs arguments sont en faveur d’un rôle crucial des courtes longueurs d’onde dans le développement normal de l’œil5 et dans le rythme circadien.6
Sauf dans quelques rares pathologies rétiniennes génératrices d’une photophobie intense (telle l’achromatopsie), nous ne recommandons pas de verres teintés à l’intérieur aux enfants, car ils dégradent la qualité de la vision et provoquent un effet de « dépendance », avec parfois une nécessité de teinte croissante pour obtenir le même effet. V
Références
1. Noseda R, Burstein R. Advances in understanding the mechanisms of migraine-type photophobia. Curr Opin Neurol 2011;24:197-202.
2. Stringham JM, Fuld K, Wenzel AJ. Spatial properties of photophobia. Invest Ophthalmol Vis Sci 2004;45:3838-48.
3. Noseda R, Bernstein CA, Nir RR, et al. Migraine photophobia originating in cone-driven retinal pathways. Brain J Neurol 2016;139:1971-86.
4. Buijsrogge M, Dauwe C, Delbeke P. Triad of torticollis, photophobia and epiphora in a child with a posterior fossa tumor. GMS Ophthalmol Cases 2014;4:Doc08.
5. Rucker F, Henriksen M, Yanase T, Taylor C. The role of temporal contrast and blue light in emmetropization. Vision Res 2018;151:78-87.
6. Ostrin LA. Ocular and systemic melatonin and the influence of light exposure: Melatonin and light exposure. Clin Exp Optom 2018. doi: 10.1111/cxo.12824
7. Hoyt CS, Taylor D, editors. Pediatric ophthalmology and strabismus: expertconsult.com ; get full access and more at expertconsult.com. 4. ed. Edinburgh: Saunders Elsevier, 2013.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Résumé Photophobie chez l’enfant

La photophobie est une intolérance anormale de la lumière. Elle est un motif fréquent de consultation en ophtalmologie adulte. Chez l’enfant, la photophobie est loin d’être banale et doit être explorée. Après avoir écarté une pathologie neurologique menaçant le pronostic visuel (méningite), l’examen oculaire permet d’en établir la cause. Bien que les maladies de surface oculaire dominent par leur fréquence, les pathologies de la rétine et du nerf optique peuvent aussi provoquer une photophobie. Une revue systématique des causes de photophobie chez l’enfant et un panorama iconographique sont présentés dans cet article.