Cette étude a inclus 370 patients (âge moyen 66,9 ± 15,9 ans) atteints d’un diabète le plus souvent de type 2 (87,6 %). Le problème de plaie était détecté par le patient dans 64,9 % des cas, par un proche dans 12,9 % des cas et par un professionnel de santé dans 27,9 % des cas.
Pour 43,3 % des patients, il aura fallu un mois pour obtenir un avis initial. Pour 32,4 %, le problème était déjà présent depuis 1 à 6 mois avant la consultation spécialisée. Le délai moyen entre la détection du nouveau problème et l’orientation vers un centre spécialisé était de 40,3 jours. Les consultations spécialisées ont eu lieu dans les 7 jours après orientation pour 56,2 % des patients mais le délai moyen était de 86,2 jours). Pour 284 patients, il s’agissait d’une plaie du pied diabétique.
Le patient sous-estime volontiers la gravité de ces lésions évolutives, ce qui explique en partie la lenteur de leur prise en charge : 61,9 % de ces patients la percevaient comme peu ou modérément grave alors que 52,1 % étaient des plaies ischémiques, 51,5 % des plaies infectées et 30,6 % des plaies ischémiques infectées.
Les médecins généralistes sont en première ligne pour prodiguer les premiers soins, et permettre à tous leurs patients d’accéder à cette expertise multidisciplinaire. Comment organiser la mise en décharge, point crucial du traitement ? Comment prendre en charge une plaie infectée, en attendant (le moins longtemps possible !) l’accès à un avis d’expert, et comment trouver un centre dans sa région ?
Quels patients dépister ?
À titre préventif, il faut repérer parmi les diabétiques ceux atteints d’une neuropathie, qui requièrent des mesures particulières. Les autres patients n’en ont pas besoin, en dehors des rares sujets qui ont une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) isolée. On dépiste ces malades à risque par un test rapide (en dehors du déchaussage que cela nécessite…) à l’aide d’un monofilament (vidéo). Si le patient ne sent pas à 2 reprises la pression de ce petit fil de nylon sous un des 3 points à tester, il est à risque de plaie. Si on ne possède pas de filament, on peut faire le même test en exerçant une pression digitale légère. Ce dépistage doit être fait tous les ans.
Comment prévenir les plaies ?
La meilleure prévention consiste en soins de podologie (pédicure et podologue désignant la même profession). Le podologue retire la corne, fraise les ongles, si nécessaire fabrique des semelles ; le podo-orthésiste fera les chaussures sur mesure (dans les deux cas, sur prescription obligatoire du médecin traitant). La CNAM a fait un effort financier important afin que ces soins soient remboursés chez les patients les plus à risque. Pour que l’ordonnance soit valable, il faut donc grader le risque. Le patient doit connaître son niveau de risque, et ce à quoi il donne droit.
Grade 0 (absence de risque) : le patient indemne de neuropathie n’a pas besoin de soins de podologie, ou bien il peut les faire lui-même. Il n’est pas remboursé par l’Assurance maladie.
Grade 1 (risque faible) : il a une neuropathie mais pas encore de déformations acquises. Il n’a pas non plus d’artérite (pouls périphériques – tibial postérieur et pédieux – bien palpés). Il a un risque, mais malheureusement ne peut bénéficier d’un remboursement de soins podologiques. S’il peut les financer lui-même (ou via sa mutuelle), l’idéal est qu’il aille au moins deux fois par an chez le pédicure.
Grade 2 (risque élevé) : coexistence de neuropathie et de déformations, qu’elles soient d’origine neurologique (pieds creux, orteils en griffe) ou non (hallux valgus, pieds creux constitutifs). Autre cas de figure : le patient a une neuropathie et des pouls artériels difficiles à palper, faisant suspecter une artérite. Quatre consultations de podologie sont remboursées par an. Il faut spécifier sur l’ordonnance « forfait pour risque podologique de grade 2 ».
Grade 3 (risque majeur) : le malade a déjà eu une plaie chronique, il sera remboursé de 6 consultations podologiques annuelles sur la mention « forfait pour risque podologique de grade 3 ». Cependant, de nombreux patients ne peuvent pas avancer les frais, tous les podologues n’acceptant pas la carte vitale.
Les pieds des patients à risque doivent être examinés à chaque consultation pour vérifier l’absence de plaie, si la corne est bien débridée et les ongles désépaissis. Idéalement, il faut aussi examiner les chaussures : sont-elles fermées, souples, sans couture blessantes à l’intérieur ?
Devant une plaie : 3 réflexes
1. La mettre immédiatement en décharge totale
Il faut prescrire un arrêt de travail et une chaussure de décharge adaptée à la localisation de la lésion sur une ordonnance, avec la mention « non substituable ». Les plaies plantaires de l’avant-pied peuvent bénéficier d’une chaussure Ortho-Wedge, par exemple, ou WPS Podartis. Les plaies du dos ou des bords du pied sont traitées à l’aide d’une Podalux. Il y a un reste à charge d’au moins 30 euros pour les patients n’ayant pas de mutuelle. Les plus difficiles sont celles du médiopied ou du talon : seul le fauteuil roulant ou le déambulateur avec tablette empêchent l’appui. Les béquilles ne sont pas efficaces et sont même dangereuses car ces patients ont souvent des troubles proprioceptifs importants. En centre expert, des plâtres de décharge peuvent être réalisés. Certains podo-orthésistes spécialisés dans l’appareillage fabriquent des bottes de décharge.
2. Rechercher une infection des parties molles
Le diagnostic est clinique : rougeur, chaleur (détectée au toucher du pourtour de la plaie), pus (en pressant sa périphérie), odeur. C’est seulement dans ce cas qu’on adresse le patient au laboratoire pour un prélèvement bactériologique. On lui prescrit 8 jours d’antibiothérapie au départ probabiliste. Les germes les plus fréquents étant le staphylocoque doré et le streptocoque bêta-hémolytique, on débute par amoxicilline-acide clavulanique ou bien pyostacine, sans attendre le résultat du prélèvement (durée : 8 jours). Si la plaie n’est pas infectée cliniquement, pas de prélèvement car celui-ci sera toujours positif (germe colonisant mais non pathogène) et les antibiotiques réclamés par le patient sont inutiles.
3. Contacter le centre expert le plus proche
Actuellement, le site https://www.urgomedical.fr/annuaire_pied/ en recense une centaine. L’avis d’un tel centre est indispensable, et dans les 2 semaines, pour deux raisons :
– Rechercher et traiter une ostéite, qui peut passer totalement inaperçue cliniquement. Cela se fait en explorant la plaie à l’aide d’un stylet stérile. S’il y a un contact avec l’os, une radiographie s’impose. Le traitement est chirurgical ou médical après biopsie osseuse.
– Dépister une AOMI parfois silencieuse (favorisée par un diabète ancien et déséquilibré). En effet, le diabétique souffre rarement de claudication intermittente, il peut avoir une artérite sévère sans autre signe clinique que l’abolition des pouls distaux.
Que faire devant une plaie non inflammatoire qui ne cicatrise pas ?
Devant toute plaie non infectée en apparence et qui ne cicatrise pas, 3 causes sont à évoquer. La mise en décharge n’est pas faite, ou de manière intermittente. Par exemple, le patient met sa chaussure spéciale chez lui mais sort faire ses courses avec ses chaussures habituelles. La cicatrisation nécessite une décharge totale et permanente. C’est l’aspect le plus difficile et le plus contraignant du traitement. Une plaie non déchargée est souvent exsudative, avec des pansements trempés. Une ostéite siège au fond de la plaie. Elle en empêche le bourgeonnement et le comblement. Seul le centre expert peut faire un diagnostic précoce avant une destruction ostéo-articulaire délabrante.
Une AOMI, modérée ou sévère, limite l’apport de sang artériel au niveau de la plaie. Une angioplastie des artères des jambes doit être discutée. Ainsi, il est nécessaire de prendre l’avis d’un centre expert (dans les 48 heures selon les recommandations de la HAS), mais en particulier si la plaie ne diminue pas de taille au bout de 15 jours de traitement.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
À lire aussi :
Hartemann A. Pied diabétique et risque de plaie : la prévention est cruciale. Rev Prat Med Gen 2019;33(1013);20-22.
Ahluwalia R, Manu C, Lacopi E, et al. Problèmes de pied diabétique : résultats de l’évaluation paneuropéenne de la perception des patients et de son impact possible sur les délais d’orientation. Société francophone du diabète, 2021.
Hartemann A. Pied du diabétique. Rev Prat 2019;69(6);615-33.