Avoir un pied diabétique signifie être à risque de faire une plaie chronique, c’est-à-dire d’une durée supérieure à 3 semaines.1 Longtemps, on a cru que c’était le diabète lui-même qui empêchait la cicatrisation de plaies au départ banales. Aujourd’hui, on sait que c’est la neuropathie qui fait le lit de ces lésions chroniques, un traitement inadapté en expliquant la pérennisation. L’artérite des membres inférieurs, quant à elle, est un facteur d’aggravation. Enfin, l’insuffisance veineuse n’a rien à voir dans leur chronicité.
À titre préventif, il faut donc repérer parmi les diabétiques ceux atteints d’une neuropathie, qui requièrent des mesures particulières. Les autres patients n’en ont pas besoin, en dehors des rares sujets qui ont une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) isolée.
On dépiste ces malades à risque par un test rapide (en dehors du déchaussage que cela nécessite…) à l’aide d’un mono- filament (
Si on ne possède pas de filament, on peut faire le même test en exerçant une pression digitale légère.
Ce dépistage doit être fait tous les ans.
Quel lien entre neuropathie et plaie ?
La neuropathie déforme et fixe le pied qui perd totalement sa souplesse et se creuse, les orteils se mettent en griffes (
La neuropathie dessèche le pied. De la corne dure se forme sur les points d’appui et les pulpes. Les ongles s’épaississent. Les talons deviennent secs et se gercent (rhagades).
La neuropathie supprime la perception de la douleur. Le patient ne fait donc pas meuler la corne qui reste en place, s’épaissit et creuse des ulcères dans la plante du pied ou les pulpes d’orteil, entraînant un mal perforant plantaire (ou pulpaire,
Les ongles épais et durs ne font pas mal et agressent le lit de l’ongle. Les chaussures serrées blessent le pied. Les rhagades du talon se creusent. Le patient ne consulte que très tard : devant la chronicité d’une plaie ouverte ou l’apparition de pus, voire quand une odeur nauséabonde se manifeste.
Quelle prévention pour éviter les plaies ?
La meilleure consiste en soins de podologie (pédicure et podologue désignant la même profession). Le podologue retire la corne, fraise les ongles, si nécessaire fabrique des semelles ; le podo-orthésiste fera les chaussures sur mesure (dans les deux cas, sur prescription obligatoire du médecin traitant).1
La CNAM a fait un effort financier important afin que ces soins soient remboursés chez les patients les plus à risque. Pour que l’ordonnance soit valable, il faut donc grader le risque. Le patient doit connaître son niveau de risque, et ce à quoi il donne droit.
Grade 0 (absence de risque) : le patient indemne de neuropathie n’a pas besoin de soins de podologie, ou bien il peut les faire lui-même. Il n’est pas remboursé par l’Assurance maladie.
Grade 1 (risque faible) : il a une neuropathie mais pas encore de déformations acquises. Il n’a pas non plus d’artérite (pouls périphériques – tibial postérieur et pédieux – bien palpés). Il a un risque, mais malheureusement ne peut bénéficier d’un remboursement de soins podologiques. S’il peut les financer lui-même (ou via sa mutuelle), l’idéal est qu’il aille au moins deux fois par an chez le pédicure.
Grade 2 (risque élevé) : coexistence de neuropathie et de déformations, qu’elles soient d’origine neurologique (pieds creux, orteils en griffe) ou non (hallux valgus, pieds creux constitutifs). Autre cas de figure : le patient a une neuropathie et des pouls artériels difficiles à palper, faisant suspecter une artérite. Quatre consultations de podologie sont remboursées par an. Il faut spécifier sur l’ordonnance « forfait pour risque podologique de grade 2 ».
Grade 3 (risque majeur) : le malade a déjà eu une plaie chronique, il sera remboursé de 6 consultations podologiques annuelles sur la mention « forfait pour risque podologique de grade 3 ».
Cependant, de nombreux patients ne peuvent pas avancer les frais, tous les podologues n’acceptant pas la carte Vitale.
Les pieds des patients à risque doivent être examinés à chaque consultation pour vérifier l’absence de plaie, si la corne est bien débridée et les ongles désépaissis. Idéalement, il faut aussi examiner les chaussures : sont-elles fermées, souples, sans couture blessantes à l’intérieur ? Des gestes d’autosoins préventifs doivent être enseignés à ces sujets (encadré).
Devant une plaie : 3 réflexes
La mettre immédiatement en décharge totale
Il faut prescrire un arrêt de travail et une chaussure de décharge adaptée à la localisation de la lésion sur une ordonnance, avec la mention « non substituable ». Les plaies plantaires de l’avant-pied peuvent bénéficier d’une chaussure Ortho-Wedge par exemple (
Les plus difficiles sont celles du médio- pied ou du talon : seul le fauteuil roulant ou le déambulateur avec tablette empêchent l’appui. Les béquilles ne sont pas efficaces et sont même dangereuses car ces patients ont souvent des troubles proprioceptifs importants. En centre expert, des plâtres de décharge peuvent être réalisés (
Rechercher une infection des parties molles
Le diagnostic est uniquement clinique : rougeur, chaleur (détectée au toucher du pourtour de la plaie), pus (en pressant sa périphérie), odeur (
C’est seulement dans ce cas qu’on adresse le patient au laboratoire pour un prélèvement bactériologique. On lui prescrit 8 jours d’antibiothérapie au départ probabiliste. Les germes les plus fréquents étant le staphylocoque doré et le streptocoque bêta-hémolytique, on débute par amoxicilline/acide clavulanique ou bien pyostacine, sans attendre le résultat du prélèvement (durée : 8 jours).3
Si la plaie n’est pas infectée cliniquement, pas de prélèvement car celui-ci sera toujours positif (germe colonisant mais non pathogène) et les antibiotiques réclamés par le patient sont inutiles.
Contacter le centre expert le plus proche
Actuellement, le site https://www.urgomedical.fr/annuaire_pied/ en recense une centaine. L’avis d’un tel centre est indispensable, et rapidement, pour deux raisons.
Tout d’abord rechercher et traiter une ostéite, qui peut passer totalement inaperçue cliniquement. Cela se fait en explorant la plaie à l’aide d’un stylet stérile (
Le traitement est chirurgical ou médical après biopsie osseuse.
Dépister une AOMI parfois silencieuse (favorisée par un diabète ancien et déséquilibré). En effet, le diabétique souffre rarement de claudication intermittente, il peut avoir une artérite sévère sans autre signe clinique que l’abolition des pouls distaux. Cette AOMI peut être décompensée par l’inflammation de la plaie et entraîner brutalement une gangrène. Son dépistage repose sur l’indice de pression systolique (IPS), rapport de la PA systolique à la cheville sur la pression humérale. À l’aide d’un brassard à tension et d’un doppler, on enregistre la pression tibiale postérieure et pédieuse de chaque membre, et les pressions humérales. L’IPS est égal au rapport de la pression la plus haute de chaque cheville à la pression humérale la plus élevée. Inférieur à 0,9, il signe le diagnostic d’AOMI. Supérieur à 1,3, il fait suspecter une médiacalcose : rigidité importante des artères les rendant incompressibles, phénomène classique chez le diabétique. Le diagnostic est confirmé par un écho-doppler.
À noter que le pansement n’a d’importance pour la cicatrisation que lorsque tous les autres moyens thérapeutiques ont été mis en place. Un pansement, quel qu’il soit, n’aidera pas à la guérison si le pied n’est pas totalement déchargé et si l’ostéite et l’AOMI n’ont pas été traitées. Si la plaie est exsudative, un pansement absorbant est utile. Inversement, si elle est très sèche on peut appliquer un pansement gras. Seul UrgoStart a fait la preuve de son efficacité sur des plaies neuro-ischémiques non infectées : il réduit le délai de cicatrisation de 2 mois.4
Devant toute plaie non infectée en apparence et qui ne cicatrise pas, 3 causes sont à évoquer.
La mise en décharge n’est pas faite, ou de manière intermittente. Par exemple le patient met sa chaussure spéciale chez lui mais sort faire ses courses avec ses chaussures habituelles. La cicatrisation nécessite une décharge totale et permanente. C’est l’aspect le plus difficile et le plus contraignant du traitement. Une plaie non déchargée est souvent exsudative, avec des pansements trempés.
Une ostéite siège au fond de la plaie. Elle en empêche le bourgeonnement et le comblement. Seul le centre expert peut faire un diagnostic précoce avant une destruction ostéo-articulaire délabrante.
Une AOMI, modérée ou sévère, limite l’apport de sang artériel au niveau de la plaie. Une angioplastie des artères de jambes doit être discutée.
Pour ces 3 raisons il est nécessaire de prendre l’avis d’un centre expert (dans les 48 heures selon les recommandations de la HAS), mais en particulier si la plaie ne diminue pas de taille au bout de 15 jours de traitement.
Gestes de prévention en autosoins
Examiner ses pieds tous les jours, si besoin avec un miroir.
Vérifier l’absence de plaie, de fissure sous les talons ou entre les orteils.
Graisser ses pieds quotidiennement (crème hydratante : Dexeryl, Biafine par exemple), sauf entre les orteils.
Retirer la corne sans utiliser de coricide ni de râpe métallique, mais une râpe autorisée pour diabétiques (pierre ponce non agressive). Bannir ciseaux, scalpels, lames de rasoir.
Couper les ongles au carré avec l’aide d’un tiers pour éviter les blessures (arrondir les coins à la lime en carton).
Pas de bain de pied (risque de macération et mycose), préférer une douche quotidienne à l’eau tiède.
Essuyer ses pieds y compris entre les orteils mais sans frotter.
Choisir des chaussures fermées, souples, sans coutures blessantes, avec suffisamment de hauteur pour les orteils.
1. Société francophone de diabétologie. Référentiel de bonnes pratiques pour la prévention et le traitement local des troubles trophiques podologiques chez les patients diabétiques à haut risque podologique. Mars 2015. https://bit.ly/2R3mSSG
2. The International Working Group on the Diabetic Foot. Guide de prévention des ulcères du pied chez les patients diabétiques à risque. Recommandations 2015.
https://bit.ly/2QnVgCI
3. Société de pathologie infectieuse de langue française. Prise en charge du pied diabétique infecté. Med Mal Infect 2007;37:26-50.
4. Edmonds M, Lázaro-Martínez JL, Alfayate-García JM, et al. Sucrose octasulfate dressing versus control dressing in patients with neuroischaemic diabetic foot ulcers (Explorer): an international, multicentre, double-blind, randomised, controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2018;6:186-96.